Pervez Musharraf risque-t-il une fatwa ?

Comment sera jugé, dans les heures qui suivent, le président Pervez Musharraf ? Déjà très contesté dans le pays, pourrait-il encore faire les frais de cette opération, qui s’est soldée par de nombreuses victimes, auprès de l’opinion publique ? Le règne du président pakistanais tombera-t-il comme est tombé le siège de la Mosquée rouge ?
Devant les hésitations du président Musharraf de donner l’assaut contre la Mosquée rouge, comme l’indiquait le quotidien The Washington Post : « Peu importe ses réponses, Musharraf va apparaître au mieux incompétent, au pire complice d’avoir tenté de détourner l’opinion publique du vrai problème politique du moment ». L’équation devant laquelle s’est retrouvé le président Musharraf est simple : « Vous êtes foutu si vous le faites, vous êtes foutu si vous ne le faites pas ». C’est-à-dire vous donnez l’assaut contre la Mosquée rouge, vous êtes foutu, vous ne donnez pas l’assaut, vous êtes foutu également. Binaire, quoi.
Là où le bât blesse, se trouvait dans la Mosquée rouge une madrasa, soit l’école coranique Jamia Fari-dia, financée, au moins en partie, par le gouvernement. Le gouvernement pakistanais a-t-il ignoré, ou tu, le fait que cette même école, devenue un symbole de la « talibanisation » du pays, se radicalisait depuis des mois ? Le gouvernement n’a-t-il pas entendu les islamistes qui n’avaient pourtant pas caché leurs intentions extrémistes ? Déjà, pour le grand malheur du président Musharraf, des théories circulent : hostiles à la politique du chef de l’État, les services secrets pakistanais auraient pu miner l’action du gouvernement.
À la fin du mois de juin, des étudiants islamistes enlèvent neuf personnes, un vendredi soir, peu après minuit, dans un salon de massage d’un quartier chic d’Islamabad, avant de les libérer quatorze heures plus tard : six étrangères, dont trois Chinoises. Un Chinois et deux Pakistanais faisaient également partie des personnes enlevées. Maulana Mohammed Ishaq, un imam de la Mosquée rouge, a expliqué que le but de cet enlèvement était d’inculquer à ces personnes un enseignement afin qu’elles ne se livrent plus à des « activités antisociales ». Pour sa part, Abdul Rashid Ghazi, l’un des deux frères qui dirigent ce lieu de culte, en a rajouté en accusant les étrangers « d’impliquer notre jeunesse dans des activités sexuelles sous couvert de massages ». Et de toute façon « les valeurs de l’islam n’autorisent pas les femmes à masser les hommes », a-t-il fait valoir.
Abdul Rashid Gazi libère les neuf hommes et femmes après que l’administration du gouvernement l’a assuré qu’elle allait fermer les salons de massage à Islamabad. Abdul Rashid Gazi déclare également avoir pris en compte l’amitié entre le Pakistan et la Chine. Un porte-parole a justifié en ces termes l’action des étudiants : « C’est une réaction naturelle des étudiants contre la vulgarité et l’obscénité. Des filles étrangères dans ce centre de massage commettaient des péchés avec des hommes ». L’homme et les six femmes sont relâchés quelques heures plus tard dans les rues d’Islamabad habillés d’une burqa.
Pour le plus grand malheur de Pervez Musharraf, l’ambassadeur de Chine est fort mécontent et somme les autorités de garantir la sécurité des ressortissants chinois et de punir sévèrement les responsables. Dès le lendemain, le président somme les Rangers pakistanais de se déployer autour de la Mosquée rouge. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la Chine est le principal fournisseur d’armes du Pakistan. Après ce déploiement, Pékin adresse un message de soutien à Islamabad. « Nous appuyons, dit le communiqué, les mesures prises par le gouvernement pakistanais car elles visent à maintenir la stabilité nationale ».
