Nicolas Sarkozy : In vino Veritas ?
Nicolas Sarkozy persiste et signe : on ne peut pas « assimiler le vin à la drogue », a-t-il réitéré samedi au micro de Skyrock, pour les jeunes, au moment d’une discussion sur le renforcement de la lutte contre le tabagisme. Déclaration qui entérine ce qu’il avait déjà déclaré chez un viticulteur le 26 février (« Le vin n’est pas assimilable au tabac ou à la drogue »), suite à deux petites gorgées de sancerre qui avaient dû troubler son esprit peu habitué à cette substance qui donc, selon Nicolas Sarkozy, serait moins dangereuse que le cannabis ou le tabac. On sent bien qu’il essaye de se rattraper suite à l’enquête de « La revue des Vins de France », où l’on apprend que Monsieur Sarkozy n’est pas un adepte du vin... scandale pour un candidat qui se veut « président de tous les Français ».
Heureusement, avec notre ministre de l’Intérieur, « tout est possible ». Et comme il a toujours raison car il « sait ce que veulent les Français », il balaie au bas mot 40 ans de recherche sur l’alcool en un claquement de doigts, en substituant vin à alcool. Escamotage peu élégant et douteux car, dans le vin, il y a de l’alcool (en moyenne 12% quand même) et plus précisément de l’éthanol.
Revenons peut-être à des définitions concrètes. Qu’est-ce qu’une drogue ? C’est une substance chimique dont la prise répétée entraîne des modifications neurobiologiques (neurochimiques, cellulaires, etc...) et comportementales qui conduisent à la dépendance. La dépendance est elle-même définie comme un désir puissant, compulsif, d’utiliser une substance psychoactive, avec des difficultés pour en contrôler les prises (et éviter les rechutes) et un comportement de recherche de ces substances qui envahit progressivement la vie courante. Le DSM-IV (diagnostics des différents troubles mentaux établis pas l’Association américaine de psychiatrie) a établi plusieurs critères de la dépendance dont les plus caractéristiques sont : les symptômes de tolérance, de sevrage (le manque) et de la motivation à rechercher cette substance alors que nous avons conscience de sa nocivité (c’est l’aspect compulsif).
Je ne m’attarderai pas sur la tolérance aux effets physiologiques de l’alcool (la plupart d’entre nous ont été plus « sensibles » à la première prise d’alcool qu’à la suivante) ni aux symptômes de manque induits par le sevrage d’alcool dont le tristement célèbre delirium tremens. Je voudrais me concentrer sur deux points : les modifications neurobiologiques induites par la consommation d’alcool et l’aspect compulsif.
Cerveau et alcool
Une des caractéristiques communes aux drogues est leur capacité à activer dans le cerveau le « circuit de la récompense », dont la pierre angulaire est l’activation d’une petite structure nommée aire tegmentale ventrale qui conduit à une augmentation de la libération d’un neurotransmetteur, la dopamine, dans le noyau accumbens, impliqué dans un certain nombre d’aspects motivationnels. Ce circuit est activé, par exemple, par les psychostimulants type cocaïne ou métamphétamine, la nicotine et... l’alcool (1).
L’administration chronique d’éthanol chez l’animal entraîne un certain nombre de modifications biologiques qui vont modifier les communications entre les neurones dans ce circuit principalement, dont une augmentation d’une enzyme, la tyrosine hydroxylase, impliquée dans la synthèse de dopamine ainsi que la sensibilité d’un récepteur au glutamate (récepteur NMDA), un autre neurotransmetteur très répandu dans le cerveau (2). Notons que la cocaïne ou l’héroïne entraîne les mêmes modifications (2,3).
Ces modifications existent également chez l’homme, où il a été observé une interaction entre la consommation d’alcool et la sensibilité à la kétamine, un anesthésique dissociatif qui peut induire des états de psychoses aiguës, qui est un antagoniste (« inhibiteur ») du glutamate au niveau des récepteurs NMDA (4).
Alcool et compulsivité
La consommation de substances dites addictives ne conduit pas irrémédiablement à la dépendance physique et/ou psychologique. Mais en fonction de la sensibilité des uns et des autres, de la durée de consommation, ce qui était du récréatif, quelque chose de plaisant, le « liking », bascule dans le besoin, impératif, le « wanting », et échappe totalement au contrôle de la personne. L’empreinte de la drogue est quasi-définitivement fixée dans l’esprit et le cerveau de la personne toxicomane (dont le principal problème est la rechute) qui cherchera à consommer cette substance quant bien même il sait que les conséquences seront négatives pour lui-même et pour ses proches. Dans le cerveau en effet, ce passage s’accompagnerait de l’apparition d’un nouvel acteur, le striatum, une structure cérébrale notamment impliquée dans la mémoire procédurale, automatique, nécessaire pour se rappeler les schémas moteurs compliqués acquis lors de l’apprentissage de l’écriture, du vélo ou du piano. C’est une mémoire « inconsciente » dans le sens où il est quasi impossible d’expliquer comment nos muscles doivent se coordonner pour faire avancer un vélo ou rédiger une lettre. C’est également une mémoire difficile à « oublier » (d’où l’aphorisme « c’est comme le vélo... »). Il semblerait donc que les drogues détournent ce système, l’action de prendre cette drogue étant profondément ancrée en nous, amenant à un besoin compulsif (5).
