Rapport Olivennes : « une proposition d’un autre âge »
Le porte-parole de l’Elysée, David Martinon, vient d’annoncer qu’un accord entre les professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique et les fournisseurs d’accès internet serait signé vendredi. Cet accord découle tout naturellement du rapport que rendra le même jour Denis Olivennes, président de la Fnac, mandaté par la ministre de la Culture Christine Albanel pour trouver des solutions au problème du piratage numérique. Un progrès ? Certainement pas.
On le sait aujourd’hui, on le répète tous les jours, les industries du cinéma et de la musique sont en crise : la fréquentation des salles de cinéma ne redécolle pas, les ventes de CD et de DVD sont en chute libre, bref le bateau prend l’eau de toutes parts. Evidemment, tout chavirement a ses originies, et la lame de fond qui a provoqué celui-là s’appelle internet. Plus exactement l’internaute pirate, le sauvageon numérique qui pille sans vergogne les artistes et leurs maisons d’édition, forçant ces derniers à aller faire la manche pour gagner leur croûte. J’en fais un peu trop, certes, mais c’est qu’il a bon dos le pirate. On a mis sur son compte les conséquences de 20 ans d’une gestion catastrophique des ressources culturelles et du manque total de clairvoyance des majors quant à l’avènement d’internet qui engendrera, tôt ou tard, la disparition du média physique au profit du fichier numérique.
Ainsi jusqu’à une période assez récente, le prix moyen du CD n’avait fait qu’augmenter depuis son invention alors que toute nouveauté technologique est, au contraire, censée se démocratiser au fil du temps. Les artistes eux, n’ont que très rarement vu augmenter leurs royalties en conséquence. Il faut signaler, d’ailleurs, pour couper court aux idées reçues, qu’à de rares exceptions, ceux-ci touchent moins d’un euro par disque vendu, une véritable peau de chagrin sur laquelle les grandes majors restent très discrètes. On se rappellera, en revanche, le montant faramineux du "golden-chute" que s’octroya Jean-Marie Messier alors président sortant de Vivendi Universal. A croire que la décence n’est pas de mise dans l’industrie du divertissement.
On peut également mettre en cause la frilosité des
maisons d’édition pour ce qui est de découvrir de nouveaux talents. Il est en
effet plus rentable et moins risqué de produire une Star Ac, avec une bande de
gamins payés au lance-pierre pour chanter des titres éculés, que de dénicher la
perle rare qui ose l’originalité. D’un strict point de vue marketing, cette
stratégie semble d’ailleurs douteuse puisqu’elle cible un public jeune voire
très jeune qui n’a pas forcément les moyens financiers d’acheter chaque mois
une grosse quantité de disques. Mais qu’importe, pour les plus vieux, il reste
les coffrets collectors, best of, et autres compilations d’artistes plus ou
moins sur le déclin, pas prêts du tout à laisser leur place à la nouvelle
génération. Vous me direz, ce dernier argument est plus subjectif et, puisque
ça se vend, c’est que ça doit plaire.
Haro sur le pirate, donc. Le gouvernement, qui n’a jamais caché ses liens étroits avec l’industrie du disque et du cinéma, décide de faire un état des lieux du téléchargement illégal en France et choisit pour cette mission Denis Olivennes, PDG de la Fnac. Autant demander à Christophe de Margerie de rédiger un rapport sur les conséquences écologiques du naufrage de l’Erika.
La mesure phare du dossier que rendra M. Olivennes est la création d’une autorité publique de lutte contre la contrefaçon habilitée à appliquer une riposte graduée à l’encontre des pirates. Concrètement, quand un gamin téléchargera le dernier tube des Tokyo Hotel, il recevra un courrier le menaçant de sanctions. S’il récidive, on lui coupera son accès à internet durant une certaine période. Dans le cas où le contrevenant persistait, il se verrait résilier définitivement l’abonnement auprès de son fournisseur.
Un comble : même l’UMP proteste ! Les députés Marc
Le Fur et Alain Suguenot "déplorent et condamnent", jeudi 22
novembre, la proposition du rapport Olivennes "visant à créer une autorité
publique qui aurait compétence pour prendre des sanctions à l’encontre des
internautes téléchargeurs". On notera par ailleurs le cadre juridique contestable
de cette disposition qui transfère des pouvoirs privatifs de liberté du juge à une
instance administrative créant du même coup "une véritable juridiction
d’exception pour les téléchargeurs et va à l’encontre du principe d’égalité
devant la loi", toujours selon les deux élus qui qualifient au passage le
résultat de la mission Olivennes de "rapport d’un autre âge" .
