Les fonctionnaires coûtent 20 milliards d’euros de trop
L’État est très pudique sur le coût
des fonctionnaires ... Le sujet doit être trop chaud pour lui ! Il vous faudra
reconstituer vous-mêmes, sans vous laisser piéger par des chiffres trompeurs. Résultat : comptez en moyenne 30 000
€ tout en bas, 130 000 € tout en haut. Constatez que l’enseignement public coûte 8,8 milliards par an de plus que son
équivalent privé, extrapolez à tout l’État,
et chiffrez à 20%, soit 20 milliards d’euros par an sur 120, le
bénéfice de la proximité du pouvoir, et la perte pour ceux qui n’ont pas cet avantage.
Avant de commencer, quelques importantes remarques préliminaires.
1) Il n’est question ici que de coût, et non de valeur ajoutée. Impossible d’ailleurs de faire autrement, puisqu’en France, l’État a fait le choix de ne jamais mesurer la valeur ajoutée d’un emploi public, et de supposer qu’il rapportait à la collectivité exactement ce qu’il coûtait. De même, il est question de ce que coûte un employé public, et non de ce qu’il encaisse chaque mois (grosso modo un tiers de moins) : les charges sont comprises.
2) Nous brosserons ici un tableau général sans zoomer sur les contrastes. Le but étant de donner une image de la forêt, pas des arbres pittoresques (comme les "fromages de la République" qui font régulièrement les gros titres de magazines) ni des bosquets desséchés et rabougris (qui font les banderoles syndicales). L’ancienneté et les primes donnent beaucoup plus de variété aux situations individuelles.
Précisons aux non initiés que le statut général distinguait quatre catégories : des A en haut de l’échelon, aux D en bas. Avec le temps, les D ont quasiment disparu, et on a pris l’habitude de distinguer les "A+", et les enseignants ("A" en général, mais il reste des B, comme les "instituteurs", qu’on remplace à grand frais par des "professeurs des écoles", plus chers, plus tardifs et pas plus efficaces... Cet exemple est très significatif et doit être gardé à l’esprit pour expliquer la suite.) On distingue en outre la filière "technique" (ingénieurs, techniciens, ouvriers, etc.) et la filière"administrative" (directeurs, rédacteurs, secrétaires, etc.).
Maintenant nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
Que disent les sources officielles ?
Il existe des sources officielles, publiques et vérifiables par tout internaute. Les éléments prévus pour 2007 seront bientôt disponibles, en attendant on peut faire un galop d’essai avec les éléments 2006, on pourra ainsi faire la comparaison.
Hélas, le coût des fonctionnaires n’est pas un sujet de communication pour les administrations : alors il faut fouiller. La matière est disponible, surabondante, multiple, le lecteur ose même se demander si on ne cherche pas plutôt à le noyer qu’à l’informer : il y a la loi de finance pour 2006, les documents préparatoires officiels, les comptes rendus de l’examen au Parlement, etc. Mentionnons également le fameux rapport "Lacambre", intéressant, mais malheureusement significatif par son sujet même : plutôt que de s’intéresser au coût des agents, il nous parle du coût... de la gestion des agents !
