Une démocratie libérale d’oligarques
Nous avons la chance de vivre dans une démocratie libérale d’oligarques. Autant savoir qui nous sommes. Assumons-le et mieux, revendiquons le haut et fort. Tout le monde n’a pas cette chance. Il s’agit d’une démocratie qui fonctionne selon des règles et des institutions définies par la loi de ceux pour qui nous avons votés et qui se chargent en votant entre eux des détails d’organisation. Simple et efficace.
Autant savoir qui nous sommes.
Et comment nous nous y prenons pour que tout cela fonctionne pour le mieux dans le meilleur des mondes démocratiques possibles. Le cadre, les thèmes, les sujets de débats et leurs angles de présentation, la manière de restituer les actualités et ce qui fait actualité, les images, les éléments de langage, la fréquence de leur répétition, la diversité des organes de diffusion sont pour l’essentiel sous le contrôle et la responsabilité de ceux d’entre nous, aidés bien sûr et représentés par des professionnels compétents et appliqués, qui imposent leurs priorités et lignes rouges dans les domaines politiques et sociales à ceux qui envisagent de faire une carrière politique au service du fonctionnement de notre démocratie. Au nom du sacro-saint principe démocratique lui-aussi de « qui paye l’orchestre choisit la musique ».
Dans ce système bien rodé maintenant, nous avons tous ensemble la chance de vite savoir qui mérite notre attention pour que nous ayons ainsi bien le temps en évitant d’en perdre de nous y habituer. En entendant parler de ce qu’ils font et disent et d’ainsi pouvoir en discuter avec l’aide de nos professionnels qui mettent en valeur les points importants à retenir en nous disant quelles questions se posent et comment. Ce qui nous permet d’en débattre entre nous en connaissance de cause. Nous avons aussi la chance, assez précieuse, de savoir ensuite ce que nous en pensons tous ensemble puisque des sondages nombreux et bienvenus reprennent tous ces thèmes sur lesquels ils nous interrogent alors en toute simplicité. Des sondages dernier cri, par internet, parce que cela va vite et pour ne pas perdre de temps dans des divagations qui ne mènent nulle part. Avec des bons d’achats qui récompensent pour ce moment passé à répondre ceux qui nous représentent et qui sont à notre service. Nous pouvons ainsi mieux voir comment se dégagent les meilleures tendances et ceux qui comptent vraiment. Cela nous permet donc d’en parler et de savoir ce qui est important pour nous. Et donc de décider pour qui il est utile de voter. Ne l’oublions jamais, la démocratie, c'est sa beauté, ce n’est pas une prise de tête, c’est simple et clair. Pas de grandes questions sans fin à se poser. Et heureusement, nous n’avons jamais eu autant de professionnels pour nous éclairer. La démocratie se doit d’être simple et efficace grâce à des mouvements d’opinion tels que portés et révéles par nos professionnels et nos sondages. Car nous avons besoin de pouvoir nous appuyer sur les élans spontanés que nous mettons en valeur dont elle-même a besoin dans ses rituels de confirmation et de choix de ses responsables et dirigeants.
Une société mise sous assistance médiatique.
