Reddition de Vercingétorix : nulle ou grandiose ?
Les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Aux siècles derniers, Vercingétorix avait la cote, aujourd’hui il ne l’a plus sinon que dans quelques bandes dessinées. Mais où sont donc nos professeurs amoureux d’Histoire qui, jadis, nous ouvraient l’esprit aux valeurs antiques du courage, de la dignité, de la beauté et à la connaissance de l’homme et des hommes ? Il n’y avait alors pas de plus merveilleux sujet d’études que le choc historique entre les deux personnages hors du commun que furent Vercingétorix et César. Est-ce sous l’influence de la repentance actuelle que certains historiens voudraient clore une bonne fois pour toutes le débat d’hier en nous servant aujourd’hui une version aseptisée ? Je n’en vois pas l’intérêt, ni pour mes contemporains, ni pour nos enfants.

« … On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu’on lui remette les armes, qu’on lui amène les chefs des cités. Il installa son siège au retranchement, devant son camp : c’est là qu’on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix, on jette ses armes à ses pieds… »
César sort de son camp, s’installe sur les lignes en face de l’oppidum pour vérifier si la condition est bien remplie (les clauses de la reddition). On lui livre les chefs – dont Vercingétorix – évidemment désarmés… les armes sont projetées (proiciuntur), et il ajoute : du haut des remparts.
M. Goudineau prend comme exemple une autre reddition. Assiégés dans leur oppidum et sommés de se rendre, les Atuatuques avaient jeté (jacta) leurs armes du haut du rempart dans le fossé.
Selon moi, la traduction de M. Goudineau est erronée.
1. Arma proiciuntur ne peut absolument pas se traduire par "les armes sont projetées" (du haut des remparts). Le Gaffiot, dictionnaire bien connu des latinistes, traduit l’expression projicere arma par jeter bas les armes, se rendre, autrement dit : rendre les armes. Lorsque les fantassins de Litavic comprennent qu’ils ont été trompés en voyant arriver avec la cavalerie romaine les cavaliers éduens qu’ils croyaient morts, ils rendent les armes (projectis armis), c’est-à-dire qu’ils les jettent à terre devant eux (DBG VII, IX). Projectis armis est une expression qui correspond à une situation de fin de combat, individuel ou collectif, où le vaincu, reconnaissant sa défaite, se rend en jetant largement en avant et devant lui ses armes aux pieds de son adversaire victorieux. C’est un signe de reddition comme le lancement du gant est un signe de défi. En revanche, lorsque les combattants de Bourges s’enfuient en jetant leurs armes, de même que les Morins, César utilise l’expression : abjectis armis. Enfin, dans le cas des Atuatuques, les armes sont jetées dans le fossé : armorum magna in fossam jacta ; cela n’a rien à voir avec le geste que sous-entend, dans son usage courant, l’expression projectis armis. En fait, comme c’est souvent le cas en latin, c’est le préfixe qui donne le sens au mot. Pro ajoute au radical le sens à la fois de devant et de près. Si l’on veut remonter à l’origine étymologique de l’expression, la meilleure traduction du projiciuntur arma du texte latin serait la suivante : les armes sont présentées - pro - et jetées symboliquement à terre aux pieds de César. De même, l’expression duces producuntur doit être traduite par : les chefs sont présentés, le radical n’ayant qu’une importance secondaire.
2 . Dans le cas des Atuatuques, la sommation de jeter les armes correspondait à une condition préalable au cessez-le-feu. Dans le cas d’Alésia, la capitulation ayant eu lieu, il était beaucoup plus logique de faire apporter les armes dans les lignes romaines par des valets plutôt que de se donner la peine d’aller les reprendre dans les rochers de la falaise ; et cela avec le risque et le désagrément de récupérer des casques, des cuirasses bosselés et des épées brisées, bref un butin déprécié.
En serrant au plus près le texte latin, voici donc ma traduction : « …Des députés sont envoyés à César pour parler de ce (qui a été décidé par le conseil gaulois). Celui-ci ordonne que les armes soient livrées et que les Premiers (lui) soient présentés. Lui-même établit son siège au retranchement, en avant des camps : les chefs (lui) sont présentés ; Vercingétorix est livré, les armes sont rendues… »
A partir de cette traduction, si on suit à la lettre le texte, on peut imaginer le déroulement suivant dès le matin :
La répétition du préfixe pro par César n’est certainement pas fortuite. C’est un mot qu’il affectionne. Les vaincus d’Alésia sont présentés comme devant un tribunal (pro tribunali), ou mieux, comme les gladiateurs qui venaient demander leur grâce à César lorsque celui-ci présidait aux jeux du cirque, dans le grand amphithéâtre de Rome.
La reddition de Vercingétorix est une mise en scène du vainqueur d’Alésia, une photographie publicitaire pour sa promotion politique, et s’il ne relate l’évènement qu’en quelque phrases concises et bien choisies, ce n’est que par fausse modestie, laissant à d’autres que lui le soin de proclamer sa gloire. Ces quelques phrases sont de la même nature que le fameux alea jacta est ou le veni vidi, vici : je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.
Et en effet, Vercingétorix à pied, noyé dans la foule, pouvait passer inaperçu. Mais à cheval, alors que les légionnaires se tenaient, debout, l’arme au pied, sur le rempart, sous le soleil d’automne, quel spectacle, quelle gloire pour Rome, quelle gloire pour César !
Plutarque précise que Vercingétorix, avant de mettre pied à terre, fit, à cheval, le tour de la tribune où César l’attendait. A supposer que la tribune ait été dressée sur le terrassement, cela n’est possible que si ce terrassement a été aplani.
Il ajoute que le chef gaulois est venu ensuite s’asseoir aux pieds de son vainqueur. Problème ! Difficile de penser que notre héros soit venu, de lui-même, prendre cette posture humiliante. La seule explication acceptable est que César en a fait une condition de la reddition, et cela pour que cette image corresponde à celle des fameuses monnaies commémorant les conquêtes de Rome, la monnaie de la Judée captive, par exemple.

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