Contrat nouvelle embauche, un contrat dévoyé de son objectif
Faut-il garder le CNE ? Après neuf mois d’usage, nous avons les moyens d’en débattre tant sur le plan légal que sur le plan économique ou social .
1°) Ce contrat répond-il à l’objectif qui était le sien lors de sa conception ?
Un entrepreneur pourrait aisément accuser le gouvernement de "publicité mensongère" en ce qui concerne le contrat de nouvelle embauche.
Le fait est que devant les prud’hommes, l’employeur est tenu de donner la motivation de la rupture du contrat pour les mêmes raisons juridiques que celles qui prévalaient pour le CPE.**
Faute d’avoir consulté les partenaires sociaux sur ce point, le gouvernement a donc fait du CNE un véritable risque juridique pour les TPE et PME qui ont de bonne foi rompu ce contrat.
2°) Ce contrat est-il utilisé comme un "vrai CDI " et quelles difficultés d’application génère-t-il ?
Les permanences juridiques en droit du travail constatent maintenant qu’il est dévoyé dans son utilisation par certaines entreprises.
En effet, le CNE, au lieu d’être utilisé comme le CDI qu’il devait être, a été massivement utilisé comme une alternative au CDD jugé trop contraignant. Le CNE paraissait plus commode que les CDD, en ce sens qu’il n’était pas encadré dès sa signature par des dispositions légales en limitant l’usage (surcharge de travail, remplacement d’absences, etc.)
L’utilisation d’un CNE à la place d’un CDD est évidemment contraire à l’application de bonne foi du contrat de travail et génère des préjudices pécuniaires importants pour les salariés congédiés par anticipation .
C’est ainsi que l’on a vu des sous-traitants en cascade remercier une partie des CNistes qui nettoyaient les canalisations de la centrale atomique du Bugey au bout d’une semaine de travail, alors que ceux-ci s’étaient déplacés de l’autre bout de l’hexagone pour un chantier qui devait durer un mois minimum . Qui plus est, ces salariés avaient pris pension pour un mois dans les hôtels avoisinants en toute bonne foi.
L’explication donnée a été que l’importance du chantier ne justifiait pas une équipe aussi fournie, ce qui revient à dire que par le CNE, ce sont les salariés qui assument les erreurs dans l’organisation du travail des employeurs et donc les risques entreprenariaux.
Mais il y a une autre explication plausible : la réglementation de la santé au travail interdit d’exposer les salariés à une contamination radio-active au-delà d’un certain seuil annuel . Il est donc possible que certains de nos CNistes soient intervenus dans une zone plus exposée que d’autres de leurs collègues, d’où cette rupture anticipée du contrat.
On voit bien à travers cet exemple que certaines questions liées à ce dispositif n’ont pas été traitées : est-il admissible que les salariés seuls assument les risques entreprenariaux ? Comment assure-t-on le nécessaire suivi des salariés par la médecine du travail, avec de multiples sous-traitants et des contrats aussi courts, en chantiers risqués ? Le CNE risque-t-il de bloquer les évolutions en matière de santé au travail, puisque le salarié qui ne peut supporter certaines conditions de travail peut être plus facilement évincé.
Aux risques pour les salariés insuffisamment pris en compte lors de l’élaboration du CNE, s’ajoute un certain nombre de réelles dérives qui ne feront pas toutes l’objet de poursuites devant les prud’hommes.
En effet, le délai pour faire valoir une réclamation auprès des prud’hommes est réduit pour le CNE de cinq à une année, et les salariés hésitent à entamer une procédure qu’ils estiment longue et préjudiciable à leur reclassement professionnel, qui est particulièrement long en ce moment.** Par conséquent le décompte des dossiers prud’hommaux CNE actuellement fait par les greffes, à la demande expresse du gouvernement par voie de circulaire, sous-estimera largement la sinistralité réelle de ce contrat.
Cette situation est considérée par certains employeurs comme une aubaine : profitant de l’absence de motivation de la lettre de rupture, ils se sont cru déliés d’autres obligations comme le maintien du contrat de travail (article L122-12 du code du travail) lors de la vente d’un fond de commerce ou le rachat d’une entreprise.
Ce contrat a par ailleurs nettement encouragé le travail dissimulé et, notamment, le non-paiement des heures supplémentaires. Ce sujet a certes toujours alimenté nos conseils de prud’hommes, mais une recrudescence est observée du fait que certains employeurs se sentent particulièrement à l’abri des réclamations, tant il leur paraît difficile de prouver la réalisation effective d’heures supplémentaires, la concomitance de la demande en paiement de celles-ci et la rupture inopinée du CNE. (Exemple : l’affaire traitée par le conseil des prud’hommes de Longjumeau).
En matière de discrimination à la maternité, les abus existaient notamment lors des refus de renouvellement de CDD, on les retrouve tout autant en CNE.
Voilà pour les premières observations faites dans les permanences juridiques en droit du travail.