Cela a été étonnamment facile à réaliser sans véritable réaction de la société. Beaucoup de politiques y ont contribué depuis longtemps dont des acteurs clefs, qui se disant de gauche, ont entretenu la confusion entre libéralisme et libertés à notre profit. Et nous l’avons enfin mise sous assistance médiatique prolongée pour le bien du plus grand nombre. Afin donc que nous puissions distiller en continu nos valeurs libérales économiques et sociales comme naturelles et indépassables et très vite mettre en valeur les meilleurs candidats qui nous intéressent en organisant une confrontation de personnes au sein même de la famille élargie, jouant tous sur le même terrain. Les autres étant tout aussi naturellement marginalisés voire diabolisés si nécessaire. L’enjeu étant d’amener au pouvoir un candidat qui répond à nos attentes tout en apparaissant crédible à suffisamment de gens. Dans un combat si possible d’autant plus spectaculaire qu’il est fictif. C’est le challenge par excellence d’une passe électorale dans notre type de démocratie. Heureusement notre maîtrise, le suivisme du service public de l’information, nos sondages ont permis jusqu’ici à un candidat, le moins mauvais ou le plus vaillant, comme on veut, le plus soutenu par nos soins en tout cas aux moments décisifs, de se faufiler deux fois maintenant entre les chicanes bien balisées des élections. Pour et si possible à grands pas nous conduire le plus vite possible vers l’étape suivante, celle d’une démocratie encore plus élargie, celle de l’UE. Moins soumise aux aléas des opinions locales grâce à son fédéralisme rassembleur qui finira par s’imposer, espérons-le. En tout cas, travaillons-y sans faiblesse ni pause chaque fois que c’est possible. La pédagogie, les sondages et enquêtes d’opinion devraient pouvoir alors asseoir le consensus libéral dont nous avons besoin et auquel nous aspirons tous. Que l’on pourra protéger de la dissidence par un état de droit régénéré et complété comme il se doit.
Une phase de transition.
Pour le moment, en phase de transition, nous devons continuer de jouer la carte de l’extrême-droite pour enrayer toute prise de conscience toujours dangereuse et rendre autant que faire se peut toute poussée électorale inspirée d’un socialisme démocratique inopérante grâce à la confusion et les divisions ainsi cultivées. Une certaine gauche nous ayant rendu le service décisif vers lequel il est vrai nous l’avions bien poussée, se parjurer en faisant notre politique sous la promesse de quelques emplois. Nos pratiques qui consistent à endiguer ces poussées en les diabolisant et les rudoyant ont généré à la fois une abstention massive et des minorités bruyantes agitées par le populisme traditionnel de l’extrême-droite. Avec un succès mitigé et une certaine chance. C’est une aubaine inespérée qui a fonctionné deux fois, mais, soyons lucide, c’est avant tout aussi une position très fragile qui repose essentiellement sur le rempart médiatique que nous opposons. En faisant de celle-ci notre paratonnerre aspirant une part des mécontentements exprimés par le vote, détournant aussi la plus grosse part dans le fatalisme de l’abstention et, ironie de l’histoire, en lui permettant en même temps de se faufiler au second tour de justesse. Poussant finalement d’autres électeurs à sauver la mise à notre candidat deux fois de suite. C’est le paradoxe républicain en forme d’arnaque qui ne se produira pas une troisième fois. Le score des législatives a été un avertissement où nous avons du soutenir le RN pour bloquer l’extension de la NUPES et ce qu'elle représente. Par ailleurs, nous ne pouvons plus invoquer un rempart républicain paraissant authentique quand notre champion a du reprendre les idées de l’extrême-droite en lui empruntant à l’occasion ses éléments de langage pour tenter de dissimuler les conséquences et les objectifs des politiques menées à notre demande.
Soyons clair.Nous allons bel et bien vers une coalition dans la suite du scrutin qu’il faudra officialiser avec l’extrême-droite et ce qui reste du social libéralisme. Puisqu’en réalité, comme pour l’Italie qui nous a précédés, nous mêlons régulièrement déjà nos votes au service du libéralisme économique ici et au parlement européen, loin des postures de campagne électorale où chacun essaie d’accumuler le plus de mandats avec des promesses de circonstance. Heureusement que nous avons le contrôle des médias pour pouvoir habiller ces évolutions.
Les risques encourus à ne pas négliger.