Pervez Musharraf, qui envisage ainsi de se faire réélire président à l’automne, en a plein les bras. Il doit conjuguer avec Washington. Ces derniers mois, il a manifestement été l’objet d’un ballet diplomatique intense lui rappelant ses devoirs dans la lutte au terrorisme. Et voilà que maintenant s’ajoutent les pressions d’un gouvernement chinois en colère et mêlé bien contre son gré à cette crise interne intense. Au plan intérieur, Pervez Musharraf vit en effet une crise sans précédent avec le système judiciaire après avoir congédié le juge en chef de la Cour suprême, Iftikar Chaudhry. Son gouvernement est en chute libre et la plupart des Pakistanais réclament le départ de celui qui a pris les rênes du pays à la faveur d’un coup d’État, fin 1999. Les fondamentalistes profitent de cette période de trouble pour attaquer frontalement le gouvernement. « Il est à parier que les extrémistes vont multiplier les attentats pour venger leurs frères de la Mosquée rouge », note un diplomate en poste à Islamabad.
Selon le général Asad Durrani, qui fut chef du service de renseignements pakistanais (ISI) au début des années 1990, dans une entrevue qu’il accordait à Marie-France Calle, du Figaro : « le président paie le prix de toutes les opérations militaires menées depuis plusieurs années par l’armée pakistanaise dans les zones tribales, dans les provinces du nord-ouest et du sud-ouest du pays, proches de l’Afghanistan. Là aussi, il y a eu et il continue d’y avoir des victimes innocentes, des femmes, des enfants. Cela attise les ressentiments contre le régime et la volonté de vengeance de la population. Après l’opération contre la Mosquée rouge, il faut s’attendre à des représailles, à des attaques, notamment contre des installations gouvernementales ».
Olivier Guillard, politiste et directeur de recherche Asie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), analyse en ces termes la situation dans laquelle se retrouve Pervez Musharaff : « Tout le monde lui demande tout et son contraire, à commencer par la communauté internationale, et notamment les États-Unis, qui exercent sur lui des pressions pour juguler les islamistes. Quant à la majorité des militaires, ils voient dans le soulèvement de la Mosquée rouge l’occasion d’en finir avec ces radicaux ». Monsieur Guillard poursuit : « la façon dont se désamorcera la crise aura une incidence capitale sur la stabilité ou non du Pakistan dans les prochains mois ». En conclusion, poursuit l’analyste : « le noyau dur de la contestation anti-Musharraf, des personnes tout à fait prêtes à donner leur vie sont ceux qui ont produit depuis trois ou quatre années les diatribes les plus redoutables à l’encontre de Musharraf » (Marianne-en-ligne).
Sur la montée de l’islam radical au Pakistan, Gilbert Etienne, spécialiste de l’Asie du Sud et grand connaisseur du Pakistan, explique que : « jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, le pays soutenait le régime des talibans en Afghanistan. De nombreux groupuscules islamistes étaient utilisés par les services secrets et l’armée. Des liens évidents subsistent. Certains militaires ou politiques n’ont sans doute pas enterré toute ambition de reprendre la main en Afghanistan. Des zones tribales, comme la frontière du Nord-Ouest, sont incontrôlables et constituent traditionnellement un refuge. Par ailleurs, pour asseoir son pouvoir, Musharraf, qui est lui-même un musulman plutôt libéral, se doit aussi de ménager les partis religieux représentés au parlement et qui militent pour une islamisation du système ». Relativement à une éventuelle crise de stabilité, le spécialiste considère que : « le Pakistan a des capacités de rebondissement assez étonnantes, notamment grâce à sa croissance économique. Cela dit, il y a beaucoup de risques : la contagion du conflit en Afghanistan, les liens de solidarité entre certaines écoles coraniques et les talibans, le contexte des élections de cet automne. Ainsi, Pervez Musharraf aura du mal à se faire réélire. Mais, s’il parvient à une entente avec l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, une déstabilisation politique pourrait être évitée. « Nous ne savons pas où nous allons », c’est la phrase qui revient le plus souvent et traduit l’incertitude des Pakistanais eux-mêmes » (Entrevue d’Yves Petignat, Le Temps, Suisse, 11 juillet 2007).
