Bordeaux, Languedoc : même combat contre les vins de « mascarade »
Certains vins de Bordeaux et de Languedoc se rejoignent aujourd’hui sur un critère : leur surconcentration, qui leur donne un goût à la limite de l’écœurement, associée à des prix inadmissibles. Découlant de cela, les deux vignobles sont également touchés par une crise évidente, de surproduction certes, mais aussi par une « crise de confiance ». Gare au bluff, donc.
LE LANGUEDOC
Franchement, quand je déguste certaines
cuvées de la région, je me demande qui les achète. Très (trop)
concentrés, on trouve en effet des rouges proposés en plus à des prix
déments, incautionnables. Cela devrait pourtant s’assainir. À suivre.
On va se contenter des producteurs qui élèvent des vins racés et typés, dans l’ensemble du territoire, des Corbières à Saint-Chinian, de Faugères en Minervois, en passant par les Coteaux-du-Languedoc, Fitou ou vins de pays, à des prix remarquables. Des grands vins ici, il y en a, mais les terroirs sont connus et ne s’étendent pas. La force de ces vins est d’avoir su conserver leur spécificité qui se dévoile au travers des cépages de la région, chacun s’exprimant au mieux selon les sols d’alluvions, d’ardoise, de schiste ou de calcaire, en bénéficiant d’un beau rapport qualité-prix.
Trois cas de figure définissent la région :
-
Il y a les vignerons qui, et depuis longtemps, ont toujours su
maîtriser les rendements, vinifier et élever leurs vins, en respectant
leur spécificité, sans vouloir copier telle ou telle appellation plus
connue. Daumas-Gassac en est le fer de lance, suivi par des Corbières
(la famille Gualco, Grand-Caumont, Vieux-Moulin...), puis des Minervois
(Blomac, Villerambert-Moureau...), et aussi d’autres appellations
(Antech...). C’est le noyau dur des grands vins du Languedoc, même si
certains ont tendance à l’oublier. La plupart sont à la tête de leurs
appellations respectives, et le fait de s’y maintenir mérite un coup de
chapeau.
- Il y a ensuite les propriétaires, dans toutes les
appellations, qui ont évolué plus récemment vers une recherche
qualitative semblable, notamment ces dernières années. Ils ont cru en
leur région et je les ai soutenus dès le début. On retrouve ici les
grandes valeurs sûres comme Fabas, Vaugelas, Oustric, Barrubio... et
quelques caves. On les retrouve tout naturellement dans le haut du
classement.
- Il y a enfin ceux qui ne sont pas installés
depuis longtemps dans la région ou des propriétés qui ont été reprises
par des vignerons d’autres régions ou les enfants. On les défend avec
plaisir car ils s’attachent également à produire des vins typés et de
qualité, à des prix très abordables (6 à 12 euros). Attention à ceux
qui pourraient se laisser piéger à développer des vins de vinification
plutôt que de terroir.
Des vins de mascarade
Et puis, il y a donc quelques producteurs, marchands et grands groupes qui nous (et vous) font croire que leurs vins ressemblent à quelque chose. Ces vins de mascarade (en Coteaux-du-Languedoc et en vins de cépages notamment), où l’on parle de “vins à haute expression” (expression de la méthode de vinification et du bois neuf surtout...), qui “sentent le goudron ou le café” (cela donne envie, non ?), la réglisse (on n’est pas loin de l’écœurement)... Idem pour les cuvées de vins blancs totalement fabriquées dans les chais où l’on est fier de vous faire sentir “la mangue et autres fruits exotiques”. Il s’agit donc de ne pas confondre l’ensemble d’une progression qualitative certaine et le développement de ces vins “fabriqués” et “putassiers” qui attirent les investisseurs comme des mouches, et sont, hélas, soutenus par des “critiques”, notamment américains (ce sont les mêmes qui soutiennent les “vins de garage” bordelais). Ce problème s’étend aux vins de cépages, où je ne vois toujours pas l’intérêt de planter des cépages qui se plaisent mieux dans des régions beaucoup plus froides (les bonnes exceptions existent), ni de se lancer dans des vinifications sophistiquées pour pouvoir remplir un dossier de presse... et mentionner des prix inexcusables sous prétexte que l’on peut mettre sur une étiquette les noms de Chardonnay ou de Merlot, ou que l’on croit qu’il suffit d’acheter des barriques neuves et de se payer les services d’un œnologue “tendance” pour faire un grand vin.
