La trahison d’Airbus
Les journaux, ces derniers temps, ont fait état de l’installation à Mobile en Alabama, d’une nouvelle FAL[1] pour Airbus. C’est la deuxième délocalisation d’Airbus en quelques années, la première ayant eu lieu à Tianjin en 2009. On intègrera à Mobile comme on le fait actuellement à Tianjin l’A320 qui représente environ 80% du carnet de commandes d’Airbus.
Assez bizarrement, les syndicats d’Airbus se sont opposés à la création de l’unité de production à Mobile alors qu’ils avaient été favorables à l’installation à Tianjin. On mettra, sans risque de se tromper, le changement d’opinion sur le compte de l’incompétence de des ces personnes. En effet, les salariés américains ont des conditions de travail et de rémunération similaires aux nôtres si bien que l’on ne peut pas invoquer un dumping social dans ce cas. A l’inverse, il aurait été opportun de critiquer vertement le dumping social de facto qui est à l’œuvre quand on va s’installer en Chine.
Alors pourquoi parler de trahison dans le titre ? Les raisons en sont relativement simples. L’Euro a été créé pour asseoir la puissance de l’Europe. Or, Airbus voire EADS sa maison mère, ont été semble-t-il incapables de vendre quoi que ce soit en euros. Pourtant ce groupe, cette société, sont régulièrement présentés comme l’exemple par excellence de la réussite européenne. A ma connaissance, la seule société qui ait jamais réussi à vendre en euros est AREVA, une société française. On serait intéressé d’avoir une réaction non langue de bois de Bercy…
Au lieu donc, d’être le héraut de la monnaie européenne, non seulement Airbus ne vend-il pas ses avions en euros, mais il délocalise même en zone dollar pour profiter de coûts plus bas. On remarquera que lors de la campagne présidentielle, aucun débateur, à part DLR et le FN, n’a parlé réellement de la monnaie. Et Airbus voire EADS se sont bien gardés de dire quoi que ce soit pendant la campagne alors qu’ils nous avaient habitués, précédemment, à se plaindre régulièrement, Louis Gallois n’hésitant pas à dire que chaque dévaluation de 10c du dollar se traduisait par une perte de 1 milliard d’euro par an pour Airbus. Sans doute voulait-il ménager son ami François Hollande, lequel l’a bien récompensé en le nommant à la place de René Ricoll pour gérer les scories du grand emprunt. Pourtant la logique aurait été imparable : si l’on était revenu au franc comme le proposait Marine Le Pen, notre monnaie aurait perdu, disons, 30%. Cela aurait donc représenté, proportionnellement au poids de la France dans Airbus, une bonne part de 3 milliards d’euros par an environ. Voilà donc un sujet qui n’a pas été traité pendant la campagne présidentielle, mais qui se traduit dans les faits actuellement par une délocalisation. Au fait, avez-vous entendu monsieur Montebourg à ce sujet, lui qui s’était fait le chantre de la mondialisation pendant la primaire socialiste ? Que nenny !
Passons alors à la trahison dont personne ne parle, mais dont, un jour, il faudra faire le bilan… Pour Airbus et pour les autres sociétés qui en ont fait de même. La presse se fait l’écho d’un investissement de 600M€ pour l’usine de Mobile en Alabama. Clairement, ces 600M€ ne vont pas être investis dans des moyens de production européens, mais américains. A iso production, nous perdrons donc autant d’emplois en France qu’il en sera créé aux USA. Mieux, les salariés européens seront, qu’on le veuille ou non, en compétition avec les salariés américains d’Airbus. Mais il y a pis ! On peut raisonnablement penser que l’investissement à faire en Europe, principalement en France ou en Allemagne, aurait coûté moins cher qu’aux USA, tout simplement parce qu’il aurait suffit d’augmenter la capacité productive de sites déjà existants et non construire un site ex-nihilo. Dans ces conditions, l’écart de prix aurait pu être investi en R&D et aurait potentiellement conduit Airbus à faire de meilleurs produits par rapport à ses concurrents. Les salariés européens sont ainsi doublement spoliés : non seulement, à court terme nous perdons des emplois productifs (production délocalisée) et des emplois de recherche (pas d’investissements), mais en plus, à terme, nous perdons des emplois productifs (produits moins performants, car moins de R&D a été effectuée) et des emplois de recherche (moins de marges sont dégagées localement et il ne faut pas se leurrer, il y aura aussi de la R&D in fine aux USA en concurrence de celle faite en Europe).
Nous aborderons, dans ce court article, un dernier point. Quand on parle mondialisation à des groupes industriels automobiles par exemple, ils disent invariablement que l’on ne peut pas par exemple fabriquer toutes les voitures chinoises en Europe, ce que l’on est bien obligé d’accepter. Mais pour les avions, c’est une tout autre histoire. Ces engins sont faits pour se déplacer sur de grandes distances et une livraison depuis l’Europe, par exemple, en Chine ou aux Etats-Unis, est une goutte d’eau pour des engins qui vont vivre 30 ans.
Cela nous amène à conclure les points suivants : Oui Airbus trahit en s’installant à Tianjin ou à Mobile. Oui aucun politicien n’ayant critiqué la décision d’Airbus, le monde politique dans sa globalité est complice de la trahison d’Airbus.
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[1] Final Assembly Line qui veut dire chaîne d’intégration finale.
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