En fait, il faut chercher dans les "bleus", à examiner mission par mission et même programme par programme (et il y en a plus d’une centaine !). Regardons, par exemple, le cas du ministère des finances, programme 156, concernant 135 000 fonctionnaires. En cherchant, on trouve bien un tableau page 37, donnant "Les coûts moyens d’entrées et de sorties en année pleine" qu’on peut reproduire :
catégorie |
Coût moyen d’entrée |
Coût moyen de sortie |
---|---|---|
A+ |
58543 |
75489 |
A |
35809 |
48089 |
B |
23720 |
28619 |
C |
19189 |
22892 |
On croit comprendre alors que les premiers chiffres correspondent au coût d’un jeune recruté (donc au minimum), et les seconds au coût d’un retraité (donc au maximum), le coût moyen serait donc entre les deux. Les fonctionnaires ne coûtent pas cher, rideau, changement de décor et en avant pour la scène de la revendication syndicale. Eh bien non, pas rideau ! Déchirons le décor en carton-pâte. Car les coûts de sortie semblent bien bas... Une petite vérification facile : multiplions les effectifs par catégories (tableau p. 37) par les coûts de sortie annoncés (tableau p. 39) ; résultat : 4 milliard d’euros... alors que ce ministère en réclame 6,5 ! Il faut donc refaire le calcul en divisant cette fois le coût total annoncé par les effectifs, ce qui donne, à partir du tableau p. 39, une image très différente :
Catégorie |
nombre d’agents |
coût total |
coût par agent |
---|---|---|---|
A+ |
1.928 |
214.992.949 |
112.000 |
A |
28.665 |
2.130.044.946 |
74.000 |
B |
42.712 |
2.010.560.178 |
47.000 |
C |
60.521 |
2.167.187.996 |
36.000 |
L’agent moyen du ministères des finances coûte plus de moitié plus que le « coût moyen de sortie » annoncé ! Nous voilà prévenus...
Continuons pour le premier budget de personnel, l’éducation nationale, en suivant toujours la même méthode à partir du bleu "enseignement scolaire" . Un peu plus difficile, d’abord parce qu’il faut le trouver, ce bleu (la page d’accueil du ministère des Finances renvoie vers un autre document beaucoup moins complet...), ensuite parce qu’il faut pister pas moins de six programmes, qui ont tous leurs coûts propres. Les éléments nécessaires sont dans les chapitres "Projet annuel de performances : Justification des crédits". Il faut distinguer les programme 139 (enseignement privé), et aussi 143 (enseignement technique agricole) : le ministère de l’agriculture n’utilise pas le même regroupement de personnel (et apparemment, ça n’a dérangé personne pour la diffusion du "bleu"), de plus ce programme 143 inclut une part significative d’enseignement privé : 5035 enseignants (cf. p. 259) sur 12 839. Ce qui donne le résultat suivant.
Enseignement public (programmes 140,141, 214 et 230) |
|||
catégories |
effectifs 2006 |
crédits |
coût par agent |
Enseignants du 1er degré |
328 283 |
15 421 750 491 |
47 000 |
Enseignants du 2nd degré |
398 321 |
23 373 476 280 |
59 000 |
Enseignants stagiaires |
27 745 |
969 549 025 |
35 000 |
Personnels administratif, technique et de service |
148 881 |
4 836 320 085 |
32 000 |
Personnels d’accompagnement et de suivi des élèves et étudiants |
50 187 |
1 569 959 367 |
31 000 |
Personnels d’encadrement |
19 507 |
1 585 470 439 |
81 000 |
Personnels des bibliothèques et des musées |
21 |
888 594 |
42 000 |
Total |
972 945 |
47 757 414 281 |
49 000 |
Enseignement privé (programme 139) |
|
||
catégories |
effectifs 2006 |
crédits |
coût par agent |
Enseignants du 1er degré |
43 843 |
1 655 248 622 |
38 000 |
Enseignants du 2nd degré |
85 246 |
3 766 679 756 |
44 000 |
Enseignants stagiaires |
2 526 |
72 205 710 |
29 000 |
Total |
131 615 |
5 494 134 088 |
42 000 |
Enseignement technique agricole (programme 143) |
|
||
catégories |
effectifs 2006 |
crédits |
coût par agent |
A administratifs |
580 |
41 948 539 |
72 000 |
A techniques |
573 |
36 801 101 |
64 000 |
B et C administratifs |
2 268 |
64 745 982 |
29 000 |
B et C techniques |
2 695 |
89 609 228 |
33 000 |
Enseignants (2nd degré ; enseignement public et privé) |
12 839 |
634 840 425 |
49 000 |
Nota : pour l’enseignement privé l’Etat ne prend en charge que les salaires des enseignants
J’arrête là mon pistage : le ministère des finances et celui de l’éducation nationale sont les plus gros employeurs civils, et au passage nous avons jeté un oeil sur le ministère de l’agriculture.Vous pouvez continuer l’exploration pour l’université, la défense, la justice, etc.
