L’Affaire Séralini rebondit
L’année dernière, un article de la revue scientifique Food and Chemical Toxicology, avait fortement agité le Landernau scientifique et associatif. Les auteurs, dirigés par le Pr. G.E. Séralini de l’université de Caen, y rapportaient des travaux portant sur l’évaluation du risque toxique potentiel associé à la lignée de maïs NK603, tolérante à l’herbicide RoundUp ainsi qu’au RounUp lui-même, seul, ou associé à la lignée précitée. Il était indiqué dans l’article que « les perturbations biochimiques et les dysfonctionnements physiologiques décrits dans l’étude [note liées à la consommation de mais et/ou de glyphosate] confirment les effets délétères des OGM et du traitement au RoundUp sur les [rats] des deux sexes ». Les photos des rats traités, déformés par de nombreuses tumeurs, avaient fait les choux gras de la presse écrite et télévisuelle, en lien avec une campagne médiatique savamment orchestrée par l’équipe de l’université de Caen. Très vite cependant, des erreurs méthodologiques et statistiques importantes avaient été notées par bon nombre de scientifiques, qui mettaient en garde la presse et le grand public en regard des conclusions de G.-E. Séralini et de ses collaborateurs. Un an plus tard, la revue Food and Chemical Toxicology demande à l’auteur le retrait de l’étude controversée.
Les erreurs de l’étude
Plusieurs omissions et erreurs sérieuses émaillent l’étude de l’équipe de Caen. Parmi celles-ci, on peut citer une présentation globalement très incomplète des résultats et conditions expérimentales (double aveugle ou pas, composition exacte de l’alimentation, contenu en mycotoxines, liberté d’accès à la nourriture, etc.), une exposition à des doses de Roundup et à des concentrations de maïs dont certaines ne sont pas représentatives des doses absorbées, un échantillon de taille limitée sans répétitions de conditions, l’utilisation d’un lignée de rats qui a une tendance naturelle à développer des tumeurs avec des organes touchés qui sont les mêmes que ceux décrits dans l’étude de G.-E. Séralini, etc. Encore ne s’agit-il que d’une liste non limitative.
L’équipe de Séralini avait d’ailleurs tenté de répondre à ces critiques, mais de façon assez peu convaincante. Ainsi sur le fait que la quantité d’OGM absorbée par les rats est plus importante que ce qu’absorbent les hommes, les auteurs indiquaient « Détrompez-vous. Les dosages de maïs NK 603 sont comparables à ce que mangent en une vie les populations du continent américain, où les OGM sont en vente libre, non étiquetés, non tracés ». Cette assertion est fausse : le maîs est essentiellement du maïs pour alimentation animale, Le soja génétiquement modifié (« GM ») ne représente presque rien en alimentation humaine (sauf en matière de production de lécithine qui elle n’est pas « GM »). Le colza comme le tournesol ne sont pas non plus utilisés directement en alimentation humaine (ce sont les huiles qui le sont), quant au coton, la question ne se pose pas ! De fait, la plupart des variétés tolérantes cultivées servent en alimentation animale sous forme de tourteaux en partie, et il ne semble pas avoir eu de signal d’alarme tiré en termes de longévité/pathologie des animaux reproducteurs, qui sont ceux qui vivent le plus longtemps parmi le cheptel.
La faille principale de l’étude réside en réalité dans l’analyse statistique des résultats. Les auteurs n’en produisent d’ailleurs pas de solide, se contentant de conclure au vu des résultats bruts ou presque. Or, et c’est là l’erreur majeure de l’équipe, l’analyse statistique menée sur les données publiées ne permet pas de mettre en évidence de différence significative entre les rats ayant subi les différents traitements et les lots de tas contrôle. Entre d’autres termes, l’étude ne permet pas de dire qu’il y a un effet délétère de l’ingestion du mais ou du glyphosate, seuls ou en association. Elle ne permet pas non plus de conclure à une absence de risque en deçà d’un certain seuil…
Une étude pourtant publiée dans une revue scientifique
Il résulte de ce qui précède que les conclusions des auteurs ne sont pas en phase avec les résultats expérimentaux. Dans toute revue scientifique, ce constat entraîne la non-publication des résultats. L’article de l’équipe de Caen a été pourtant été publié. Alors comment expliquer ceci, d’autant que la revue Food and Chemical Toxicology est une revue scientifique sérieuse et que le processus de publication d’article y est (comme dans tout journal sérieux) strict. De façon schématique, les auteurs envoient leur projet d’article à la revue de leur choix. Le projet est lu par un éditeur qui l’envoie ensuite à 2, 3 voire 4 experts du domaine qui lui retournent leur évaluation du projet. Sous couvert d’anonymat, ces évaluations sont transmises aux auteurs. En fonction des critiques des relecteurs, l’article peut-être directement accepté (ce qui est très rare) par l’éditeur, directement refusé (ce qui est assez fréquent, voire très fréquent dans les revues prestigieuses) ou renvoyé aux auteurs pour des compléments d’information ou d’expérimentation. L’examen par les pairs des articles scientifiques soumis limite très fortement le risque de voir un article « défaillant » être publié, mais ne peut prévenir totalement ce risque. L’activité éditoriale, tout comme l’activité scientifique, sont en effet des activités humaines. Elles sont donc faillibles.