L’alcool est un exemple typique de ce schéma et voici le résultat d’une expérience comportementale chez le rat que je trouve assez édifiante (6). Un rat de laboratoire lambda n’aime pas l’éthanol. Comme l’homme en fait, et pour lui en faire consommer on rajoute du sucre : ainsi le rat est habitué à l’éthanol en consommant une solution à 10% en présence de sucre. Puis, le sucre est retiré progressivement et l’animal se mettra à boire volontairement une solution composée uniquement d’eau et d’éthanol (10%). Notons que notre chère industrie utilise la même stratégie avec nos adolescents et les boissons de type Smirnoff Ice... Mais revenons à nos rats. Ils sont ensuite entraînés à presser sur un levier pour obtenir leur ration d’éthanol. Une fois la tâche acquise, l’éthanol est associée à un malaise gastrique (une procédure de conditionnement pavlovien couramment utilisée). L’éthanol est donc maintenant quelque chose de clairement négatif pour l’animal. Pourtant, une fois remis en présence du levier, le rat continuera à presser pour l’éthanol, ce qui n’est pas la cas si l’expérience a été réalisée avec une substance non-addictive comme du sucre. Cette expérience a également était réalisée avec de la cocaïne et les résultats sont similaires (7). Nous retrouvons donc là, l’aspect compulsif où malgré la connaissance de conséquences négatives, le sujet va quand même consommer l’éthanol.
Tout cela pour profiter de faire une petite mise au point scientifique sur l’alcool et de dire « si, Monsieur Sarkozy, le vin est bien une drogue ». Entendons-nous bien, je n’ai rien contre le vin, j’en bois moi-même et apprécie. Mais il faut arrêter l’hypocrisie : l’alcool, dont le vin fait partie, est bien une drogue au même titre que le tabac, le cannabis ou encore la cocaïne. La différence entre toutes ces drogues ? Elles sont plus ou moins contrôlables par l’utilisateur, avec des drogues dites « douces » et d’autres « dures », et divisée en deux groupes par l’Etat entre licite et illicite.
Cette attitude de Nicolas Sarkozy m’agace donc, et d’autant plus qu’il parle de tolérance zéro pour le cannabis et explique que pour lui il n’y a pas de différence entre drogues douces et dures ! Donc monsieur Sarkozy, s’il suivait sa droite ligne de conduite, devrait accuser tous les viticulteurs d’être de vils dealers. Oui mais voilà, le viticulteur et les amoureux du vin sont des électeurs. Alors quitte à continuer sur ce genre de malhonnêtetés intellectuelles dont il a le secret (la proximité avec Jacques Chirac ?), il ne lui reste plus qu’à aller à Argenteuil et à proposer aux jeunes de banlieue une opération « Château Petrus contre shit »... Ceci pourrait faire sourire mais c’est un comportement très caractéristique de notre ministre-candidat qui consiste à adapter, et ce, de façon grossière, la réalité à sa vision des choses et à évacuer ainsi d’une drôle de manière ses incohérences.
1. Hyman SE, Malenka RC, Nestler EJ (2006). Neural mechanisms of addiction : the role of reward-related learning and memory. Annu Rev Neurosci, 29:565-98.
2. Ortiz J, Fitzgerald LW, Charlton M, Lane S, Trevisan L, Guitart X, Shoemaker W, Duman RS, Nestler EJ (1995). Biochemical actions of chronic ethanol exposure in the mesolimbic dopamine system. Synapse, 21:289-98.
3. Beitner-Johnson D, Nestler EJ (1991). Morphine and cocaine exert common chronic actions on tyrosine hydroxylase in dopaminergic brain reward regions. J Neurochem, 57:344-7.
4. Krystal JH, Petrakis IL, Krupitsky E, Schutz C, Trevisan L, D’Souza DC (2003). NMDA receptor antagonism and the ethanol intoxication signal : from alcoholism risk to pharmacotherapy. Ann N Y Acad Sci, 1003:176-84.
5. Everitt BJ, Robbins TW (2005). Neural systems of reinforcement for drug addiction : from actions to habits to compulsion. Nat Neurosci, 8:1481-9.
6. Dickinson A, Wood N, Smith JW (2002). Alcohol seeking by rats : action or habit ? Q J Exp Psychol B, 55:331-48.
7. Miles FJ, Everitt BJ, Dickinson A (2003). Oral cocaine seeking by rats : action or habit ? Behav Neurosci. 117:927-38.
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