Qu’attendons-nous pour en débattre ?
La pandémie a entrainé quelque chose qui est peut-être plus préoccupant que cette pandémie elle-même : la fracture sociale. Un nouveau clivage s’est instauré dont nous n’avions vraiment pas besoin. Comment pouvons-nous en sortir ?
La pandémie a entraîné quelque chose qui est peut-être plus préoccupant que cette pandémie elle-même : la fracture sociale. Un nouveau clivage s’est instauré dont nous n’avions vraiment pas besoin. La situation dans laquelle nous sommes est complexe ce qui conduit à une confusion généralisée. Cette confusion est accentuée par la désinformation. La meilleure manière de faire pièce à cette désinformation et de réduire cette confusion est le débat contradictoire. Or, nous n’observons à peu près aucun débat contradictoire. Chacun déverse ses arguments sans écouter l’autre et en cherchant seulement à le dénigrer.
La science s’est construite à travers des débats contradictoires. Nous pouvons en apprécier les résultats et évaluer tout l’intérêt que nous pourrions attendre de débats sérieux. Ainsi, ceux qui se réclament de la science devraient applaudir un tel débat et le réclamer. Certes, tout ne peut faire l’objet d’un débat. Nous savons que quand nous touchons à des conflits de valeurs les arguments sont vains. Nous sommes aujourd’hui devant un conflit entre la survie et la liberté, pour le moins. Et si celui-ci ne peut être tranché par des arguments il peut au moins être clarifié.
La clarification de la situation est le minimum que nous pouvons espérer d’un tel débat. Nous avons tout à gagner et rien à perdre à opérer une telle clarification et à entamer un débat extrêmement sérieux. « Les idées mènent le monde », disait Napoléon. Peut-être, mais qu’est-ce qui mène les idées ? Nous pouvons et nous devons faire en sorte que les idées ne soient pas menées n’importe comment et par n’importe qui. Le débat contradictoire est la meilleure solution pour cela. Nous avons tous les moyens d’organiser un tel débat, cela ne coûte rien aujourd’hui.
Mais il y a l’obstacle psychologique, il ne faut pas se leurrer, un vrai débat est peut-être une entreprise difficile. Mais il est possible aussi de mettre au point des procédures afin d’améliorer la qualité des débats et ainsi de passer par dessus nombre de processus psychologiques. Nous savons que de telles procédures peuvent être efficaces. On peut aisément s’apercevoir de l’efficacité d’une méthode en observant que certains débats deviennent possible par la mise en œuvre de quelques règles et qui eussent été impossible sans elles, généralement la présence d’un modérateur et le chronométrage du temps de parole.
Mais l’objectif de ces règles est strictement limité à rendre le débat possible. On n’observe pratiquement aucune tentative qui vise plus loin et qui cherche à améliorer la qualité des débats. Nous avons élaboré un art des débats, un art d’avoir toujours raison. Certains savent d’ailleurs très bien plomber un débat ; mais qu’a-t-on fait pour élaborer une méthode en vue d’améliorer la qualité des débats ? Qu’a-t-on fait pour chercher à soustraire le mouvement des idées aux pièges de la rhétorique, de la propagande et de la manipulation ?
Les débats sont souvent soumis à nombre de contraintes : de temps, d’espace, économiques, politiques ou sociologiques (le politiquement correct, par exemple). Il n’est pas satisfaisant de devoir interrompre un débat parce que l’heure est venu. Internet est un outil magnifique qui nous permet de nous affranchir aisément de toutes ces limites, par exemple, en nous permettant de marier l’écrit et l’oral. L’affranchissement de presque toutes les contraintes physiques que permet internet fait que nous nous trouvons devant un flot de paroles la plupart du temps inintéressant.
On critique souvent internet pour la piètre qualité de la parole qui s’y exprime. Mais nous pourrions aussi faire en sorte que les facilités que nous offre internet nous permettraient d’améliorer la qualité des débats. La parole était auparavant contrôlée par les éditeurs, par des institutions comme l’université, par les gérants ou les propriétaires des médias. Il nous faut créer une organisation qui exerce un contrôle uniquement sur la qualité des interventions, mais non sur le contenu des idées. Améliorer la qualité des débats signifie d’abord améliorer la qualité des interventions. À quoi pourrait ressembler une telle procédure ? Mais d’abord à quelles exigences doit satisfaire un débat ?
* La neutralité des organisateurs. *
Tous les arguments intéressants doivent pouvoir être exprimés. Les deux vont d’ailleurs ensemble, ce n’est au fond qu’une même exigence. Nous avons tous observé que les fantaisies et les lubies des individus contribuent souvent à abaisser la qualité d’un débat. On ne sait que trop ce que cela donne quand chacun peut s’exprimer sans retenu. Parler librement signifie trop souvent pouvoir dire n’importe quoi n’importe comment et altère sérieusement la qualité du débat.
Mais ce qui compte n’est pas que tout le monde puisse s’exprimer mais que tout ce qu’il peut y avoir d’intéressant à dire sur une question puisse être dit. Un débat ne peut être considéré comme valable que si tous les arguments pertinents ont pu être émis et examinés. Ce qui n’est pratiquement jamais le cas. Le débat ne sera que plus intéressant si on élimine les interventions intempestives. Chacun à le droit de s’exprimer, et beaucoup ne s’en privent pas même s’ils n’ont rien d’intéressant à dire. Nous nous trouvons ainsi devant un tel flot de paroles que, même si nous consacrions tout notre temps à les écouter, nous serions loin de pouvoir toutes les entendre.
On parle volontiers d’un droit à la parole. Mais il faudrait parler aussi d’un droit à l’écoute. Celui qui parle accapare le temps de celui qui l’écoute. Et nous pouvons vouloir réserver notre écoute à ceux qui ont vraiment des choses intéressantes à dire. Et s’il y a un droit à la parole, personne n’est obligé non plus d’écouter celui qui n’a rien d’intéressant à dire. Il nous faut donc filtrer les interventions et considérer qu’un filtre n’a rien à voir avec une censure. Le point clé de cette amélioration de la qualité est donc la neutralité et l’efficacité du filtrage des interventions.
Il existe un moyen très simple de réaliser un filtrage efficace tout en préservant la neutralité de l’organisation. Il faut que ce filtrage soit réalisé par des personnes défendant le même point de vue que l’intervenant lui-même. Ce sont elles les mieux placées pour nous présenter les interventions les plus intéressantes. Ce procédé entraîne une contrainte, il faut poser des questions précises n’ayant qu’un nombre limité de réponses possibles. Il existe aussi une hiérarchie des questions et il convient de commencer par le début. Ici, ce sont sans doute les données qui sont à notre disposition qu’il convient de clarifier et d’interpréter.
Notre tâche la plus urgente est de réfléchir. Un tel débat est incontournable. Nous n’avons vraiment pas d’autre choix sensé. Ce n’est pas en écoutant ceux qui sont d’accord avec nous et en dénigrant les autres que nous pourrons sortir de cette confusion, mais en les écoutant et en répondant à leurs arguments. Et si les leurs sont meilleurs que les nôtres en le reconnaissant et en changeant d’avis. Imaginer la quantité de moyens, de temps, d’énergie que nous avons déjà dépensée dans cette pandémie. Mettez-là en rapport avec ce que nous pourrions faire pour clarifier enfin cette situation. Que nous reste-t-il à faire ?
Christian Camus
Mon site : repenser-le-christianisme.org
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