Un entêtement difficilement compréhensible
Il n’est pas exceptionnel en sciences –et c’est d’ailleurs une force de la démarche - que des auteurs s’aperçoivent de façon postérieure à la publication d’une étude, que celle-ci comporte des faiblesses des lacunes, ou que leurs conclusions soient finalement erronées. Dans ce cas, les auteurs demandent à l’éditeur du journal la possibilité de publier soit un correctif, soit une rétractation de l’article, publication qui est très généralement acceptée. Il arrive cependant que certaines études relèvent davantage de la fraude scientifique et de l’erreur. Dans ce cas, l’article peut-être retiré a posteriori par les éditeurs de la revue. Dans le cas de l’article de l’équipe de Séralini, nous ne sommes pas confrontés à un cas de fraude, mais face a une erreur d’interprétation. Il serait donc normal, et ce serait quelque part tout à fait honorable, que l’équipe retire tout ou partie des résultats, ou demande la publication d’un correctif indiquant par exemple qu’au vu de leurs résultats aucun effet délétère de l’alimentation du maïs OGM et du glyphosate n’a pu être mis en évidence, et qu’aucune assurance d’innocuité, en dessous d’un seuil de x%, n’a pu non plus être démontrée. De nombreux scientifiques ont demandé à l’équipe du Pr. G.E. Séralini de procéder de la sorte. Ce dernier s’y est toujours opposé.
A partir de là, il est inhabituel, mais pas totalement incompréhensible, que le bureau éditorial, par la voix de l’éditeur en chef, demande le retrait de l’article puisque, comme indiqué plus haut, les conclusions de l’auteur ne sont pas en accord avec les résultats expérimentaux. C’est exactement ce que dit l’éditeur en chef de la revue : "Les résultats présentés, s'ils ne sont pas incorrects, ne permettent pas de conclure".
Dès lors comment expliquer l’entêtement des auteurs à maintenir leurs conclusions ? Une explication réside sans doute dans l’appartenance du Pr. G.E. Séralini au CRII-GEN, groupement environnementaliste fortement opposé aux OGM végétaux, dont il assure la présidence du conseil scientifique. Ce conflit d’intérêt aurait d’ailleurs du figurer dans l’article publié dans Food and Chemical Toxicology et il est regrettable que les auteurs se soient abstenus de l’indiquer. Dans ce contexte, on peut facilement comprendre qu’il faudrait tordre la main du Pr. Séralini pour qu’il écrive que son étude n’a pas permis de mettre en évidence un effet délétère de l’alimentation du maïs OGM et du glyphosate. Rappelons également que l’étude avait été financée en grande partie par des groupes de la grande distribution basant une partie de leur démarche marketing sur le « sans OGM ». Ce conflit d’intérêt aura lui aussi dû être signalé.
La deuxième raison réside dans la médiatisation intense de l’étude orchestrée par l’équipe de Caen lors de sa sortie : embargo sur la publication, sorties concomitantes d’un film militant et d’une campagne publicitaire des groupes financeurs de l’étude, mis en avant du secret entourant la réalisation de l’étude, diffusion de l’étude et d’un dossier de presse à des journalistes complaisants, invitation de multiples émissions de radio et de télévision, etc. il y a là des intérêts d’image et – ne nous leurrons pas – des intérêts financiers et de communication qui interdisent au Pr. Séralini tout « retour en arrière ».
Et maintenant ?
Comme il n’y aura probablement pas de retrait volontaire de tout ou partie l’article, il est plus possible que la revue procède à une rétractation d’office. Nous assisterons alors de nouveau à une bataille entre les détracteurs et les partisans de Séralini qui pourraient rapidement se trouver confortés dans leur idée d’un « coup monté » en regard de l’évolution du bureau éditorial de la revue. En effet, Gilles-Eric Sérialini estime que le revirement de la revue est à mettre en relation directe avec l’arrivée du Pr. Goodman au sein du bureau éditorial. Richard E. Goodman est un spécialiste des allergies alimentaires. Il travaille à ’Université du Nebraska et présente dans son curriculum vitae une faille majeure : il a en effet travaillé pendant sept ans chez le grand Satan (aux yeux de certains) à savoir la société Monsanto. Ce serait cependant très mal connaître le fonctionnement du bureau éditorial des revues que de penser qu’un seul de ses membres puisse être à même de dicter aux autres membres leur comportement.
Le problème majeur auquel nous somme maintenant confronté sera sans nul doute le discrédit qui risque d’être rapidement associé à toute étude d’évaluation des risques associés aux OGM, risques qui ne sont pas pourtant complètement évalués. Des failles et des lacunes existent dans les protocoles d’évaluation, et le mérite de l’étude de l’équipe de G.-E. Séralini est sans doute d’avoir été une tentative d’évaluer de façon relativement exhaustive un certain nombre de ces risques. Dans ce contexte, comment ne pas être d’accord avec Cédric Villani, pourtant très peu favorable aux OGM, lorsqu’il déclare, lors de l’audition du professeur Séralini à l’assemblée nationale, ce qui suit
« je ne cacherai pas que j’étais plutôt agréablement surpris quand j’ai entendu parler des résultats de l’équipe Séralini. Je me suis senti d’autant plus déçu, pour ne pas dire trahi, quand j’ai pris conscience, après lecture et discussions avec des experts, à quel point cette annonce impliquait ce qui me semble être - je le dis sans animosité - des brèches graves de déontologie scientifique, avec trois conséquences inacceptables : un effilochage des liens de confiance entre les scientifiques et la société ; la fragilisation du lien de confiance entre les scientifiques eux-mêmes ; et accessoirement le risque, par effet boomerang, de desservir la cause pour laquelle les auteurs de l’étude luttent…. Avec ma casquette de citoyen, je vois une autre conséquence, qui à titre personnel me chagrine beaucoup, c’est que le caractère spectaculaire de cette étude a focalisé le débat sur le pouvoir cancérigène des OGM, au détriment de tous les autres éléments, sociaux, économiques et éthiques, du débat sur les OGM, qui pour la société doivent aussi être abordés très sérieusement. »
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