Les Inégalités en France : Retour sur les contre-vérités
Le bouclier fiscal a du plomb dans l’aile. Face aux attaques et à la volonté présidentielle de « sauver le bouclier », les fidèles de Nicolas Sarkozy multiplient, depuis quelques jours, les interventions médiatiques en avançant les arguments les plus grossiers et des chiffres abracadabrantesques.
Acturevue s’est penchée sur le dossier.
Loin des querelles politiques, nous vous livrons une vision impartiale de l’état des inégalités en France et des effets du bouclier fiscal sur les ménages, en nous basant sur les données de l’INSEE, et les études de différents économistes.
Les inégalités n’augmentent pas en France, c’est ce qu’affirmait l’INSEE dans son dernier rapport publié en décembre dernier. Les inégalités se réduiraient même avec une hausse du pouvoir d’achat annuel des ouvriers de 0.5%, contre 0.2% pour les autres catégories. Mais les calculs de l’INSEE s’arrêtent au seuil des 10 % les plus riches. Or, c’est dans cette tranche que les hausses de revenus ont été les plus importantes. Ainsi en France, les inégalités n’ont pas augmenté pour 90% de la population mais lorsqu’on va plus loin, pour les 10% des ménages les plus riches, elles ont littéralement explosé.
Le pouvoir d’achat des dirigeants de sociétés anonymes a augmenté 10 fois plus vite que celui de leurs salariés. Soit une hausse de 55% sur la période 1998-2006. Pour aller plus loin, l’économiste Thomas Piketty a étudié les déclarations de revenus des ménages les plus riches. Il a ainsi mis en évidence que les 0.01% des salariés les mieux payés ont vu leur rémunération augmenter de 69% lors des 10 dernières années. L’économiste Camille Landais a également mené une étude qui montre que les revenus des 10% les plus riches ont augmenté deux fois plus vite que les autres, ce qui entraîne le creusement rapide des inégalités en France.
La situation des ménages les plus riches en France se synthétise donc de la façon suivante : les 5% les plus riches ont vu leurs revenus déclarés augmenter de 11% depuis 1998, les 1% les plus riches de 19%, les 0.1% de 32% et au sein des 0.01% les plus riches de près de 43%. Il est donc évident que plus nous montons dans la hiérarchie des revenus, plus ceux-ci augmentent rapidement en comparaison avec l’échelle inférieure.
Les revenus du patrimoine sont le premier facteur d’inégalité en France : Ils sont générés par les biens acquis par les ménages, souvent depuis de nombreuses générations. Ces revenus représentent 9% du revenu total pour les 10% des foyers les plus riches, et seulement 3% pour les autres. Le revenu des biens immobiliers a ainsi augmenté 5 fois plus vite que les salaires. Le député PS, Manuel Valls proposait, dans une tribune du journal Les Echos le 9 avril dernier, de « revenir sur l’exonération trop généreuse des droits de succession, qui contribue à la reproduction des inégalités de patrimoine d’une génération à l’autre », ajoutant que « la rente est tout sauf moderne ! »
Les politiques fiscales ont entraîné une augmentation rapide des revenus des ménages les plus riches depuis 2000. Pour l’économiste Camille Landais, l’affaiblissement de la fiscalité « a concordé avec une augmentation rapide de la part des hauts revenus dans le revenu total ». Ainsi, la réforme fiscale de 2007 qui a introduit le bouclier fiscal a été perçue comme un « coup politique ». Sous prétexte de vouloir rendre la France plus attractive et éviter l’évasion fiscale, le gouvernement a diminué l’IRPP*, l’impôt sur le revenu. Cette réforme vise dans les faits à limiter le taux d’imposition des ménages les plus riches à 50%. Ce taux d’imposition prend en compte l’IRPP* la CSG* et L’ISF*. Le coût de cette mesure est de plus de 5 milliards d’euros par an, ce qui correspond à 0.3% du PIB.
Les ménages les plus riches ont bénéficié de ce bouclier fiscal. Si l’on se fie au discours de la majorité présidentielle, le bouclier fiscal profite à l’ensemble des personnes qui paient l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire la moitié de la population. Cela est vrai ; en effet, le bouclier fiscal permet aux ménages de payer moins d’impôts, mais l’abattement présente des disparités énormes en fonction du revenu. Grâce à la défiscalisation, ce sont les revenus des plus riches qui ont explosé.
Le bouclier fiscal a donc entraîné le creusement des inégalités, car la réforme n’a pas profité à tous de la même façon. Ainsi, pour un ménage qui gagne entre 50 000 et 70 000€ par mois, le gain sera de 18% alors que pour le ménage qui gagne 7000€, le gain ne sera que de 1.5%. L’impôt n’est donc pas « plus juste » contrairement à ce qu’avait annoncé le gouvernement avant l’application de la réforme.
Les bonus, les intéressements, les actions gratuites ou les stocks options ont modifié la composition des hauts salaires, et contribué à l’explosion de ceux-ci par rapport au reste de la population. Mais il nous faut mettre en relief la situation européenne avec les pays anglo-saxons. Selon Camille Landais, « les niveaux de concentration de la richesse varient du simple au triple entre pays anglo-saxons et d’Europe continentale, alors qu’ils étaient tout à fait équivalents il y a à peine vingt ans ». Les patrons du CAC 40 perçoivent ainsi une rémunération de 39% inférieure à celle de leurs collègues américains ou britanniques. Ce qui équivaut par an, à 367 années de smic pour les anglo-saxons contre 308 pour les Français.
Les inégalités de revenus se creusent donc en France entre les 10% les plus riches et le reste de la population. Le bouclier fiscal adopté en 2007, à l’heure du Sarkozysme triomphant est aujourd’hui remis en cause par une grande partie de la classe politique au nom de la justice sociale. Cette mesure est d’autant plus insupportable dans le contexte de crise économique et des déficits records des assurances santé et vieillesse... Le nouveau ministre du budget, François Baroin, a dû reconnaître que le fisc avait, dans le cadre de ce bouclier, remboursé à16350 personnes la coquette somme de 585.5 millions d’euros, ce qui nous donne un montant avoisinant les 35 814 euros par personne ! Thomas Piketty a repris la célèbre phrase du Président Roosevelt en déclarant qu’ « il faudrait taxer les 0.01% les plus riches à hauteur de 80% pour réduire les inégalités. Le président centriste de la commission des finances du Sénat Jean Arthuis a, quand à lui, déclaré que « le bouclier est une mauvaise réponse à un mauvais impôt. »
Adrien Rozès
- *CSG : La contribution sociale généralisée est un impôt français institué le 16 novembre 1990, qui participe au financement de la sécurité sociale.
- *IRPP : L’impôt sur le revenu des personnes physiques est un impôt direct mis en place durant la première guerre mondiale. C’est un impôt progressif, les citoyens sont donc imposés selon leurs revenus. Il représente en 2006 17% des recettes de l’Etat, ce qui permet à peine de couvrir les intérêts générés par la dette publique de la France.
- *ISF : L’impôt de solidarité sur la fortune est un impôt sur la fortune payé par les personnes physiques et les couples détenant un patrimoine net supérieur à 790 000 euros (seuil au 1er janvier 2010)
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