Il est difficile de cacher les difficultés sociales et la vulnérabilité de la vie de bon nombre de nos concitoyens. Un chômage persistant qui va de pair avec la précarisation des nouveaux emplois et les incertitudes et inquiétudes sociales que cela génère. Difficilement entamables par la communication de statistiques à visée lénifiantes et anesthésiantes qui sont perçues à l’occasion comme des provocations. Des problèmes structuraux dans tous nos services publics qui pâtissent de nos souhaits d’une fiscalité de moins en moins progressive quand en réalité, il faut bien le dire, notre richesse s’accroît tout en se concentrant. Un retard structurel aussi concernant le logement social qui touche les classes populaires mais aussi les classes moyennes avec des effets de plus en plus inquiétants vis-à-vis de ghettos laissés à la dérive depuis bien trop longtemps. Quand nous cultivons le goût de l’entre-soi en repoussant toujours plus loin ceux qui dans ces conditions sont condamnés à subir. Tout cela ressemble à une bombe sociale dont nous nourrissons sans nous l’avouer la capacité explosive. Sous le prétexte, qu’ailleurs, nous les grands voyageurs, voyons bien que les gens en supportent bien plus et que cela profite largement à nos affaires qui se développent d’ailleurs en entretenant les déséquilibres du monde comme si de rien n’était. Cela concerne pourtant des pays où le niveau d’éducation n’est pas le nôtre, qui pour la plupart n’ont connu que des régimes très autoritaires alors que nous affichons un pacte démocratique et avons une longue expérience historique de menées sociales significatives et aussi le goût de savoir et comprendre dans notre héritage pas encore tout à fait dispersé ou dissous.
Nous sommes une minorité qui possédons la majorité du patrimoine du pays et des revenus mobilisés chaque année, la majorité des organes d’influences sociales, économiques et culturels dans un mouvement de concentration mondial encadré il est vrai de plus en plus difficilement par les leaders historiques de l’économie libérale, les classes dirigeantes étatsuniennes. Nous jouissons quoiqu’on dise d’une fiscalité qui nous comble. Nous avons pris le pli de méthodiquement détourner ou dénaturer toutes les demandes sociales de peur de la contagion et surtout d’en voir démontrer l’efficacité économique. Nous sommes accompagnés d’un sentiment mêlé de légitimité agressive et de manques impossibles à satisfaire. Occupés que nous sommes à rivaliser entre-nous au prix de chercher à toujours devoir minorer la valeur du travail de ceux que nous employons afin d’égaler ou surpasser nos pairs.En reprenant le flambeau de ceux qui nous ont précédés avec la pression de devoir aller toujours plus loin. Au lieu d’être au service du collectif, nous l’avons mis à notre service. Sans comprendre que dans nos démocraties libérales d’oligarques, l’abstention devenue massive est comme un appel désespéré à la recherche de nouveaux équilibres économiques et sociaux, un appel au respect de la parole donnée et à la prise en considération effective de toute la population qui se vit encore en citoyens.
Sans vouloir voir qu’à l’évidence cette abstention mêlée de résignation et de patience a fait long feu et qu’avec la prise de conscience de l’amplitude de nos manœuvres et de notre persévérance, la situation est en train de se retourner. L’extrême-droite a bien entendu fait le jeu du libéralisme et ses élus votent d’ailleurs selon nos vœux sans rechigner sur tous les points économiques clefs. Réservant ses promesses et l’hystérisation binaire des troubles sociaux pour ses supporters le temps d’une campagne en évitant ainsi les sujets de fond qui font réfléchir. Evidemment, rien de cela ne serait possible pour elle sans la logistique de nos médias et instituts d’opinion. Ses militants et soutiens sincères n’y sont au fond qu’une forme de harkis qui s’ignorent au service d’élus ambitieux et avides de jeux politiques. Restent alors les cocus plus ou moins consentants que nous allons chercher avec insistance grâce à nos médias et sondages mais qui sont en réalité peu nombreux, bien loin de l’enflure de nos sondages justement, qui ont quand même sauvé jusqu’ici notre candidat de justesse.
Le plus redoutable pour nous étant maintenant le réveil et la remobilisation des milieux dits populaires qui inclut une partie des classes moyennes en fait et parmi eux les classes d’âge jeunes qui sont concernées au premier chef par l’avenir que nous leur réservons. Paradoxalement, pour que notre démocratie libérale d’oligarques perdure, il faut que ceux-ci, très nombreux n’éprouvent plus le besoin de voter.
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