Euro-obligations : et si Angela Merkel avait raison ?
Un titre un peu provocateur alors que dans un bel ensemble, tous les médias « mainstream » nous abreuvent de critiques sur la rigidité allemande qui, nous disent-ils, empêcherait la France de sauver l’Europe en permettant à la Banque Centrale Européenne de lancer des Euro-obligations et d’agir en préteur en dernier ressort.
Tout d’abord, il faut constater que Angela Merkel comme Nicolas Sarkozy partagent la même conviction que les dettes souveraines doivent être financées par les marchés. Une conviction dans laquelle se retrouve aussi François Hollande.
Et c’est sur ce point que la position française manque de crédibilité. En effet, si on veut demander à la BCE d’émettre des titres de dette souveraine, encore faut-il que ces titres trouvent preneurs sur les marchés.
L’idée généralement avancée est que puisque ces euro-obligations constitueraient des titres de dettes mutualisées entre tous les pays de la zone euros, le poids de cette mutualisation aurait pour effet de rassurer les marchés qui devraient donc non seulement acheter ces titres, mais en plus, les acheter à un taux faible.
Deux exemples récents devraient indiquer que cette hypothèse, si elle relève d’une construction intellectuelle en apparence évidente, se trouve largement décalée par rapport aux comportements réels des marchés.
Le premier exemple est celui du Fond Européen de Stabilité Financière qui, il y a quelques jours, n’a pas trouvé preneurs pour une large partie de titres qu’il venait d’émettre [ Lire ici "Le FESF obligé d'acheter sa propre dette" ] alors même que le FESF constitue déjà une mutualisation au niveau européen, et qu’il offre donc pour rassurer les marchés, la garantie de tous les « grands » pays de la zone euro.
Le deuxième exemple concerne directement Angela Merkel elle-même, puisqu’il s’agit de la mésaventure de l’Allemagne qui n’a pas réussi à vendre sur le marché sa dernière émission d’obligations [Lire ici "L'allemagne n'arrive plus à vendre ses obligations" ].
Ces deux faits montrent que d’ores et déjà, les marchés se détournent des actifs de la zone euro, que ceux ci soient émis par le pays considéré comme le plus fiable de la zone, ou par une institution financière mutualisée au niveau européen. Si toutes choses restent égales par ailleurs, pour quelles raison les marchés devraient tout d’un coup se jeter sur des euro-obligations, fussent-elles émises par la BCE elle-même ?
L’exemple souvent mis en avant est celui de la Réserve Fédérale des Etats-Unis qui, elle, émet des titres au niveau fédéral. On oubli de préciser que le niveau d’intégration, de même que le niveau de convergence économique des différents Etats de l’union américaine n’est en rien comparable à la zone euro.
C’est bien cette convergence des Etats américains, qui partagent le dollar USD, qui fait la crédibilité des obligations émises au niveau fédéral. A l’inverse, alors même que la crise actuelle fait apparaître au grand jour leurs divergences, les marchés se détournent des obligations souveraines des pays de la zone euro.
Si rien n’est fait pour accroître l’intégration et la convergence des économies des pays de la zone euros, mutualiser ces obligations au niveau de la BCE ne devrait donc pas changer grand chose à l’affaire. C’est le constat que fait Angela Merckel et on ne saurait lui donner tort. Sur ce point du moins.
Par contre, on ne peut que s’inquiéter de la solution qu’elle nous propose, à savoir une quasi mise sous tutelle des politiques budgétaires de la zone euro, avec sanctions automatiques en cas de non respect de ces fameux « critères de convergence » gravés dans le marbre depuis le traité de Maastricht.
La aussi l’exemple des Etats-Unis est riche en enseignements. Au contraire de ce qu’on nous propose aujourd’hui, il n ‘existe aux Etats-Unis aucune règle fédérale contraignante pour les politiques budgétaires des Etats de l’Union [ lire ici "State blanced budget requirements" ]. Les convergences des économies des différents Etats et la crédibilité qui en résulte sur les marchés financiers provient avant tout de l’extraordinaire convergence culturelle de ces Etats, tous crées au même moment, au même endroit, par des gens qui partageaient tous la même idée de créer « un monde nouveau ».
Il paraît évident qu’il est impossible susbstituer à cette convergence liée à l’histoire même des Etats-Unis, une démarche autoritaire basée sur des contraintes imposées de manière centralisée.
C’est pourtant ce que devrait nous présenter dans quelques jours Angéla Merkel, avec ses propositions de modifications des traités européens pour imposer aux Etats membres de la zone euro l’obligation de respecter de règles budgétaires et pour introduire des automatiques pour les pays contrevenants, une manière de tenter d’éviter toute discussion.
