La nouvelle stratégie de défense états-unienne
Barack Obama a dévoilé la nouvelle stratégie de défense des États-Unis ce jeudi 5 janvier au Pentagone. Il n'y a pas de grande surprise. En ces temps de coupes budgétaires, y compris pour le Département de la Défense, une réorientation des priorités était devenue inéluctable
Le discours de Barack Obama vient corroborer ce que la plupart des spécialistes en géopolitique pensaient et on peut le synthétiser en quatre points.
- Rester la première puissance militaire de la planète.
- Diriger prioritairement les efforts militaires vers l'Asie.
- Dégraisser les effectifs.
- Se désengager en Europe.
Devant la montée en puissance de la Chine et avec les difficultés budgétaires des États-Unis, Barack Obama a annoncé le meilleur plan possible pour la confiner dans ses frontières. Il faut rappeler que les États-Unis, quel que soit leur président, ont toujours eu une vision stratégique à long terme dont les effets seront ressentis dix ou vingt ans plus tard. La question qui se pose est de savoir ce que feront les adversaires potentiels des États-Unis pour contrecarrer cette nouvelle stratégie.
Mais analysons d'abord les quatre points essentiels qu'il a présentés.
Rester la première puissance militaire de la planète.
Personne ne doutait que les États-Unis ne renoncerait à leur rôle de gendarme du monde. Les erreurs stratégique de l'équipe George W Bush qui ont mené le pays dans des impasses militaires ont été à l'origine de gouffres budgétaires qu'il faudra des décennies pour résorber en temps normal. La nouvelle stratégie, conçue avec les experts du Pentagone, renonce à ces aventures idéologiques pour se recentrer sur des objectifs matériels concrets et prévisibles. Les forces de projections resteront sans équivalents dans le monde mais ne serviront plus à occuper des pays conquis.
L'US Air Force et la Navy, équipés de système de guidage, d'écoute et de brouillage électroniques ainsi que les drones toujours plus performants, devront pouvoir agir rapidement et avec précision.
Le Pentagone misera aussi sur la défense antimissiles et sur l'espionnage.
Diriger prioritairement les efforts militaires vers l'Asie.
La Chine est directement visée. Il faudra consolider les alliances militaires en Asie avant que la Chine ne soit devenue trop puissante. Excepté pour quelques îlots de la mer de Chine, la Chine n'a pas de revendication territoriale avec ses voisins. Il faudra convaincre les pays d'Asie que la Chine est une menace pour eux et que les États-Unis ne le sont pas.
Ce sont les CVBG (groupes aéronavals) qui seront les fers de lance de cette politique. Avec des bases dans les pays alliés pour faire escale et des unités en réserve (comme les 2500 Marines en Australie), c'est en Asie que va se concentrer le gros de l'effort militaire des États-Unis.
Dégraisser les effectifs.
Les échecs en Irak et en Afghanistan ont fait prendre conscience aux États-Unis que l'occupation de pays conquis coûte cher en hommes et en dollars et ne fait pas gagner les cœurs et les esprits des habitants. Il est plus facile et moins coûteux de de renverser un régime hostile en l'affaiblissant par des sanctions, d'ensuite détruire son infrastructure et, si nécessaire, éliminer ses dirigeants. Donc, inutile d'avoir des GI en grand nombre et une logistique imposante. Cela fera de sérieuses économies pour le budget de la Défense des États-Unis. Les opérations terrestres seront effectuées par des unités hyper-entraînées (et équipées) qui se retireront une fois leur mission accomplie.
Se désengager en Europe.
C'est ici que le programme ABM (bouclier antimissile) européen prend toute son importance. La seule menace militaire (éventuelle) pour l'Europe ne peut venir que de la Russie. On va demander aux Européens d’augmenter leurs dépenses militaires pour acquérir du matériel militaire sophistiqué (avions de cinquième génération, drones, forces de projection, etc.), de davantage s'intégrer à l'OTAN et de prendre leur défense en charge. Les ABM européens seront sûrement « upgrated » dans les prochaines années et les sites de lancement et les radars seront multipliés. (Aux frais des Européens.) Cela pour dissuader la Russie de chercher à reprendre de l'influence dans la zone que l'URSS a perdue. La sécurité des États-Unis ne sera plus menacée par un conflit en Europe sauf s'ils activent leurs missiles nucléaires stratégiques.
Voila la nouvelle orientation de la Défense que Barack Obama a présentée pour les 10 prochaines années. Les mesures concrètes ne seront publiées que beaucoup plus tard. La diplomatie états-unienne va maintenant se mettre au travail pour convaincre les pays alliés d'accepter leur part de responsabilité et de dépenses. Ce n'est pas gagné d'avance, surtout en Europe qui comme toujours manquera d'unité et fera valoir ses difficultés économiques. La Grande-Bretagne et la France devraient normalement devenir les noyaux durs en Europe de cette nouvelle donne.
