J’ai du mal à comprendre comment cette discussion s’est emmanchée, se perdant dans des détails annexes sans jamais débattre au fond des questions qui se posent (hormis la question de savoir si on veut ou non des services universels : assurés pour tous dans le pays)
- En réponse à la question répétée de Jimd, pour ce qui est de la définition du service public de la poste et de l’orientation vers la libéralisation tout est défini au niveau européen au départ, directives de 1997 et 2002, la seule chose que la CE n’a guère défini c’est comment on finance un service universel tout en mettant en concurrence (sans faire de péréquation nationale au sein d’un monopole pour garantir les mêmes prix partout), il n’était pas inutile d’avoir un report de 2009 à 2012 de la libéralisation du marché... (report décidé en janvier dernier)
Une chose à noter quand même : l’essentiel du trafic postal est d’ores et déjà significativement soumis au régime de la concurrence. La poste n’a plus que le monopole des lettres de moins de 20g et des envois transfrontaliers de moins de 50g . A noter : l’état par le biais de l’autorité de régulation pousse à la roue pour la mise en concurrence, voir
ici
- La transformation de la poste en entreprise de régime privé standard est dans ce cadre indispensable (si on ne veut pas la privatisation de la poste il faut s’opposer à la mise en concurrence). En effet, une structure régie par les règles du public et mise en concurrence se retrouve cisaillée entre :
- la nécessité de pouvoir ajuster ses effectifs, de pouvoir passer rapidement des commandes et signer des partenariats, voire de pouvoir emprunter pour investir
- et les règles (largement européennes) qui lui interdisent de passer commande sans une lourde procédure de mise en concurrence des prestataires, qui lui interdisent d’emprunter, et les règles de gestion de fonctionnaires et la vigilance du budget pour décider d’embaucher (i.e. il faut obtenir en 2008 l’approbation de l’état pour des embauches en 2009).
C’est pour cela que la poste s’est déjà largement éloignée du système public, c’est pour cela que France Télécom / Orange est une entreprise privée.
Raconter aux gens que l’on peut maintenir sur le long terme un statut public, avec toutes ses contraintes, tout en privatisant le marché.. c’est un mensonge pur et simple.
- N’en déplaise à un certain nombre d’idéologues il y a deux types de secteurs très différents pour ce qui de la mise en concurrence
- les secteurs où il y a besoin de bénéficier d’une ressource publique rare,
- par exemple les routes ou voies ferrées (l’espace ne peut pas être attribué à plein de concurrents, on n’a pas envie de voir passer plein de routes ou de voies ferrées pour le plaisir de la mise en concurrence)
plus largement tout ce qui repose sur des réseaux (il est anti économique d’avoir 36 opérateurs qui développent leurs propres réseaux de fibre optique, de gaz, d’électricité, d’eau etc.)
- par exemple aussi les fréquences de radiocommunication, d’où le partage des ondes entre stations, d’où le maximum de 4 opérateurs en téléphonie mobile (dommage : il n’y en a que 3, notre gouvernement ne tenant malheureusement pas à trop de concurrence dans ce secteur)
Dans ces secteurs on ne peut pas avoir une pleine concurrence ; il faut des mesures ad hoc (découpage pour isoler le réseau, régulation très stricte avec un suivi serré etc.).
- les secteurs qui n’ont pas besoin d’une telle ressource, le service postal en fait partie
Concernant le miracle de la baisse des prix en téléphonie fixe ou en Internet :
a) les concurrents de France Télécom / Orange s’appuient essentiellement sur le même réseau (même si on voit poindre une évolution mais limitée à l’agglomération parisienne, par conversion du réseau de câble TV), celui de FT, payé au cours du temps par les usagers du service public...
b) les prix d’appels à longue distance ont baissé, mais les prix des communications locales ont explosé. Certes un téléphone Internet permet de contourner cela, mais allez dire ça aux personnes âgées, notamment dans les campagnes.. Il y a des perdants dans l’affaire....
c) tout cela est très étroitement surveillé et régulé par l’ARCEP, qui sait qu’elle a intérêt à ce que cela évolue bien ou pas trop mal. On est très loin d’un marché libre qui évolue par les seules forces du marché.
d) c’est la même chose aux Etats-Unis où il y a un débat sur comment faire pour avoir enfin une vraie concurrrence... forcément, les mêmes causes produisent les mêmes effets !
On peut faire des analyses comparables sur d’autres secteurs : la privatisation du transport ferroviaires s’est traduite par des tas de soucis en Suède ou en Grande Bretagne (voire au Japon), dont une dégradation du réseau et des accidents en conséquences. Malheureusement on constate une dérive en cours du même type en France au fur et à mesure qu’on se prépare à la mise en concurrence, avec un RFF qui n’a pas le budget qu’il faudrait...
En bref : quand un secteur a besoin d’une ressource rare qui doit être attribuée par la puissance publique, la concurrence pure est une vue de l’esprit. Au mieux on a une concurrence étroitement régulée et pilotée par la puissance publique. Au pire (distribution de l’eau par exemple, téléphonie mobile etc.) on dérive vers des monopoles ou quasi-monopoles privés qui s’en mettent plein les poches sur le dos des usagers..
- Le service postal peut en théorie être privatisé, après tout tout un chacun peut ouvrir des bureaux ici et là. Le problème est que ce n’est pas rentable comme activité dans certaines zones. Cela pose donc la question du service universel. Pour l’heure rien ne dit qu’on saura trouver des solutions permettant de l’assurer (sans faire reculer les sociétés privées qui veulent un minimum de bénéfice).
- Cela pose aussi la question de la fermeture des bureaux dans les villages (pas rentables), comme la poste a déjà largement commencé de le faire pour pouvoir être prête le jour de l’ouverture du marché (elle ne peut évidemment pas attendre le dernier jour et fermer en 24h des centaines de bureaux). Comme on dit souvent en ce moment, l’état n’a pas à faire de l’aménagement du territoire avec la poste ou l’armée. Certes certes... Mais quel aménagement du territoire veut-on faire et avec quels moyens ? Comment garantit -on à tous les citoyens un accès équivalent à un ensemble de services de base ? Cela mériterait un peu de débat, plutôt que le détricotage pas assumé voire sournois qui prévaut depuis des années.... Ou accepte t-on que la France se résume à une petite dizaine d’agglomérations entourées de réserves sauvages dont une partie serait convertie en décharges pour les agglomérations ? On parle souvent de mettre à contribution des épiceries (en pensant à la Grande Bretagne), en oubliant que la France a un réseau dense de supermarchés qui a fait disparaître la plupart des commerces des villages. Quid de ceux qui n’ont pas de voiture ou qui sont âgés ? Ils devront se payer le taxi pour aller chercher leur courrier au supermarché le plus proche ?
A noter : aux Etats-Unis il y a toujours un service public de la poste, USPS, à côté de sociétés privées qui ne bénéficient pas d’une libéralisation complète du marché. Cela permet de garantir le service partout et aussi de fournir des emplois à des minorités. Mais en Europe c’est "plus libéral que moi tu meurs"...