Quand la précarité mène à une formation... à la vie précaire...
Bonjour. Depuis quelques semaines, je constate au travers de la vie d’un homme à quel point vouloir s’en sortir avec vaillance accroît le risque d’être brisé sur l’autel des espoirs déçus. Et s’il est des situations de vie qui à défaut d’être des généralités sont néanmoins des symptômes d’une civilisation malade, alors la sienne est exemplaire.
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Je lui ai demandé si je pouvais faire un article sur sa situation, et il m’a répondu non, il a peur d’avoir des problèmes. Aussi, je suis à nouveau obligé de taire les noms, les organismes, l’endroit, les repères temporels et autres façon au travers de cet article de donner prise à une possibilité de remonter jusqu’à lui. Libre à vous, lecteurs, de considérer ce qui suit avec la contrainte de ne pas trop rentrer dans le détail des faits, mais quand même de proposer à votre attention l’histoire de monsieur « X » et de vous donner mon témoignage.
Il est dans la quarantaine, vit dans une petite ville de province, et est en situation précaire depuis un peu plus d’un an. Vaillant, gaillard, souriant, je l’ai vu espérer sortir de sa précarité par le recours à une formation de…, dispensée par un organisme dont je ne peux pas dire le nom.
Deux mois d’attente pour avoir une réponse, deux mois à y croire, deux mois à se dire ça ira, enfin je vois le bout. De semaines en semaines, il a repris de l’aplomb, de l’assurance, le goût de rire entre amis, et même de dire des conneries plus grosses que lui.
Et puis, il en voulait tellement qu’il a pris sur lui et son maigre budget de faire le tour des patrons, pour chercher une place pour un stage. Des refus, et puis boom. Il en trouve un qui lui dit qu’il aura sans doute plus de boulot cet hiver, et qu’il le prendra volontiers en stage, surtout qu’il a déjà un diplôme qui n’est pas exactement le même métier, mais qui prouve qu’il a les bonnes bases.
Là, au café où je le croise régulièrement, je l’ai vu y croire vraiment. Un patron, dont c’est le métier, l’a jaugé, écouté, et lui a donné la certitude que la formation acquise, le stage il l’avait et même s’il était aussi bon par la suite que l’air motivé tout de suite, il le garderait si la demande le permet.
Encore quelques semaines d’une attente, nerveusement d’autant plus difficile à gérer que l’espoir se battait contre l’envie d’y croire et qu’au rêve de s’y voir déjà se disputait l’envie de fêter ça. La porte était ouverte, une formation, un stage, un travail, un salaire, un retour à la vie avec de quoi payer un coup à ses amis. Il ne lui manquait plus que le oui à la formation.
Qui fut un non... Plus de demandes que de places, je ne peux pas donner les chiffres, mais c’est ridicule de penser qu’on est pas foutu de mettre des tables et des chaises de plus dans une proportion qui tient dans une salle de classe pour adultes.
Ce Refus n’a pas été légitimé, ni expliqué. Votre candidature n’a pas été retenu pour cette cession monsieur. Et bien entendu, aucun recours.
Si sur les principes du Droit le citoyen a le droit à un recours contre toute décision administrative, surtout quand elle est aussi vitale que celle-là, et bien, dans cette situation, RIEN.
La Formation a commencé quelques jours après, pas de possibilité d’en trouver une autre avant l’hiver. Pas de formation, plus moyen de faire un stage chez ce patron, plus d’emploi possible derrière. La porte de ces espoirs lui a littéralement claqué à la gueule.
Blessé, quand il est venu nous apprendre la mauvaise nouvelle au café, je l’ai vu faire le coriace. Ça va aller, ne vous inquiétez pas, je vais tenir le coup. Sur le moment je n’ai rien dit, j’ai été comme sonné de voir autant de volonté de s’en sortir en train de fracasser l’intérieur de cet homme meurtri.
Puis de longues minutes plus tard, j’ai pris colère, j’ai hurlé, lui ai proposé de faire les lettres pour lui afin de tenter un recours. Allez vite pour essayer de négocier, dans l’urgence, une place de plus dans cette P... de formation. Il a dit oui sur le moment, mais le cœur n’y était déjà plus.
Je lui ai dit qu’il ne quémande rien et ne demande que de faire usage de ses droits, que le recours est légitime, et bien d’autres phrases qui perdent toutes fiabilité quand le sol s’est effondré sous vos pieds une fois de plus. Surtout quand elles sont prononcées par un aussi Rmiste que soi.
Deux mois à y croire, deux mois à faire tout pour, à bout de bras avec ce qui reste d’énergie dans ces situations de vie là, il n’a pas tenu quelques jours de plus à y croire en se battant encore. Le Non sans explication ne lui a permis aucune alternative d’espoir de négociation. Et sans espoir, point de victoire n’envisage...
La balle du refus figée dans le moral, le syndrome de résignation acquise en tête, le respect de l’autorité même quand on ne comprend pas les ordres, et l’instinct de survie qui devient crainte absolue de perdre le peu qu’il a en étant mal vu et mal jugé par les organismes s’il ose quoi que ce soit de contestataire, tous ces éléments l’ont tout simplement privé de la force de se battre contre cette décision alors qu’elle le tue. Un homme de sa génération fait de sa vie son travail, et du travail le sens de sa vie. Sa vie reprenait sens, il reprenait vie.
Quand le système est contraire au sens de l’engagement dans la vie, il est malade. Et dans les jours suivants le refus de sa formation, c’est monsieur X qui est devenu malade. L’espoir est devenu aigreur d’estomac, puis insomnies, puis besoin de boire pour ne pas penser, et finalement aujourd’hui, quelques temps à peine suite à ce refus, c’est un zombie que j’ai vu s’assoir à coté de moi.
Son geste me dit « c’est bon, ne t’inquiète pas » mais son regard est si noyé de larmes qui ne coulent pas que je ne peux m’empêcher de maudire l’aveuglement bureaucrate qui a fait baisser les yeux après avoir brisé en milles morceaux épars le mental de cet homme là.
Dans la précarité on connait la suite. D’ici quelques temps il fera une connerie ou deux. Trop bourré au cœur trop brisé il fera le lourd et encore moins de gens pourront le supporter. Puis il dira que ces formations ne sont pas faites pour lui, qu’il cherche « autre chose », ce dont il mettra des années à trouver une idée précise. Encore quelques années de plus et il dira qu’en restant comme ça il laisse la place aux jeunes.
Et enfin grâce à cette formation à la vie précaire prolongée que lui a donné l’organisme dont je regrette vraiment de ne pas donner le nom, il sous vivra encore, dans le regard désolé des uns et l’indifférence des autres, jusqu’à en crever.
Mais quand on parle d’humanité et de solidarité ancrée dans l’esprit Français. Cet homme, le jour où ce refus sans motif lui a brisé la vie, à la terrasse du café, je l’ai vu donner un peu de sa monnaie à une jeune sans logis qui passe tous les jours faire la manche avec son chien. Il faut savoir ce qu’est la précarité pour comprendre ce que ça fait d’avoir le cœur plus gros que ces moyens. Il se savait mort, mais avait encore l’espoir de voir s’en sortir cette fille là...
A mes Amis de l’ombre qui meurent aux champs du déshonneur social.
amicalement, barbouse.
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