Quelles peuvent être les réactions des deux principaux pays visés par ce cette stratégie, à savoir, la Chine et la Russie.
Ce plan n'est pas une surprise pour eux. Ils ont déjà créé l'OCS (lien) qui n'est pas une alliance militaire comme l'OTAN mais qui peut le devenir. Il y a cependant un déséquilibre démographique et économique en faveur de la Chine et un net avantage en faveur de la Russie en termes de défense nucléaire. La question du leadership ne sera pas facile à régler entre eux. La Russie oscille encore toujours entre une alliance stratégique eurasienne (Vladimir Poutine) et un rapprochement avec une Europe non inféodée au États-Unis et à l'OTAN (Dimitri Medvedev).
La Chine.
Sa réponse sera sûrement asymétrique et elle ne sera pas divulguée comme de coutume. (Barack Obama l'a fait pour des raison électorales.)
La croissance économique est importante dans pratiquement tous les pays d'Asie orientale. Ces pays n'ont donc pas besoin d'une aide de la Chine mais si les échanges commerciaux entre eux continuent d'augmenter et que le yuan devient la monnaie de référence en Asie, la Chine aura un argument de poids en sa faveur.
Sur le plan militaire, la Chine va essayer de contrer les CVBG avec des missiles balistiques anti-porte-avions mais ce ne sera pas aisé, les Soviétique s'y était déjà essayés sans succès. S'ils réussissent, ce sera nettement moins coûteux que de construire leurs propres CVBG. D'un autre coté, des missiles balistiques peuvent être interceptés par des bâtiments équipé de système antimissiles Aegis BMD (lien) ou par son évolution future. On peut dire que les recherches militaires ont de l'avenir !
Une autre riposte militaire sera sans doute le développement de sa flotte de sous-marins de tous types mais on sait que le retard chinois est énorme dans le domaine de la furtivité.
Les résultats des expériences de cyberguerre ou de guerre électronique ne sont pas publiés, donc pas connus. On sait avec certitude que la Chine fait des recherches dans ces domaines.
La Russie.
Il n'est pas nécessaire de rappeler combien l'Europe est dépendante du gaz russe. C'est le principal, si pas le seul atout russe mais la Russie est de son coté dépendante des devises que cela lui procure.
Sur le plan militaire, le nouvelle doctrine russe n'exclut pas l'usage d'armes nucléaires tactiques en premier. Cela lui évite d'investir dans de coûteuses mesures de défense contre des armées de toute façon supérieures en nombre et en qualité. C'est donc aussi une mesure asymétrique.
Pour contrer l'ABM européen, la Russie compte déployer des missiles Iskander M et K (lien) dans l'enclave de Kaliningrad. Grâce à leurs caractéristiques permettant de contourner une défense antimissile, l'ABM européen pourrait être mis hors d'usage en moins de 10 minutes.
Il reste les armes nucléaires stratégiques mais qui, elles, ne peuvent servir qu'à la dissuasion sous peine de destruction mutuelle, voire planétaire.
Ce petit tour d'horizon n'est guère réjouissant pour l'avenir. Après la dislocation de l'URSS, le monde pouvait espérer entrer dans une période de paix et de coopération mais un pays a cru que la victoire lui appartenait et qu'il n'était pas nécessaire d'entendre les autres.
Un apophtegme romain dit « Si vis pacem, para bellum », si tu veux la paix, prépare la guerre. Cette expression a toujours été démentie depuis l'époque romaine jusqu'à aujourd'hui. Le meilleur moyen d'avoir une guerre est de la préparer et quand on est prêt et que l'adversaire ne l'est pas, on est tenté d'utiliser sa force militaire. C'est Madeleine Albright qui a dit « Pourquoi avoir la plus puissante armée du monde et ne pas l'utiliser. » Et elle l'a utilisée en Yougoslavie.
Le danger avec les armées asymétriques, c'est qu'il devient difficile de prédire l'issue d'un conflit en comparant les forces respectives. Si cinq groupes aéronavals en affrontent deux, on peut prédire que les cinq groupes vont être vainqueurs. Si cinq groupes aéronavals sont attaqués par autant de missiles balistiques anti-porte-avions, les cinq porte-avions peuvent être détruits ou les cinq missiles peuvent être interceptés sans qu'on ne puisse le prédire avec certitude.
Et en plus de cela, nous allons nous retrouver dans un monde angoissant dans lequel on peut commencer un conflit contre des pays souverains qui ne nous ont même pas menacés. Si des pays se donnent le droit de renverser des régimes pour des raisons humanitaires, il faudra s'attendre que d'autres en fassent de même pour d’autres raisons.
Ici aussi, il faut rappeler une citation bien connue : « Les guerres, on sait toujours quand ça commence, mais jamais quand ça se termine ».
On a le sentiment que nous commençons un cycle de guerres sans fin.
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