Réflexions florentines
Seule une prise de conscience individuelle, et la responsabilité qu’elle induit, peut transformer la société... Si chacun de nous, là où il est, change ses rapports avec lui-même, les rapports humains s’en trouveront forcément changés, parce que nous sommes l’humanité, et que ce sont nos rapports et nos relations qui font la société dans laquelle nous vivons.
Fin d’année à Firenze, ville de mes rêves, ville d’où jaillissent l’humanisme et le feu ardent de l’humaine Dignité. Ici, plus que nulle part ailleurs, j’aime à imaginer ce qu’auraient été l’Europe et l’Occident si, au lieu de suivre Leonardo Da Vinci, le génial ingénieur des Ponts et Chaussées, nous avions suivi l’autre, l’humaniste, celui qui le premier nous a parlé de la Dignité humaine, j’ai nommé Giovanni Pico della Mirandola.
Car, malgré tout - et pour la plus grande joie des Fidèles d’Amour, Firenze vit encore dans cette atmosphère de beauté, de discrétion et d’intériorité, comme si le rêve humaniste avait "gagné", et que la mesure de l’art, de la philosophie et de l’humain étaient ici la mesure du monde. La bienveillance italienne, qui est bienveillance humaine, est si présente dans cette cité de la Renaissance qu’on en oublie instantanément la dureté et la sécheresse propres à la société française. Hélas, les "touristes" n’y sont pas tous identiquement sensibles, et l’on finit toujours par croiser dans ces rues pleines de grâce quelque râleur au visage fermé, mécontent, irrité, exaspéré, qui vous ignore tout autant qu’il semble ignorer la ville (j’exagère à peine en le disant), et - déception terrible, c’est toujours ou, disons, presque à coup sûr... un Français ! Vous savez, ce Français des Lumières - supérieurement éclairé, donc, l’hautain homo scientificus technologicus, l’individualiste "libéré" de tout "obscurantisme" subjectif.
Esthète, certes (c’est pourquoi il se trouve là), mais pour qui la relation humaine se doit d’être distante, tellement que l’autre et le monde ne sont plus que des concepts, et la proximité, la rencontre simple et directe, le dialogue... une gêne ! Bien sûr, je dis cela un peu par provocation (si peu, pourtant !), mais force est de constater qu’une société technocratique qu’on pourrait qualifier de vincienne - où la primauté est donnée aux sciences, au détriment de la philosophie, des arts et de la transcendance - ne produit que des rapports humains basés sur la compétition, le mépris de tout ce qui n’est pas hautement intellectuel... des rapports humains distants, asséchés, désenchantés, émanant de celui qui, "possesseur du meilleur", est finalement revenu de tout.
Mais ce que m’a rappelé Firenze ne se résume heureusement pas à ce triste constat. Certes non ! La cité m’a également rappelé, à travers l’oraison De la dignité humaine de Pic de la Mirandole, que nous pouvons, si nous le voulons, changer nos rapports avec nous-mêmes, et donc changer notre monde !
Seulement voilà : sommes-nous réellement, véritablement concernés par la transformation de cette société fondée sur l’indifférence, la compétition et la brutalité ? Suis-je effectivement consciente de l’urgence d’un tel changement, et du fait qu’il ne peut se produire qu’à travers le simple être humain que je suis ?
Si c’est le cas, alors je sais que je suis responsable de cet état de fait, mais aussi que je suis libre d’agir pour le transformer. Dans un référentiel non aristotélicien, nous percevons que si nos sociétés sont dominées par le grand nombre, celui-ci n’est cependant constitué que de l’addition de 1+1+1+1. Cela nous donne la certitude objective qu’après tout - et avant tout - une société n’est pas seulement un concept, qu’elle est faite de relations concrètes, et que ce sont les relations humaines qui font la société, le système dans lequel nous vivons.
Changer la société, c’est donc changer nos rapports avec elle. Nous savons tous que notre conduite détermine la conduite d’autrui. Dans un monde essentiellement brutal, on nous dit que nous ne nous en sortirons que si nous sommes compétitifs, égocentriques, matérialistes, individualistes, cruels, bref, sans état d’âme ! Mais est-ce vraiment la seule manière d’être au monde ? Et, considérant l’état des lieux, ne peut-on pas se dire qu’un autre rapport au monde n’est pas forcément impossible ? Car après tout, nous progressons... Nous savons tous, au plus profond de nous-mêmes, qu’un autre monde est bel et bien possible, mais c’est parce que nous ne croyons pas en nous-mêmes, en notre capacité individuelle, que nous nous résignons, et finissons par devenir "adultes", c’est-à-dire sans "rêves", ancrés les pieds sur terre !
Bernard Shaw nous dit que "la liberté signifie la responsabilité", et il ajoute que "c’est pourquoi la plupart des hommes la craignent". Je le pense aussi... Nous laissons faire le désenchantement, issu de l’objectivité radicale qui dit la dure réalité du monde, parce que nous craignons cette même responsabilité qui nous met face à face non pas avec notre prétendue "toute impuissance" à changer quoi que ce soit, mais au contraire avec la certitude que nous le pouvons si nous le voulons vraiment... Il nous suffit, pour cela, de regarder l’histoire de ceux qui ont participé aux divers changements, qui ont influencé le monde. Ce sont bel et bien des hommes et des femmes comme nous, qui se sont pris en main et n’ont abdiqué d’eux-mêmes à aucun moment. C’est une évidence... et n’en déplaise aux incroyants, croire en D.ieu c’est croire en l’homme, et peu importe en qui l’on croit si l’on croit !
Car c’est de cette confiance en soi que naissent les actes qui créent notre monde, notre société ! Et c’est aussi grâce à cette confiance que nous pouvons avancer dans notre prise de conscience, et comprendre que le monde dans lequel nous vivons, c’est nous, que sa complexité, c’est la nôtre, que sa cruauté, c’est aussi la nôtre, et que si la société est inhumaine et brutale, c’est parce que nos rapports sont brutaux et inhumains. Si chacun de nous, là où il est, change ses rapports avec lui-même, les rapports humains s’en trouveront nécessairement changés, parce que nous sommes l’humanité, et que ce sont nos rapports et nos relations qui font la société dans laquelle nous vivons.
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON