Vercingétorix : au nom de la liberté !
Le lendemain, sur la hauteur d’Alésia, à Alise-Sainte-Reine, le conseil gaulois ayant été rassemblé, Vercingétorix déclare : « Si j’ai fait cette guerre, ce n’est pas pour mon ambition personnelle mais pour la liberté de tous. Puisqu’il faut céder à la fortune, je me livre à vous. Tuez-moi ou livrez-moi vivant aux Romains ! Puissent-ils se satisfaire de mon sacrifice ! »
Telles furent les dernières paroles que prononça le jeune chef gaulois. César qui se targue de vouloir "fournir des matériaux à ceux qui s’occupent d’écrire l’histoire" (1), aurait perdu toute crédibilité auprès de ses lecteurs s’il n’avait pas rapporté telles quelles les paroles de celui qu’il avait vaincu. Cette déclaration tout empreinte de dignité est dans la plus pure tradition de la culture antique. Quelque temps auparavant, le chef arverne Critognatos avait prononcé un véritable discours à la Démosthène devant l’assemblée des assiégés. Ce discours montre à l’évidence que les nobles gaulois n’étaient pas aussi incultes qu’on s’est plu à le dire. Leurs médailles nous révèlent par ailleurs dans leurs inscriptions l’étonnante imbrication des deux langues courantes de l’époque, le grec et le latin.
Vercingétorix était fils de "rix". S’inscrivant dans la lignée des fameux rois Luern et Bituit, il n’a pu être élevé que dans un palais construit en "solides pierres cimentées au mortier de chaux" (2), un palais qui se dressait dans une ville qui ne pouvait pas être moindre que la ville gauloise que les chercheurs du CNRS ont mis récemment au jour sur le mont Lassois... une ville capitale fortifiée. De même que César semble avoir bénéficié des leçons d’un rhéteur gaulois (3), Vercingétorix a obligatoirement reçu une éducation guerrière mais aussi littéraire - ses déclarations prouvent qu’il s’exprimait remarquablement bien. Florus le décrit comme un personnage hors du commun qui en imposait à tous : "terrifiant par son physique (corpore), par son intelligence (spiritu) ainsi que dans tout ce qui est en rapport avec la guerre (armis)". Il le présente en outre comme un orateur exceptionnel qui entraînait les foules.
Son nom est manifestement un mot composé qui évoque les pouvoirs et symboles représentatifs de la société gauloise : ver comme vergobret, cing comme cingum, ceinture, collier ou torque, rix comme commandant en chef. Et il y a aussi le mot "toge" (4) qui se devine en filigrane ou en lettres inversées comme dans d’autres noms composés de l’époque : Togirix, Orgetorix, Cingetorix. Ainsi donc, Vercingétorix aurait été investi de plusieurs pouvoirs pour mener sa guerre contre les Romains alors que son père Celtill avait été exécuté par ses compatriotes pour avoir eu des velléités de pouvoir personnel.
Vercingétorix affirme qu’il a fait cette guerre pour la liberté de tous "communis libertatis causa". On ne peut comprendre le sens profond de cette expression que si on se replace dans le contexte de la société gauloise de l’époque (5). En outre, en tenant compte du sens premier qu’avaient ces trois mots, on est amené à penser que Vercingétorix ne s’est pas battu seulement contre l’envahisseur romain mais pour une cause - causa - qui pourrait bien être l’abolition dans son peuple de ce qui deviendra, au Moyen Age, le servage. Autrement dit, Vercingétorix aurait eu la volonté politique d’accorder le droit de citoyen (libertas) à ceux qui ne l’avaient pas, c’est-à-dire à tout le monde (communis). Le récit de César montre en effet que c’est dans les classes défavorisées que le chef gaulois a trouvé son principal soutien. Il ne fait pas de doute que c’est une volonté de révolution qui l’animait (8). Mais il y avait César et son armée. C’est grâce à cet appui extérieur que les partisans de "l’amitié romaine" l’ont emporté. Il faudra attendre 1789 pour que l’égalité citoyenne soit enfin reconnue.