LE BORDELAIS
Comme
en Bourgogne, on ne peut que regretter que beaucoup de crus bordelais,
réputés ou non, “classés” (en 1855..., merci pour l’actualisation) ou
non, “classés” à Saint-Émilion ou en “Crus Bourgeois” du Médoc (les
deux classements étant juridiquement obsolètes, ce qui la fout bien)
atteignent des prix qui ne sont plus conformes au plaisir qu’ils
procurent.
J’aime les vrais vins de Bordeaux, du plus grand au plus modeste, et les consommateurs comme les producteurs savent que je défends ce qui les intéresse, et les distingue : le rapport qualité-prix-typicité. Si l’on fait un grand Margaux ou un Pomerol racé à 40 ou 80 euros, il les vaut bien. Idem pour une gamme plus abordable, en Graves, dans les Satellites, les Côtes ou en Bordeaux supérieurs, où les progrès sont exceptionnels.
Des prix incautionnables
En dehors
de quelques crus mythiques pour lesquels le prix n’est plus un facteur
estimatif (on entre alors dans le monde du luxe), ce qui n’est pas du
tout justifié aujourd’hui, et on l’a vu - hélas - avec les
augmentations de prix du millésime 2005, c’est un Saint-Émilion “fardé”
comme un acteur du carnaval de Venise à 80 euros (voire bien plus), un
“simple” Médoc à 25 euros, un “bon” machin à 20 euros ou un Bordeaux
supérieur ultra-barriqué à 15 euros. À force de prendre les
consommateurs pour des gogos (demain, les Russes ou les Chinois le
comprendront aussi), certains vont s’en mordre les doigts...
Les crises de Bordeaux
Pour mémoire, il existe deux “crises” actuellement, très différentes, voire opposées, dans beaucoup de vignobles :
- Celle, désastreuse pour ceux qui la subissent, qui touche certains
viticulteurs, la plupart étant dépendants des prix trop bas du tonneau,
qui ont du mal à se faire rémunérer correctement. Les causes sont
complexes (un certain négoce peu solidaire parfois, une politique de
plantation trop importante, des barrières étatiques...). Ils méritent
d’être soutenus, et l’on fera ce que l’on peut pour les aider. C’est
une crise sociale.
- L’autre crise concerne un bon nombre
de vins, à Bordeaux, notamment : trop chers ou trop sensibles à la mode
(“vins de garage”), trop endormis sur leurs lauriers, trop imbus
d’eux-mêmes, alors que le respect des consommateurs (proposer un vrai
rapport qualité-prix cohérent) est impératif. Les acheteurs se sont
sentis lésés. On parle beaucoup trop d’argent, de prix, de bonnes notes
glanées chez un “gourou” quelconque, et c’est ce que le consommateur
retient, alors que, bien sûr, ceci ne concerne qu’une petite minorité.
C’est une crise de confiance, et, en même temps, une crise d’identité,
tant un bon nombre de vins ont perdu leur spécificité.
Les “primeurs” (depuis 2000, et surtout 2005 où certains crus ont sorti des prix déments et incautionnables) font des vins bien trop chers, et cela commence à créer un sérieux malaise à Bordeaux, tant il y a de différence entre deux vins d’une même appellation. Pourquoi payer une bouteille à 50 ou 200 euros quand on peut trouver du plaisir dans une bouteille 4 à 10 fois moins chère (même si, et je le sais, les vins ne sont pas “comparables”) ?
Les vins "confiturés"
Je n’ai
jamais soutenu ces vins “parvenus” qui se moquent bien du marché
français (et de ses consommateurs). Je ne suis pas non plus intéressé
par les vins “confiturés”, sans âme ni vertu, qui font tort à la grande
spécificité bordelaise. Pour faire ces “vins”, on récolte des raisins
surmaturés, on concentre à outrance (avec des concentrateurs) lors des
vinifications, on met le tout dans des barriques où le bois peut, sur
demande auprès des tonneliers, vous donner le goût que vous recherchez
(de la vanille, du sirop, de la confiture...), et on vous sert un vin à
la limite de l’écœurement, noir comme de l’encre, gras comme de l’huile
et parfumé comme votre bureau en bois.
- Si les vins du
Médoc (le dernier classement “officiel” des Crus Bourgeois est passé à
la trappe sur le plan juridique, comme celui de Saint-Émilion, et on le
comprend) sont réputés, ce n’est pas pour être des vins intouchables à
cause de leur prix ou “putassiers”, ces vins ou microcuvées qui
n’existent que pour rafler de bonnes notes à des concours et ne
correspondent plus à la grande tradition médocaine. Ces pratiques sont
une honte pour la majorité des grands vins de la région, qui sont des
vins fermés dans leur jeunesse, typés par leur terroir, et qui
demandent d’évoluer dans le temps pour s’exprimer, en fonction de
chaque millésime, respectant ainsi la nature. La force du terroir est
la base de tout. Les autres sont sans intérêt, et les prix sont souvent
déments.
