Nicolas Sarkozy ou l’art de la guerre en politique
Le slogan de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, depuis élu président de la République, l’avait annoncé : « Ensemble tout est possible ». Mais pour autant ne sommes-nous pas encore étonnés de la capacité du nouveau président de la République à mettre en oeuvre un principe transcendant les frontières politiques au-delà des partis eux-mêmes ? La stratégie politique de Nicolas Sarkozy force le respect tant à droite qu’à gauche. A tel point qu’aujourd’hui il convient de s’interroger d’une part sur l’art déployé par Nicolas Sarkozy et ensuite sur les conséquences à terme de son action dans le paysage politique dont on pressent qu’il est à la veille d’un grand bouleversement. Rassemblant au-delà de son camp bien qu’il n’en ait nul besoin, Nicolas Sarkozy n’est-il pas en train de recomposer la droite et la gauche ?

A droite, d’abord.
Ainsi, au sein de l’UMP - la machine de guerre de Nicolas Sarkozy - Bernard Accoyer l’avait pressenti il y a plus d’un an : "Notre pire ennemi, c’est nous-mêmes." C’est pourquoi contrairement à Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy s’est attaché dans un premier temps à mettre de l’ordre au sein de son propre camp sans craindre d’y porter haut la critique contre ceux qui risquaient à terme de contester son autorité (souvenons-nous comment les méandres de l’affaire Clearstream furent utilisés de manière pertinente par Nicolas Sarkozy pour écarter toute velléité de Dominique de Villepin, lequel, quelques mois plus tard à la veille de l’élection, n’aura d’autre solution que de se plier au cérémonial de prêter allégeance à son ancien ministre). Mais nous aurons à nous interroger aussi pour savoir si l’unité affichée aujourd’hui ne constitue pas qu’une façade. Certes, l’ancien candidat a été officiellement désigné par son parti après que Michèle Alliot-Marie se soit prêtée au jeu de l’opposition interne (sa nomination au ministère de l’Intérieur marque pour elle le signe de la reconnaissance des bons et loyaux services rendus à cette occasion).
Mais cette désignation est-elle vraiment comparable au parcours du combattant que Ségolène Royal a du subir au sein du Parti socialiste ? Sur la forme, l’élection de sa rivale aura été un modèle de démocratie participative au sein du parti puisque ce sont les militants socialistes qui ont fait le choix contrairement à la démarche de l’UMP. On eût pu croire que cette démarche eût permis à la candidate d’afficher son autorité sur son camp. Mais une fois l’effervescence passée, le Parti socialiste et la gauche toute entière sont retombés dans les gouffres de la division. Pourquoi ? Pour répondre à cette question, il faut justement analyser ce qui s’est passé dans l’autre camp, à droite et à l’UMP. La différence tient bien sûr comme on vient de le souligner sur la forme de la désignation interne à chaque parti. Pour autant, la démarche a priori plus démocratique et donc plus légitimante, choisie par le Parti socialiste n’aura pas permis à Ségolène Royal de marquer suffisamment son autorité sur son parti.
Il lui aura manqué peut-être ce que Sun Tzu désigne comme la discipline et définit comme "l’art de ranger les troupes", au travers notamment de l’autorité puisque l’auteur nous dit que pour cela il ne faut "ignorer aucune des lois de la subordination et les faire observer à la rigueur". Et reconnaissons-le, la rigueur exigée par Nicolas Sarkozy auprès des siens aura été exemplaire. Nul n’aura bronché. Les querelles anciennes ont été tues dans l’objectif de l’élection suprême. Et chacun s’est prêté au jeu, même Bernadette Chirac.
De son côté, la gauche, par orgueil (sans mettre en cause ici le bien-fondé de certaines de leurs idées, comment des José Bové, des Dominiques Voynet, des Arlette Laguiller, des Olivier Besancenot,... pouvaient prétendre vouloir faire gagner la gauche !) s’est laissé bercer d’illusions, d’aucuns aujourd’hui - ceux-là mêmes qui n’avaient apporté leur soutien à Ségolène Royal que du bout des lèvres, le baiser de la mort dit-on - allant jusqu’à défendre l’idée saugrenue que la gauche ne pouvait pas perdre cette élection. Vu comment la gauche a conduit la bataille, elle ne pouvait certes pas la gagner ! Disons-le, si les partisans de cette analyse en restent là, il n’est pas certain que la gauche et tout d’abord le Parti socialiste se remettent de sitôt de l’élection de Nicolas Sarkozy. Au contraire, celui-ci, non content d’avoir dans le même temps fait taire les dissensions internes à l’UMP, ravi les électeurs à un Jean-Marie Le Pen aujourd’hui médusé et sous le charme et vidé de son sens l’ancien parti de François Bayrou en obligeant les élus à choisir de facto le camp de l’UMP, Nicolas Sarkozy a poursuivi son offensive tous azimuts en fauchant sur les terres de ses ennemis au point qu’aujourd’hui certains dans son camp auraient des raisons légitimes de se sentir frustrés. On notera à ce titre que l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin n’a pas hésité à préciser les que personnalités comme Bernard Kouchner devraient accepter
A gauche, ensuite donc