Le deuxième axe de la politique de Vercingétorix apparaît dans sa volonté clairement affichée de faire l’union de la Gaule. S’imaginer une Gaule indépendante "qui n’existerait pas", peuplée de laboureurs astucieux certes mais non socialement organisés, relève de la plus complète absurdité. La Gaule était organisée suivant le modèle grec en un grand nombre de cités, relativement florissantes, mais qui n’avaient de liens entre elles que sous forme de confédérations ou de ligues. Pouvant se défaire ou se recomposer suivant les aléas de la situation politique - les grandes expéditions gauloises jusqu’à Rome et Delphes le prouvent - ce système a montré sa faiblesse lorsque le conseil de la cité biturige n’a pas suivi la décision commune en ne voulant pas évacuer sa ville de Bourges, et donc, de ne pas brûler les réserves de blé qui s’y trouvaient stockées. C’est ce blé qui a permis à l’armée romaine d’échapper à la famine.
La très orgueilleuse phrase que Napoléon III a fait graver au pied de la statue de Vercingétorix qui se dresse à la pointe du mont Auxois est un contresens manifeste. Au lieu de "La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’Univers", il aurait fallu écrire : "Je ferai de toute la Gaule un seul conseil (de gouvernement) dont personne au monde ne pourra contester les décisions dès lors qu’elles auront été prises dans une volonté commune" (DBG VII, 29).
Sur fond d’espérance démocratique, la guerre des Gaules nous apparaît ainsi sous un jour nouveau, celui du difficile choix entre le droit des peuples libres à disposer d’eux-mêmes et la nécessité d’un ordre imposé comme ce fut le cas, après la conquête, avec la "pax romana", la paix romaine.
Les photos et croquis sont de l’auteur
Renvois :
1. Suétone. La vie des douze Césars.
2. César. DBG VII, 23. Description des murs gaulois : ...on place les pierres en les alignant soigneusement et en les cimentant entre elles - coagmentatis saxis - et non en les encastrant comme on l’a traduit jusqu’à maintenant.
3. Suétone. Vies des hommes illustres.
4. La toge : long vêtement blanc, parfois en drapé, que le citoyen revêt avant de se rendre à la réunion du conseil.
5. "Les hommes du peuple sont presque entièrement soumis (à la classe des druides et des nobles cavaliers), n’osant rien faire par eux-mêmes et n’étant jamais consultés. Beaucoup, ruinés par les dettes, par les tributs, les taxes et par les procès perdus contre plus influents qu’eux, s’attachent à des hommes connus, renommés et d’honorable extraction. Ils se mettent dans leur entière dépendance et leurs maîtres ont sur eux tous les droits qu’on peut avoir sur des asservis." (DBG VI, 13)
6. "Dans tout le pays éduen, la révolution éclate (permovere : agiter fortement, DBG VII, 38). Les Eduens pillent les biens des citoyens romains, ils les massacrent, ils les traitent en esclaves. Convictolitavis, de son côté, entraîne la plèbe dans une fureur révolutionnaire, en sorte que les crimes une fois commis, il ne soit plus possible de revenir à l’alliance romaine." (DBG VII, 42)
Notes : le plus sûr moyen de se tromper sur le personnage de Vercingétorix et sur son entourage est de lire les très nombreux livres qui lui ont été consacrés. Le mieux est de le découvrir dans son action et dans ses paroles en relisant les Commentaires de César.
Si Vercingétorix avait été dans l’amitié de César avant sa "rébellion", César l’aurait dit. Ce qu’il reproche à son adversaire, selon Dion Cassius, c’est plutôt d’avoir trahi l’amitié - c’est-à-dire l’alliance entre les Arvernes et Rome qui avait été forcément conclue après la défaite des premiers en 121 avant J.C. Orose dit la même chose. Il écrit que c’est Vercingétorix qui prit la grave responsabilité de rompre le pacte qui liait son peuple aux Romains.
Concernant le mot "rix", j’y verrais plutôt le sens de "guide" ou de "choisi" par ceux qui font partie de la classe dirigeante, druides et nobles cavaliers, les familles les plus illustres ayant évidemment plus de chances d’accéder au pouvoir. Je ne pense pas qu’on puisse parler de monarchie et de pouvoir héréditaire.
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