- À Pomerol, il y a des vins splendides, très typés
par le Merlot qui se plaît à merveille dans ces territoires
diversifiés. Il faut noter que, les exceptions et les excès confirmant
la règle, les vins bénéficient d’un rapport qualité-prix-typicité
justifié par la rareté comme par la convivialité et l’amour du vin.
-
À Saint-Émilion, on revient dans les histoires de clochers, et à
beaucoup trop de frime. Outre un classement “officiel” qui fait plutôt
sourire, faisant “monter” certains crus pour le moins incongrûment et
discréditant d’autres (Guadet, Faurie, Cadet-Bon, Lamarzelle, Petit
Faurie de Soutard, La Tour du Pin Figeac...) qui ne le méritent
vraiment pas (le classement est d’ailleurs annulé par un jugement
actuellement), on ne peut aussi qu’être déçu par des vins totalement
“fabriqués”, vinifiés par ceux qui croient avoir la “science infuse” et
veulent nous faire croire qu’en mettant un vin “200 % en barriques
neuves” ou en multipliant les manipulations œnologiques, les
concentrations et des “essais”, on sait faire du vin ! Ceux-là se
moquent des amateurs et des autres vignerons de l’appellation que nous
défendons, qui savent très bien s’il faut mettre 10 %, 20 %, 30 %, 50 %
de leur vin en barriques neuves, ou moins, ou plus, selon la force du
millésime et la structure du vin. On ne fait du bon vin, et a fortiori
un grand cru, que sur des terroirs propices, de la “crasse de fer” aux
argiles profondes, assortis de dépôts marins ou d’alios. Gare à
certains prix, totalement injustifiés.
Les meilleurs vins de
Montagne, Puisseguin, Lussac ou Saint-Georges se retrouvent dans le classement des “Satellites” de Saint-Émilion, et proviennent de
terroirs spécifiques, limitrophes ou rapprochables d’autres sols
d’appellations plus prestigieuses, ce qui leur permet de devenir de
grands vins à part entière.
- Bien que certains tentent de
les mélanger, les deux appellations Canon-Fronsac et Fronsac partagent
à la fois des différences et des similitudes. Là aussi, des vins sont
surcotés et beaucoup plus marqués par leurs vinifications que par un
terroir.
- Pour les Graves, il existe une variété importante
de styles de vins. Cela va des crus réellement (et historiquement)
exceptionnels, issus des territoires de Pessac, Martillac ou Léognan,
mais aussi ceux de Podensac ou Portets, certains d’entre eux, dans les
appellations Pessac-Léognan (quelques-unes des plus belles bouteilles
de la région dans les millésimes 2005 et 2004) comme dans celles des
Graves, bénéficiant d’un remarquable rapport qualité-prix-plaisir,
d’autres crus atteignant des prix difficilement cautionnables. C’est
évidemment le berceau des grands vins blancs de la région bordelaise.
- Dans les appellations de Côtes, qui se cherchent toujours, il s’agit de choisir entre les vins typés comme nous les aimons, et d’autres cuvées très spéciales, dépersonnalisées (à ne pas confondre avec les cuvées de prestige retenues), faisant la part belle à des vinifications trop sophistiquées, peu propices à mettre un terroir en avant, s’il existe.
- Dans
les Bordeaux supérieurs, les progrès sont constants depuis plus de dix
ans, et, loin de la démence des prix de certains autres “cuvées spéciales”, on savoure de nombreux vins remarquables pour leur rapport
qualité-prix-plaisir. La plupart des propriétaires retenus élèvent
aussi de jolis Bordeaux blancs qui ont du mal à se faire une image.
-
À Sauternes (et Barsac), l’équilibre géologique et climatique de la
région en fait un milieu naturel idéal pour cette fascinante biologie
qu’est le Botrytis cinerea. L’appellation a connu une série de
millésimes très différents, du plus exceptionnel (2004, 2001, 1999...) au
plus difficile (2002). Attention au passerillage, qui n’a rien à voir
avec le Botrytis...
En liquoreux, les appellations situées face à
Sauternes, recèlent des vins onctueux, qui ont du mal à se faire un
nom, pourtant d’un très bon rapport qualité-prix-plaisir.
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