On ne peut que regretter la faiblesse actuelle de la France au plan international et l’incapacité de plus en plus manifeste de Nicolas Sarkozy de résister aux décisions prises par Angela Merkel. L’allemagne, et c’est de bonne guerre, profite d’une part de cette faiblesse et d’autre part de la crise actuelle pour tenter d’imposer ses règles à l’ensembles des pays de la zone euros.
C’est à l’évidence une impasse, de plus largement contre-productive. Alors que le but de tout ceci serait de rassurer les marchés pour leur vendre des titres de dette souveraine cet approche technocratique devrait encore une fois produire l’effet inverse. Les craquements qu’elle ne manquera pas d’occasionner dans la zone euros, son peu de réalisme et la récession que ne manquerait pas d’occasionner la juxtaposition de politiques de restriction, n’auront pour conséquence que de détourner un peu plus les marchés des obligations européennes.
Donner aux gens dans tous les pays concernés, le temps de construire leur propre histoire de l’intégration européenne, et construire ce rapprochement, non pas sur des envolées lyriques sur les bienfaits de l’Europe, mais sur l’expérience concrète et quotidienne, de chaque habitant de la zone, de l’intérêt pour lui de ce rapprochement, c’est le seul chemin pour construire une zone euro aussi crédible que la zone dollar.
Mais cela prend du temps, et la prise en compte du temps n’est pas la principale qualité de nos dirigeants, qui depuis une vingtaine d’années, impose au pas de charge, une Europe construite sur des pré-supposés technocratiques, dont chacun peut mesurer tous les jours les errements. Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une méfiance vis à vis de l’Europe, qui est avant tout la marque de l’échec de la technocratie.
Une autre question qui mériterait d’être soulevée est celle de la justice : est-il juste de faire financer les dettes souveraines par le marché ? les interêts demandés par les marchés en contrepartie sont ils légitimes ? la monnaie est-elle une marchandise comme les autres ? les banques privées doivent-elle avoir l’exclusivité de la création de monnaie ou bien le droit de « battre monnaie » doit il être réservé aux peuples ?
En 2010, c’est 45 M€ qui ont ainsi été consacré au seul remboursement des intérêts de la dette, soit 2,3% du PIB annuel et quasiment le premier poste budgétaire du pays, ex-aequo avec l’éducation nationale.
Les taux à 5ans et 10ans pour la Grèce dépassent aujourd’hui les 40% [ voir ici ], qu’est ce qui justifie ces montants ? et qui peut imaginer un quelconque redressement quand chaque nouvel emprunt étrangle un peu plus les finances publiques ?
La question de la légitimité de ces intérêt n’est bien sûr pas posée, ni par Angela Merckel, ni pas Nicolas Sarkozy, pas plus que par François Hollande. Et pourtant, au vu de la crise actuelle, elle mériterait d’être largement débattue, en particulier à l’occasion de la campagne présidentielle [ voir ici "Collectif pour un audit citoyen de la dette publique" ].
Pour ce qui concerne la crise financière actuelle, une approche pragmatique consisterait à d’abord prendre acte que, en la circonstance, les marchés sont incapables de se réguler eux-même et prendre la décision qui s’impose, à savoir sortir la dette souveraine du marché, au moins momentanément, en permettant à la Banque Centrale, non pas d’émettre des euro-obligations sur un marché défaillant, mais de financer directement les Etats de la zone euros.
Pour ce qui concerne les actifs en cours, et pour une simple question de justice, il ne faut pas, comme le propose Jacques Attali [ lire ici ], racheter les yeux fermés les obligations souveraines arrivant à maturité et faire payer la totalité de leurs intérêts par la BCE. Cela reviendrait à faire payer par les contribuables une dette indue. Il faut bien sûr faire racheter ces obligations par la BCE, mais au préalable fixer un moratoire sur au moins une partie de ces intérêts.
Pour le moyen terme, il faut remettre de l’ordre dans les finances des pays de la zone euros, mais cela serait rendu d’autant plus faciles que ceux-ci ne seraient plus étranglés par une « charge de la dette » pléthorique. Mais surtout mettre en place des outils de financements des investissements des pays de la zone, notamment sur des axes stratégiques comme ceux de l’éducation ou de la transition énergétique.
Quelques-uns des candidats à la présidentielle française soutiennent cette approche, mais ce ne sont malheureusement pas ceux qui ont le plus de chance d’être élus …..
Publié sur LaDette2012.fr
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