Encore une dernière précision : il convient de compléter le tableau avec une estimation des coûts de deux groupes spécifiques :
Catégorie |
Coût par agent |
---|---|
personnels de direction |
130.000 |
vacataires |
20.000 |
Le personnel de direction est inclus dans les A (ou A+), mais il est trop peu nombreux pour impacter le coût de ce groupe. En revanche, les vacataires les plus nombreux, payés au SMIC,sont comptés en « C », et ils sont assez nombreux pour artificiellement en baisser le coût moyen.Le coût des « C » fonctionnaires est donc plus élevé que ce qui apparaît dans les tableaux présentés plus haut.
Petits secrets entre amis
Ce qui est frappant d’abord, c’est l’extraordinaire répugnance de l’administration à présenter des chiffres directement compréhensibles. C’est aussi le manque d’homogénéité des informations présentées : sur trois ministères examinés, il y a trois regroupements différents de personnels utilisés ! Donc, il est impossible d’agréger et de comparer les informations des différents ministères. "On" doit considérer que ça n’intéresse personne...
Deux raisons sont fréquemment évoquées pour justifier ce manque de transparence. D’une part, le souci de ne pas énerver les syndicats avec des chiffres dont on peut déduire que les fonctionnaires ne sont pas si malheureux ; d’autre part et inversement, le souci de ne pas tendre aux syndicats une perche pour leur usuelles revendications égalitaristes, entre ministères (le ministère des finances étant connu pour payer mieux, par exemple) et entre catégories.
Enfin, un point plus technique : avant la loi organique de 2001 (LOLF), les lois de finances distinguaient les "services votés" et les "mesures nouvelles", et se construisaient par différence avec le budget précédent. Depuis 2006, les administrations doivent tout justifier "au premier euro". Or, concrètement, les trois budgets examinés continuent à justifier leurs crédits par l’évolution des effectifs et les coûts des entrants et sortants (coûts d’ailleurs douteux, on l’a vu au ministère des finances lui-même !), et nous avons vu quels efforts il faut faire pour retrouver des coûts moyens. La "justification au premier euro", qui est pourtant un pilier de la loi organique, attendra ...
Les fonctionnaires coûtent 20 % et 20 milliards d’euros de trop
La mission « enseignement
scolaire » est très significative. D’abord par son
importance, puisqu’elle pèse à elle seule environ 40%
des charges de personnel de l’Etat. Ensuite et surtout, parce
que c’est quasiment la seule mission qui fasse appel à la fois
à des structures publiques et à des structures privées
sous contrat, avec les même contraintes et des résultats
comparables (un peu à l’avantage du privé, même) : on peut donc légitimement s’en servir pour comparer le public et le privé. Et l’écart
est saisissant : les enseignants fonctionnaires d’Etat coûtent
9000 € de plus pour le primaire et 15 000 € de plus pour le secondaire
que leurs homologues privés ! Soit, au total, 8,8 milliards
d’euros par an sur les 46 milliards que coûtent les
enseignants : 20 % de trop ! 1 Si on traduit cela en emplois, exercice approximatif mais parlant, cela en fait environ 400 000 à 500 000 au SMIC...
On peut extrapoler ce surcoût à toute la fonction publique : sur 118 milliards d’euros de charges de personnel 2006, cela représente 20 milliards ! Ceci rien que pour le surcoût par agent, sans même parler de sureffectifs...
Expliquer ce surcoût est assez aisé : les conditions de retraite sont plus avantageuses, et il y a beaucoup plus d’agents qui exécutent des tâches en-deçà de leurs capacités que d’agents surexploités...