3°) Les modalités de défense de ce contrat mises en place par le gouvernement sont-elles légales ? La circulaire du gouvernement intimant aux procureurs pour des raisons "d’ordre public" de faire appel même des décisions acceptées par les justiciables est arrivée dans le contexte contentieux précité.
Rappeler aux conseils des prud’hommes que le "doute ne profite pas aux CNistes en cas de rupture de contrat qui serait motivée par une faute " est à mon avis aussi choquant qu’inopérant, en ce sens qu’en deux mandats de conseiller, j’ai toujours vu "le doute" en cas de "faute" levé par une mission de conseiller rapporteur ou une audition de témoins.
Est-ce à dire que les procureurs interdiront ces mesures d’investigations pour les seuls CNistes ? Ce serait un dévoiement tant du Code de procédure civile que du Code du travail... Autant dire que pour les CNistes, le droit commun est suspendu... créant de fait des milliers de salariés de "seconde zone".
Faut-il rappeler que, s’agissant déjà de salariés de petites structures, ceux-ci sont loin de bénéficier de tous les avantages collectifs des grandes entreprises ? Ils sont plus nombreux que dans les grandes structures à être rémunérés au SMIC ou aux minima conventionnels, ils ne bénéficient pas des mutuelles de groupe et autres avantages souvent liés à l’existence des comités d’entreprise. Résultat, le CNE renforce les disparités dans le traitement des salariés.
4°) Quel est l’intérêt économique du CNE ?
Que restera-t-il d’intéressant dans ce contrat, une fois que les conseils des prud’hommes en auront régulé les usages précités ? La période "d’essai" de deux ans ?
En quoi le CNE améliore-t-il la situation qui préexistait et qui se caractérisait par un usage abusif des CDD comme période d’essai pouvant aller jusqu’à 18 mois ?
La période "d’essai " de deux ans risque d’être tout aussi contestable *** que l’étaient les CDD "d’essai", et donnera lieu sans doute à une requalification des CNE en CDI classiques, c’est-à-dire au même type de contentieux que les CDD actuels.
Enfin, pourquoi obtiendrait-on plus d’embauches définitives par le CNE ?
C’est plus sûrement le carnet de commandes qui génère de l’embauche, et non un énième type de contrat ; or, rares sont les entreprises qui ont une prospective sur leur carnet de commandes deux ans à l’avance .
Actuellement, aucune statistique ne précise combien il y a eu de ruptures de CNE depuis la création de ce dispositif : on n’a donc aucun chiffrage sérieux du nombre d’emplois créés par les CNE.
On ne dispose, pour tout élément d’appréciation, que du nombre de créations nettes d’emplois (statistiques INSEE) évidemment largement inférieur au nombre de CNE signés au 31/12/2005 .****
Il ne sera pas possible, quand bien même en 2006 la situation de l’emploi s’améliorerait, de dire à quel dispositif très exactement nous devons cette embellie, si tant est que ce ne soit pas le simple effet du départ à la retraite des babyboomers.
Ce résultat vaut-il la peine de faire prendre des risques contentieux aux petites et moyennes entreprises ? Ce résultat justifie-t-il la précarisation accélérée des plus précaires des salariés ? Ce résultat justifie-t-il les risques pris pour la santé des salariés au travail ? Ce résultat justifie-t-il les tensions sociales qu’il engendre ? Ce résultat vaut-il la peine de faire une irruption démocratiquement contestable de l’ordre exécutif dans l’ordre judiciaire civil ?
Ce sont les questions que je soumets au débat.
Ne me dites pas que l’on a initié ce contrat parce qu’il n’y avait aucune alternative... Précisément, dans une précédente contribution, j’avais avancé l’idée d’un "nouveau contrat social" à budget constant, et toutes les centrales syndicales salariées ont fait des propositions sur la base d’une flexi-sécurité certaine depuis août 2005.
Alors, que faut-il faire du CNE ?
Notes
* La motivation de la rupture du CNE est impérative Conseil d’Etat : Section du contentieux No 283471,284421,284473,284654,285374 Séance du 14 octobre 2005 Lecture du 19 octobre 2005 "L’ordonnance attaquée n’a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n’a pas un caractère abusif et n’est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires ;"
**d’après les statistiques du ministère de la justice (http://www.justice.gouv.fr/publicat/1detailssaisines04.pdf) 176075 dossiers prud’hommaux on été enregistrée en 2002 sur 21 897 000 salariés en poste à l’époque (source insee) ce qui fait une sinistralité de moins de 1% qui est tout de même très limitée et qui ne justifie pas une refonte totale de notre droit du travail.
*** actuellement aucun jugement n’a statué sur la compatibilité de la période de consolidation de deux ans avec les dispositions internationales et notamment la convention 158 de l’OIT. Par ailleurs cette disposition est contraire à toutes les conventions collectives.
****D’après les statistiques du ministère du travail, entre le 31 décembre 2004 et le 31 décembre 2005, l’emploi salarié du secteur concurrentiel non agricole a augmenté de : +52 300 postes (+0,3 %) Ces postes n’étaient évidemment pas tous des CNE ce qui veut dire que le CNE s’est substitué à d’autres modalités d’embauche.
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