Berlusconi a des « couilles »... contre lui !
A deux reprises au cours des trois derniers jours d’une inénarrable campagne électorale, Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien (Premier ministre) -peut-être plus pour longtemps- a eu le raffinement de qualifier publiquement les électeurs de gauche et de centre-gauche de "couilles". Car c’est bien par "couille" ou "connard" que l’on doit traduire le vocable "coglione" qu’il a utilisé et que les journalistes français, sous l’effet de la pudeur ou de la méconnaissance, ont rendu par un bien timide "couillon".
Non pas que cela nous étonne de la part du petit père de l’Italie, dont le curriculum des dérapages requiert déjà plusieurs megas d’espace disponible sur le disque dur des historiens de la déraison d’Etat. Fallait-il s’attendre à autre chose de celui qui traita de kapo nazi un parlementaire allemand lors de son discours inaugural à la présidence de l’Union européenne ? Ruer sans relâche dans les brancards des magistrats, accuser ses opposants de génocide sur la personne des enfants, vilipender, voire licencier les journalistes qui ne lui cirent pas ostensiblement l’ego, changer les règles du jeu lorsque les lois existantes ne l’avantagent plus, voilà bien le quotidien d’un étrange Premier ministre, à la tête d’un Etat qu’il a pris grand soin de déconstruire tout au long de ses cinq années passées aux commandes d’un quartier général en eaux troubles, à cheval entre gestion politicienne de la nation et gouvernance discrète de ses intérêts privés, dans le flou des frontières qu’il a su estomper... Point d’orgue dans l’apothéose de ce parcours presque sans faute du Rais d’Arcore... Il est parvenu, mieux que quiconque, à faire de l’exception une habitude en banalisant son mépris pour la chose publique dont il aurait pourtant dû être, par sa fonction institutionnelle, sinon le garant, du moins le responsable opérationnel.
Mais si le venin que Silvio Berlusconi n’a jamais cessé de cracher sur ses détracteurs a généralement déclenché des réactions indignées, celles-ci se sont souvent limitées à des déclarations de soutien ou de solidarité envers les institutions ou les personnes visées. Les interviews ulcérées de la part de ceux qui ont encore l’Etat en haute estime n’ont certes pas manqué, de même que les analyses économiques ou sociologiques montrant le lent déclin de l’Italie. Et de nombreux artistes aussi ont contribué à apporter une pierre courageuse aux digues qui tentaient de ralentir la politique du tout à la mer du Premier d’Italie. Mais en traitant la moitié du corps électoral italien de "couilles" (ou de "connards", c’est comme on voudra), le Berlusconi grand docteur en communication a montré les limites que sa peur-panique de perdre le pouvoir lui a fait atteindre ; il a foncé droit dans le mur. Une chose en effet, d’une gravité inadmissible, est de s’en prendre à l’Etat, à ses institutions, à ses représentants, aux règles qui le régissent et qui fixent les droits et les devoirs de tous et de chacun, qui distinguent le public du privé, le légal de l’illégal, le "donner" du "recevoir", mais une autre chose, bien plus grave encore, est d’afficher un dédain grossier à l’encontre de ceux et celles qui fondent l’Etat, le portent à bout de bras, ceux et celles qu’en fonction des modes ou des théories on a appelé le peuple, les citoyens ou les électeurs. Or, si Berlusconi, grâce à son empire médiatique, a géré l’Italie à la manière d’un reality show, faisant de la politique une sorte de festival des ondes, le peuple des anonymes a utilisé les médias qu’il pouvait, à savoir l’Internet et le téléphone portable, pour se défendre. Moins d’une heure après la première bordée d’insultes génitales, Berlusconi devait déjà faire face à une marée d’électeurs qui, dans toute l’Italie, arboraient fièrement des pancartes exprimant "Je suis une couille" ("Sono un coglione"). Il ne s’était pas passé une demi-journée depuis que Berlusconi avait confié à l’histoire ses bons mots aux senteurs de soufre, qu’apparaissaient en masse, dans toute la péninsule, les tee-shirts reprenant ce qui, entre-temps, était déjà devenu le nouveau slogan de l’opposition : "Je suis une couille". Et au son de ce nouvel appel, "Couilles de toute Italie, unissez-vous", Berlusconi a été pris et dépassé par son propre jeu. Maîtriser les télévisions nationales ne suffit plus, quand l’opposition prend les formes fluides de l’humour et voyage à la vitesse numérique des SMS et des blogs. En quelques heures, quelques heures seulement, un raz-de-marée populaire a pris corps dans les rues et sur les places d’Italie, infligeant à Berlusconi la pire des humiliations pour quelqu’un qui ne vit que par la force de son image, à savoir la dérision absolue. "Una risata vi seppellirà ", un éclat de rire vous enterrera, c’est déjà ce que clamaient les manifestants de 1977 à Bologne et Milan. Il a fallu attendre 2006 et Berlusconi pour voir cette prédiction se réaliser, car tout porte à croire que la dérision, l’ironie et l’humour pourraient bien faire table rase de cinq longues années d’arrogance, et porter le peuple des "couilles" au pouvoir à Rome !
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