On ne peut que regretter une telle mesure et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord parce que l’arsenal répressif a déjà été expérimenté par le passé, notamment à l’encontre des propriétaires de serveurs hébergeant des fichiers illégaux, et n’a rien donné. On se souvient de l’affaire Napster et des poursuites engagées contre ses successeurs eDonkey, eMule et autres. On se souvient également qu’à chaque fois d’autres logiciels prennent le relais, avec des serveurs situés dans des pays où la loi est moins restrictive, je pense notamment au site "thepiratebay" qui propose des liens vers des fichiers téléchargeables sur le réseau Bittorrent.
En fait, à chaque fois qu’une protection juridique sera appliquée,
on peut être certain que les développeurs de logiciels inventeront une parade
technologique. C’est un combat perdu d’avance.
De plus, ces mesures risquent fort de ressembler à un
coup d’épée dans l’eau. En effet, l’avenir n’est plus au téléchargement mais au
"streaming", comprenez l’écoute directe de musique sur un site web,
sans que le morceau ne soit physiquement sur votre ordinateur. La technologie
existe depuis des années, et tend à se perfectionner avec l’augmentation des
débits internet. Des sites, légaux pour le moment, comme "Deezer"
proposent déjà des milliers de titres d’une qualité d’écoute plus que correcte
et qui devrait, dans peu de temps, s’approcher du rendu d’un CD Audio. Le tout
gratuitement.
On peut également déplorer qu’aucune association de consommateurs n’ait été invitée dans le débat, qu’il s’agisse de "UFC Que Choisir" ou de la "Ligue Odebi", pourtant acteurs majeurs dans le domaine de l’économie numérique.
Le gouvernement, et le président Sarkozy, s’apprêtent donc à
retenir une ribambelle de mesures répressives alors que des alternatives
légales ont déjà prouvé leur efficacité.
Ainsi, depuis l’apparition, et surtout la démocratisation, de la vidéo
à la demande (VOD), disponible sur la plupart des"box", le nombre de
téléchargement illégaux de films a baissé de façon significative. En 2006, 1 053 foyers interrogés en face à face n’étaient plus que
20 % (contre 26 % en 2005) à reconnaître avoir téléchargé des fichiers
musicaux dans le mois précédent l’enquête menée par Gfk/SVM. On
passait en fait d’un mensuel 33,7 fichiers en 2005 à 14,6 en 2006, prouvant de
fait que le pirate n’est pas, contrairement à l’image d’Epinal, un avare, mais
un impatient.
Je saluerai à l’occasion la seule disposition qui me semble
constructive dans le rapport Olivennes : la mise à disposition plus rapide
des œuvres en VOD qui pour l’instant, ont toujours deux mois de retard sur les
offres de location classiques via DVD.
Autre alternative, qui pourtant semblait plus que
raisonnable : la licence globale, une sorte de redevance prélevée sur chaque
abonnement internet. Cette idée avait pourtant obtenu les faveurs du Parlement
dans le cadre de la loi DADVSI pour être finalement écartée sous la pression du
ministre de la Culture de l’époque Renaud Donnedieu de Vabres, au prétexte qu’elle
aurait été irréalisable. On peut alors s’interroger sur le fonctionnement d’un
organisme comme la Sacem qui, pourtant, rétribue ses adhérants sur un système
en tous points similaire...
Je finirai sur un paradoxe : une taxe est prélevée
sur chaque CD vierge depuis plusieurs années et une autre fait son apparition sur
les supports de type clés USB et disques durs, pour soi-disant protéger les
ayants droits du téléchargement, alors que, dans le même temps ce même
téléchargement est toujours illégal. C’est un peu comme si on imposait une taxe
sur chaque dose d’héroïne vendue pour financer les cures de désintoxication.
Dans ce contexte, le rapport Olivennes constitue un formidable bond en arrière, une "proposition d’un autre âge", qui ne tient absolument pas compte des réalités de ce qu’on peut appeler la Révolution Numérique.
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