L’ancien candidat et le nouveau président de la République s’est attaché à mettre en oeuvre le principe suivant : "Le grand secret de venir à bout de tout consiste dans l’art de savoir mettre la division à propos" (L’Art de la guerre - Sun Tzu). Nicolas Sarkozy ne s’est en effet pas contenté, et là encore de recourir à un certain artifice de rhétorique, à faire appel aux figures historiques de la gauche (de Jaurès à Blum en passant par Guy Môquet) semant au passage les graines du doute parmi les siens. Il est allé plus loin allant jusqu’à "débaucher" ses anciens ennemis : Eric Besson sonna le terrible glas de la fuite et confirma son acte en acceptant de participer au premier gouvernement de Sarkozy avec un poste au profil nouveau. Suivirent Bernard Kouchner - un électron libre au sein de la gauche diront certains - et Jean-Pierre Jouyet "ancien" ami de François Hollande confirmant l’éclatement des repères parmi les femmes et les hommes de gauche et faisant dire ici et là que Nicolas Sarkozy aurait gagné la victoire des valeurs. Mais qu’est-ce qui pousse le nouveau président de la République à faire tant de démonstrations d’ouverture alors que son élection aura été confortable ? C’est que l’oeuvre de Nicolas Sarkozy ne s’achève pas avec le rassemblement des forces à droite et au centre, son élection devrait conduire le paysage politique français à se transformer de fond en comble. Ainsi, de manière visible et sans vergogne, le nouveau président de la République a constitué un gouvernement alliant des idées et des hommes flirtant avec l’extrême droite (nul ne sait où nous conduira le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement) et des personnalités franchement marquées à gauche (Jean -Pierre Jouyet fut ainsi directeur-adjoint du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin et Bernard Kouchner ne peut renier son esprit de 68, "il est l’animateur du comité de grève de la faculté de médecine de Paris" - source).
A gauche encore
Après avoir crié haro sur les traîtres, les renégats, les félons, le débauchage, chacun derrière sa bannière tente d’appeler à la refondation, à la recomposition de la gauche ou au mieux du Parti socialiste. Mais force est de constater que, à la veille des élections législatives, ce qui est attendu et annoncé par tous de droite à gauche, c’est une déconfiture du Parti socialiste et de la gauche en général. C’est là que Nicolas Sarkozy a décidé de mettre en oeuvre un autre précepte de Sun Tzu : "L’invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire dans l’attaque." Les socialistes le disent eux-mêmes, "on va prendre une veste", rappelant que certains d’entre eux ont tourné la leur par conviction au pire, par opportunisme au mieux. Si cette défaite annoncée est telle, il est probable que le Parti socialiste tel qu’il existe aujourd’hui ne sera plus demain que l’ombre de lui-même. Déjà sur le terrain, les querelles intestines de ce parti aux multiples clans sont si visibles que les électeurs sont en droit de se demander quel est ce socle commun qui les tenait unis officiellement jusqu’à il y a peu. Mais il faut bien dire que s’il y a eu échec de Ségolène Royal, la cause se trouve avant tout dans son propre camp. Combien les électeurs - qu’ils soient de droite ou de gauche - auront remarqué la campagne solitaire de la candidate tandis que son rival n’avait de cesse de se montrer avec ses lieutenants qui aujourd’hui sont au gouvernement !
Et aujourd’hui, combien remarquent dans leurs circonscriptions l’évidence des dissensions et donc de la débâcle à venir. Prenons l’exemple de la 7e circonscription de l’Oise ancrée à gauche de 1932 à 2002 ! Les résultats en 2002 avaient conduit un enfant du pays, certes marqué à droite, à être élu face au candidat de la gauche et du Parti socialiste d’une courte tête (à peine 600 voix de plus - voir les résultats). Mais ce qui ressortait le plus c’était qu’il était l’élu du pays. Aujourd’hui, le candidat estampillé "Parti socialiste" doit faire face à une opposition plus rude dans son propre camp que si elle provenait de la droite. Et certains au PRG ou au PC espèrent profiter de leurs puissants soutiens de notables socialistes locaux pour reprendre le flambeau. Les uns et les autres à gauche ne voient-ils pas qu’ils vont tout droit au gouffre ? Et que c’est bien plus que 600 voix qui sépareront les deux candidats du second tour ! Seule Ségolène Royal appelle au rassemblement pour les législatives tandis que le secrétaire national fait tribune en solitaire. Elle semble avoir compris que la traversée du désert sera longue pour le Parti socialiste et garde le président de la République comme seule cible. Voilà qui est tout à son mérite !
D’ici quelques semaines nous y verrons
un peu plus clair. La victoire de Nicolas Sarkozy sera sans nul doute
confortée par une majorité sans précédent à l’Assemblée nationale et le
Parti socialiste n’aura plus qu’à se reconstruire sur les cendres et
les décombres dont sont seuls responsables les éléphants. Et ce ne sont pas les critiques acerbes des déçus, comme celle du député fabusien François Loncle à l’égard de Bernard Kouchner en le surnommant "politicien sans frontières" qui changeront quelque chose à se qui se trame, car tout l’art de Nicolas Sarkozy est justement d’avoir compris que la France était mûre pour redessiner ses frontières politiques. Au final, ce sera peut-être le meilleur service qu’il puisse rendre à la gauche.
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