Procès Colonna : droits de l’homme en péril ?
Quelques questions posées à propos du procès d’Yvan Colonna.
Je vais commencer par une digression... Vendredi soir, TF1, après avoir rapidement passé en revue les confirmations des membres du commando qui avaient à nouveau disculpé Yvan Colonna en réaffirmant qu’il ne faisait pas partie dudit commando, nous livrait une information de la plus haute importance : des graffitis anti sarkozy avaient été repérés sur des murs du village de Cargèse ! C’est le moment ou je tombe de ma chaise... TF1 s’est-elle aperçue qu’un jeune écolier avait écrit dans la marge de son cahier de grammaire "Liberta per Yvan Colonna" ? Heureusement que les caméras de ladite chaîne de télévision ne peuvent filmer mes pensées, sinon j’étais cuit.
Et maintenant quittons ce ton sarcastique qui ne rendra pas à la justice son panache et ne fera pas progresser notre affaire, pour revenir à des questions plus fondamentales.
Au cours du procès d’Yvan Colonna, on a beaucoup entendu parler de la présomption d’innocence. Les fondements de la présomption d’innocence sont donnés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, document de l’ONU ratifié par la France en 1948. On en parle mais peu le connaissent par coeur, donc voici l’article 11.1 de la déclaration susnommée :
Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
J’y ajouterais, parce j’y vois un intérêt pour le lecteur, l’article 10 de la même déclaration :
Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Question : Yvan Colonna a-t-il été présumé innocent ?
Réponse : non. Deux Ministres de l’intérieur français ont évoqué ou affirmé sa culpabilité sans éléments probants. Un ensemble de journaux français ont choisi de le présenter comme coupable soit directement soit indirectement par de nombreuses insinuations pas très fines. Notamment le Nouvel Observateur, l’Express, le Journal du Dimanche, et même le Canard Enchaîné (d’autres son restés plus neutres, comme le Monde ou le Figaro). La partie Civile et ses avocats ont bien sûr affirmé constamment être certains de la culpabilité d’Yvan Colonna, alors qu’ils ne disposaient d’aucun élément supplémentaire à ceux qui ont été mis en lumière au cours du procès. De plus, cette même partie civile, de concert avec le parquet représenté par le procureur, a été jusqu’à accuser (sans la moindre once de preuve et on ne peut plus gratuitement) Yvan Colonna de faire pression sur les témoins. Ils l’ont fait par dépit, lorsqu’ils ont vu leurs espoirs de faire condamner un innocent mis en péril face à des témoins on ne peut plus clairs dans leurs affirmations (d’ailleurs, rien de nouveau, puisque ces mêmes témoins avaient dit en substance la même chose lors de la première instance).
A cela j’ajouterai l’instruction qui a été menée à charge comme cela a été mis en évidence durant le procès, l’attitude de certains des policiers de la DNAT qui ont dû admettre avoir forcé la main aux membres du commando et à leurs épouses en violant ce qu’on appelle l’étanchéité des aveux. Les déclarations du Préfet Bonnet qui témoigne finalement à charge contre Yvan Colonna tout en disant qu’il n’a aucune preuve et n’en a jamais eu (et après avoir déclaré que ce n’était peut-être pas le bon Colonna qui avait été arrêté un an auparavant. Et des Colonna, il y en a en Corse...). etc.
Question : sa cause est elle entendue "équitablement et publiquement" ?
Réponse : publiquement oui. Quoique souvent l’information est pervertie par certains médias. Equitablement ? Je ne crois pas. Pour cela il nous faut revenir à l’article 11 : "au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées". Refus de la reconstitution qui selon toute vraisemblance prouverait, comme l’ont dit les témoins oculaires du crime, qu’Yvan Colonna n’y était pas. Discrédit des témoignages, que ce soit celui du Commissaire Vinolas, secrétaire général du Préfet Erignac, qui est devenu d’un coup persona non grata dès lors qu’il n’a pas corroboré la thèse de l’accusation alors qu’il était cité par la partie civile, ou celui des témoins oculaires, ou celui des experts balistiques et du médecin légiste qui innocentaient Colonna. Non transmission de documents pouvant faire pencher la balance du coté de l’innocence de l’accusé (Lettre de Didier Vinolas, écoutes téléphoniques de la DNAT...) Autant d’éléments qui montrent qu’Yvan Colonna n’a pas l’assurance des garanties nécessaires à sa défense.
Question : le tribunal est-il indépendant et impartial ?
Réponse : nous verrons bien.
Il nous reste encore une chance... Peut-être que le Président Wacogne et ses juges ont d’ores et déjà forgé leur intime conviction de l’innocence d’Yvan Colonna (ce qui serait somme toute assez logique) et trouvent inutile de rajouter au procès des éléments qui ne feraient que confirmer ce qu’ils savent déjà. Mais le devoir de réserve leur interdit de crier à la défense : "mais on sait ! pas la peine de nous agresser..." j’ai toujours eu un faible pour l’optimisme exacerbé.
Question : Est-ce que l’acquittement d’Yvan Colonna ferait perdre la face à Nicolas Sarkozy ?
Réponse : non. Les français préféreraient mille fois un président qui laisse la justice faire son travail même si celui-là met en évidence une de ses erreurs, à un Président qui pourrait être soupçonné de donner des instructions pour sauver la face (que ce soit vrai ou pas). Au contraire, l’acquittement d’Yvan Colonna redonnerait confiance en l’impartialité de la cour d’assise et couperait l’herbe sous le pied aux détracteurs du Président.
Question : est-ce que l’acquittement d’Yvan Colonna redorerait le blason de la justice ?
Réponse : oui et non. Surtout cela éviterait une perte complète de confiance en la justice française. Mais il faudrait aussi faire la lumière sur les zones d’ombre de l’instruction, et entamer une véritable réforme des méthodes d’investigation, mettre une tête sur un pique (la bonne cette fois, et au figuré s’il vous plaît), et trouver finalement qui était derrière cet assassinat.
La police a présenté ici un visage qui montre que l’éthique professionnelle est à revoir. Tout au moins pour certains. Au delà de toutes les erreurs commises sur ce dossier, par delà même le fait que les témoignages des coupables comme des policiers montrent maintenant que le nom d’yvan Colonna aurait été soufflé dès le départ et forcé dans les aveux, il y a une attitude qui m’a laissé une trace forte. C’est lorsque Frédéric Veaux, ancien patron de la DNAT, est venu prétendre que les interrogatoires s’étaient passés dans la plus parfaite sérénité. N’a-t-il pas dit que les assassins du préfet étaient "des gens sincères dans leurs convictions qui s’impliquent dans leur vie militante et professionnelle" et que de ce fait on ne pouvait mettre en doute leurs aveux. Ne sait-il pas que ces gens "sincères" ont été les meurtriers d’un homme ? Et s’ils sont sincères, alors pourquoi mettre en doute leur parole, lorsqu’ils évoquent les conditions dans lesquelles ils ont été menacés pour donner le nom d’Yvan Colonna ? Bref, dans la bouche d’un policier, ce discours répété et coordonné sonne à mes oreilles comme le triomphe de la non-sincérité au service de la justice.
C’est Martin Luther King, ce révérend noir américain assassiné en 1968 qui disait : "Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier."
Quant à moi, je vous laisse, je retourne écrire dans mon cahier de grammaire "Liberta..."
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