L’armée mexicaine
Les médias se font régulièrement l’écho de rémunérations extraordinaires pour les dirigeants du privé. Rien de tel dans le public. Le coût d’un directeur (et, a fortiori, de sa rémunération nette) est, par comparaison, relativement ridicule. À 130 000 € (de plus, les écarts sont très faibles, peu nombreux sont ceux dont le coût dépasse 150 000 € ou descend à moins de 110 000 €), ils sont à moins du double d’un cadre ordinaire, à peine plus du double d’un enseignant moyen, à peine plus de quatre fois le coût du moindre agent de catégorie C. L’échelle des salaires est écrasée de 1 à 4 (vacataires exclus), que vous soyez chargé de distribuer le courrier, ou responsable de décisions ayant un impact direct sur tous les Français.
À première vue, le contribuable peut se réjouir de pouvoir payer aussi peu des gens aussi bien formés (ENA, Polytechnique, etc.), dévoués, et généralement très expérimentés... Mais, tout bien considéré, l’affaire n’est peut-être pas si bonne. On se souvient de la déclaration d’un expert : « Quand on paye un expert comme une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage » : formule choc, mais conforme à la réalité, et qu’on peut aussi bien appliquer à un directeur (même supposé motivé plus par l’honneur de servir que par l’attrait du pouvoir).
De plus, le très haut fonctionnaire ne reste pas longtemps au même poste. Deux ans en moyenne pour un préfet, guère plus pour un directeur d’administration centrale ou de service. Mais une règle non écrite dit qu’un salaire ne doit jamais baisser. Quiconque a été directeur en conservera la paie jusqu’à la retraite, de préférence en retrouvant un autre emploi qui n’a pas forcément le même niveau de responsabilité, mais qui permet quand même la même rémunération. Tout cela finit par faire beaucoup de gens dont l’occupation n’est pas en rapport avec le niveau de capacité ou de rémunération.
Aux échelons intermédiaires, même constatation : le cadre coûte environ moitié plus que sa secrétaire, le double de l’agent de la catégorie la plus mal payée. A ce prix, pourquoi se priver de matière grise ? L’administration multiplie les gens très bien formés, y compris pour leur faire faire du travail d’exécution, quitte à multiplier les structures. Le ministre des finances déclare ainsi presque 25% de « A », contre 45% de « C ». On n’en est pas encore aux caricatures de"l’armée mexicaine" ou de la blague des équipes d’aviron (côté privé : huit rameurs et un barreur qui synchronise ; côté public : un rameur, un rameur en décharge syndicale, un rameur en arrêt maladie, un emploi de rameur vacant, un barreur, un technicien du rythme, un chef de projet "amélioration des performance", un représentant du Haut Conseil représentatif de l’aviron français et un directeur général...), mais il y a quand même matière à interrogation : a-t-on vraiment besoin d’autant de cadres ? Ces gens ne seraient-il pas plus utiles à la collectivité dans des tâches directement productives dans le secteur privé ? Et le cercle vicieux se poursuit plus loin : puisque ce personnel très capable est disponible, on peut inventer des règlements toujours plus compliqués, sans que le gain social soit très évident, mais par contre avec une incompréhension croissante dans le public.
Conclusion
* Il n’est pas normal qu’un élément aussi important que le coût moyen d’un fonctionnaire réclame autant de contorsions pour être retrouvé. La simple transparence et l’honnêteté la plus élémentaire réclament que, dans le projet de loi de finance 2007 :
1) tous les ministères utilisent la même grille de présentation
2) le coût moyen par agent et par catégorie soit clairement identifié
On peut parier que ce ne sera pas le cas ...
* Il n’est pas plus normal que l’emploi public coûte 20% plus cher que son homologue privé pour la même fonction, avec les mêmes contraintes de service public. L’importance de cet élément dans le déficit et la dette commande une remise en ordre.
1 Même en supposant que la moitié de l’écart provient d’une injuste brimade des gens du privé, et qu’il faudrait les payer plus, il resterait un surcoût de 3,7 milliards d’euros.
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