Benazir Bhutto a, de Londres, estimé que la décision du général Musharraf d’assiéger la mosquée était la bonne. Toutefois, elle se déclare inquiète de la possibilité d’une prise de pouvoir islamiste au Pakistan : « Si on donne cinq ans de plus (aux talibans) en truquant les élections cette année, alors nous pourrions vraiment faire face au spectre d’une prise de pouvoir islamiste du Pakistan. Le siège de la Mosquée rouge montre à quel point certains parties du Pakistan sont devenues dangereuses », a relevé Mme Bhutto.
Mme Bhutto n’est pas tendre à l’égard de Pervez Musharraf qu’elle considère avoir été incapable de réaliser sa promesse d’instaurer une vraie démocratie. À l’inverse, le général a, selon Mme Bhutto, exploité les craintes de la communauté internationale sur le terrorisme. « La dictature à mon avis nourrit l’extrémisme plus qu’elle ne le contient et rien ne le prouve plus que l’apparition de la Mosquée rouge au cours de ces cinq dernières années à Islamabad », a expliqué l’ancienne Premier ministre qui a été au pouvoir de décembre 1988 à août 1990 et d’octobre 1993 à novembre 1996 (AFP, Londres, 10 juillet 2007).
Dans son entrevue, accordée au quotidien Le Monde avant les événements de la Mosquée rouge, Nawaz Sharif, ancien Premier ministre, chassé du pouvoir en 1999 par son vieil ennemi, le général Musharraf, juge ce dernier en termes très durs : « La situation se dégrade de jour en jour », dénonce-t-il. « Après avoir réduit le Parlement à une chambre d’enregistrement, Musharraf s’attaque en ce moment à la justice et aux médias. On vit en pleine dictature. Ce sont toutes les institutions du pays qui, une par une, sont visées, provoquant l’hostilité de l’ensemble de la société civile. [...] Si Musharraf poursuit dans cette voie, le pays va basculer dans le chaos, la destruction, le soulèvement du peuple ». Nawaz Sharif conjure George W. Bush de lâcher le général-président pakistanais : « Ce soutien américain transforme M. Musharraf en un dictateur arrogant qui se croit tout permis. Une telle attitude ne peut que renforcer les sentiments antiaméricains au sein de la population, ce qui n’est bon ni pour le Pakistan ni pour les États-Unis ». Pour mieux convaincre Washington, M. Sharif brandit l’épouvantail du danger islamiste : « M. Musharraf se pose en rempart contre les intégristes, mais c’est une plaisanterie. En affaiblissant les forces libérales, il favorise au contraire la montée en puissance des islamistes. On le voit bien avec la “talibanisation” croissante de la société pakistanaise ».
Les États-Unis ont manifesté leur appui au général Musharraf : « Le gouvernement pakistanais a agi de façon responsable sur cette question », a déclaré un porte-parole du département d’État, Tom Casey, notant que les autorités avaient donné « d’amples » occasions aux militants de se rendre pacifiquement. « Ils ont fait un certain nombre d’efforts pour régler ceci pacifiquement. Il est certain que personne ne veut assister à des pertes humaines, et notamment des pertes de vies innocentes dans cette affaire, a ajouté M. Casey. Mais en fin de compte, la responsabilité de tous les gouvernements est de préserver l’ordre et de tenter d’agir contre les terroristes ainsi que les auteurs d’actes criminels ».
Olivier Guillard, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), cité plus avant dans cet article, redoute maintenant que, dans les zones tribales, les forces de l’ordre soient prises pour cibles dans le pays. En Afghanistan, un chef taliban, Mansoor Dadullah, a exhorté les musulmans à perpétrer des attaques suicides contre les forces de sécurité pakistanaises, qualifiant l’assaut d’ « acte cruel ». Le n° 2 d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a, dans un enregistrement sonore diffusé sur internet, exhorté les Pakistanais à se révolter contre leur président, Pervez Musharraf : « J’en appelle aux oulémas (religieux musulmans) du Pakistan (...). Musharraf et ses chiens vous ont déshonorés au service des croisés (Occidentaux) et des juifs (...). Si vous ne vous révoltez pas, Musharraf va vous anéantir. Musharraf ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas éradiqué l’islam du Pakistan ».
Pervez Musharraf risque-t-il maintenant d’être l’objet d’une fatwa ?
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