Nucléaire et gaz de schistes dans un modèle libéral
Plutôt que de s'entre-déchirer sur le nucléaire et les gaz de schistes, les dirigistes devraient remettre en cause le modèle étatique qui rend possible une exploitation irresponsable de toutes les activités à risque.
L'accident de Fukushima, le troisième depuis l'avènement de ce nouveau mode de production de l'énergie, conduit naturellement les dirigistes à se poser la question de la pertinence de son exploitation. On voit ainsi fleurir les demandes de "débat démocratique", voire de référendum sur le sujet.
Parallèlement un autre débat-combat dirigiste voit le jour, celui qui veut faire décider par voie parlementaire de l'opportunité d'extraire les gaz de schistes qui semblent exister en abondance dans notre sous-sol.
Dans les deux cas les partisans et les opposants à ces "grands choix énergétiques" (suivant la terminologie dirigiste) se déchirent. D'un côté le lobby écologiste qui représente une nouvelle forme de conservatisme prudentiel, de l'autre la techno-structure interventionniste composée du lobby industriel soutenu par tous ceux qui jugent l'une ou l'autre de ces techniques comme des opportunités de prospérité.
Or c'est la question même d'un débat-consultation sur le nucléaire ou les gaz de schistes qui est absurde et hors sujet dans le contexte d'une société ouverte.
Une telle consultation aboutissant à une réponse tranchée et définitive n'aurait pas plus de pertinence en période calme que durant les moments de crise nucléaire que nous vivons aujourd'hui. C'est le piège idéologique classique du dirigisme à travers lequel "l'Opinion" est invitée à donner, à travers des institutions "démocratiques", une réponse unique et globale à un problème. La méthode dirigiste a tellement contaminé les esprits qu'elle parait évidente : une difficulté, un accident, un obstacle ? vite, des lois, des interdictions, des règlementations votées par la Majorité, donc légitimes. Et plus le problème semble important ou urgent, plus la méthode semble justifiée.
Dans un contexte libéral c'est plutôt la question des responsabilités et du cadre de développement de toutes les industries potentiellement dangereuses qu'il faudrait examiner et revoir. Pour cela il faut se poser une question fondamentale : les industries à risque existeraient-elles comme nous les connaissons sans les interventions massives et sans le cadre règlementaire inventé par l'État ?
Y aurait-il des centrales nucléaires privées si les États n'avaient pas inventé la "responsabilité limitée" qui permet aux actionnaires d'investir dans un secteur sans être responsable des dommages causés au delà du montant de leurs apports et aux dirigeants de ne pas être poursuivis pour peu qu'ils respectent un "cadre règlementaire" forcément imparfait ?
Dans le cas du nucléaire, les États sont à l'évidence les grands ordonnateurs de ces projets pharaoniques dont la rentabilité et les modes de gestion sont pour le moins opaques et inextricablement liés au pouvoir.
A l'origine, la recherche et le développement sur le nucléaire ont été financés pour une part non négligeable par des budgets militaires. Même dans le domaine du nucléaire purement civil, la recherche fondamentale a été alimentée par des fonds publics qu'il est extrêmement difficile de quantifier. Si la fusion nucléaire aboutit un jour à une production industrielle, comment seront comptabilisés et imputés les frais titanesques induits par Iter et qui acceptera de les rembourser ? Pendant longtemps les organismes de contrôle du nucléaire sont restés sous étroite dépendance des gouvernements, confidentialité et patriotisme économique obligent. L'accident de Tchernobyl, du à l'incroyable laxisme de l'administration communiste apporte la preuve, s'il en était besoin, que l'exploitant ne doit pas être lié aux organismes de contrôle. L'État juge et partie, est absolument incapable de prendre des décisions liées à la dangerosité de ce qu'il a lui-même financé et dont il tire revenus et prestige.
A priori l'exploitation des gaz de schiste nécessite beaucoup moins d'investissements que la filière nucléaire. En revanche l'État français ayant nationalisé le sous sol, il en tirera des revenus colossaux qui le rendent immédiatement suspect pour bien évaluer la dangerosité du procédé. Comment croire l'État qui a accumulé une dette de plus de 2000 milliards d'euros lorsque 400 à 800 milliards de revenus providentiels se profilent à l'horizon ?
Reste que même si les secteurs nécessitant de gros investissements ne recevaient aucun subside des pouvoirs publics, tôt ou tard des industries comme le nucléaire verraient le jour. Car contrairement à ce que prétendent les étatistes eux-mêmes, le marché est parfaitement capable d'investir à long terme ou à très long terme. Le problème réapparaîtrait avec des opérateurs pseudo-privés bénéficiant d'autorisations d'exploitation accordées par l'administration mais toujours aussi irresponsables car protégés par la responsabilité limitée.
Or c'est encore une fois le droit positif, donc l'État qui a inventé la responsabilité limitée. Si les actionnaires et les dirigeants de Tepco, d'Areva, de Total ou de GDF Suez étaient intégralement responsables des dommages causés par leurs placements, auraient-ils investi dans les secteurs concernés, au risque de perdre tous leurs biens, maisons, épargne et de rembourser les éventuelles victimes jusqu'à la fin de leur vie ? On peut raisonnablement en douter. On peut en tout cas parier que le marché, intégralement responsabilisé, se chargerait d'exiger des garanties bien supérieures à celles apportées par les soi-disant contrôles de l'État. Avant d'accepter d'assurer une centrale nucléaire pour l'intégralité des dommages qu'elle peut causer, retraitement des déchets et démantèlement compris, les compagnies d'assurance exigeraient des renforcements de sécurité drastiques ou refuseraient le contrat.
Y aurait-il des centrales nucléaires ou une exploitation des gaz de schistes dans le cadre d'une responsabilité illimitée ou "à vie" de ses acteurs ? Il n'y a pas de réponse ferme et stable dans le temps à cette question. Cela dépend du coût réel des autres énergies, celui qui intègre tous les risques et dommages causés à l'environnement et qui exclut les subventions étatiques dont bénéficient le voltaïque et l'éolien.
Plutôt que de centraliser les décisions, la solution libérale, la seule vraiment démocratique, consiste à transférer la responsabilité des dommages inhérents aux industries à risque vers ceux qui accepteront librement de l'assumer intégralement.
La forme de société qui se prête le mieux aux activités dangereuses est la commandite par actions dans laquelle les commandités sont indéfiniment et solidairement responsables sur leurs biens. Il est certainement possible de trouver une meilleure formule en augmentant les strates entre les niveaux d'investissement et de responsabilité. Ces nouvelles formes d'organisation des sociétés de capitaux sont à explorer.
En tout état de cause deux formes de "sociétés" doivent être évitées à tout prix pour gérer les activités à risque : d'abord l'État, qui est une forme de société consubstantiellement liée à l'irresponsabilité - les hommes de l'État ne sont jamais rendus responsables des dégâts qu'il commettent - ensuite la société anonyme, qui privatise les bénéfices et mutualise les risques.
Appeler à trancher sur le nucléaire ou les gaz de schistes c'est tomber en plein dans le panneau tendu par la schizophrénie étatique qui d'un côté organise sciemment une irresponsabilité presque totale de la société civile et de l'autre prétend règlementer ou interdire les activités à risque pour accroître son pouvoir et ses prérogatives.
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