Il y a quelque temps, j’ai pris connaissance de deux études récentes intéressantes, approfondies et argumentées, concernant l’islam : les ouvrages du père Edouard-Marie Gallez, prêtre, et les conférences du frère jésuite Bruno Bonnet-Eymard. Malgré la grande érudition de ces deux auteurs, je n’y ai pas trouvé ce qui aurait pu m’éclairer un peu mieux sur le Mahomet militaire qui m’intéresse, le stratège et tacticien. Et pourtant, c’est bien le chef militaire qui est mis en exergue chez les deux auteurs musulmans qui nous
ont relaté son histoire : Ibn Hishâm (IX ème siècle) et Al Tabari
(compilateur qui serait plus tardif).
J’ai confronté les récits de ces deux auteurs anciens. Pour moi, il saute aux yeux que c’est le texte d’Ibn Hishâm qui s’inspire de celui de Tabari et non le contraire. Les nombreuses références aux Hadiths de la tradition dans le premier, pratiquement absentes dans le second, la datation assurée du premier, vont dans ce sens ; quant à celui de Tabari, dès lors qu’on admet qu’il ait pu être un compilateur, on peut faire l’hypothèse logique qu’il a repris un récit plus ancien. J’irais même jusqu’à penser que nous avons là le texte original de la vie du Prophète (une biographie d’après Abou Becker, le grand disciple).
La logique veut en effet que le successeur immédiat de Mahomet, Abou Becker, ait repris le flambeau, et le combat, avec un Livre à la main... un livre à deux volets : le Coran et la Sira (vie du Prophète). J’ai donné dans mes ouvrages et articles des exemples de ce type de prédication à deux volets (actes des Apôtres + évangile de Luc par exemple). Après la Torah qui fut le livre sacré pour la propagation du judaïsme, après les évangiles qui le furent pour le christianisme, un combat musulman avec son propre livre - toujours présent pour la prédication et l’éducation - va de soi.
Je fais donc l’hypothèse que si le Coran qui nous est parvenu a été modifié pour des raisons diverses, la Sira dite de Tabari, quant à elle, ne l’a pas été depuis Abou Becker - car cela ne se justifiait pas (je crois à une filiation Abou Becker). Nous aurions donc là le document de base qui nous permettrait de comprendre l’origine de l’histoire musulmane. Je passe sur les controverses soulevées sur les écrits fondateurs, après la mort du Prophète, par les disciples concurrents d’ Abou Becker : Ali, Omar et Othman (dans la filiation Othman, des écrits ont été brûlés et l’ordre chronologique des sourates coraniques a disparu pour être remplacé par un ordre tout à fait arbitraire, en fonction de la longueur des versets).
Mahomet était de la famille des Hâshim. Soyons clairs ! Ce ne sont pas les bédouins du désert, contre lesquels le Prophète a combattu, qui habitaient La Mecque. Les Hâshim venaient d’ailleurs, mais d’où ? Je pourrais arguer d’un rapprochement étymologique avec les Assidéens de l’ancien Israël, du mot hébreu Hassidim - les justes et les pieux (cf. livre des Maccabées et psaumes). Les mots sont très proches. Mais beaucoup plus convaincants sont les rapprochements qu’on peut faire avec ce que j’appelle la stratégie des Esséniens telle qu’elle apparait dans les documents de Qumrân récemment découverts (selon moi, Esséniens = Hassidim).
L’esprit qui vient d’en haut, la certitude de détenir la vérité, la guerre au nom de Dieu, le martyre qui ouvre les portes du paradis, le drapeau qu’on remet au départ des expéditions, les oriflammes avec leurs devises guerrières, la rigueur religieuse, l’intervention des anges dans les batailles, les détachements de mille hommes, tout cela se retrouve dans l’histoire du Mahomet de Médine, dans la droite ligne de ce que les "Saints de Dieu" des documents de Qumrân avaient projeté mais qu’ils n’avaient pu réaliser.
Irréfutable précision, les noms des quatre archanges, Michel, Gabriel, Sariel et Raphaël qui, dans le plan de mobilisation de l’armée essénienne (Règlement de la guerre), désignent des tours humaines de trois cents combattants, se retrouvent dans l’armée musulmane pour désigner, suivant mon interprétation, les éléments réservés qu’on lance dans la bataille, en dernier recours, pour emporter la décision... et la victoire... victoire des anges. Ces troupes d’élite, ce seront celles-là qui auront le grand honneur d’accompagner le cortège funèbre du Prophète... Gabriel, Michel, Izrafil, Azrël. (Je vais là encore m’attirer la foudre de mes contradicteurs habituels qui croient toujours aux anges tout en s’interrogeant sur leur sexe... passons !)
La stratégie que les Esséniens ont élaborée deux siècles avant J.-C. pour reconquérir le Croissant fertile, Mahomet et ses successeurs l’ont mise en oeuvre neuf siècles plus tard.
Mais au VII ème siècle, Mahomet a, en plus, tiré la leçon de l’échec relatif du judaïsme et du christianisme dans cet empire romain d’orient engagé inexorablement sur la pente du déclin. Trois siècles plus tôt, en imposant sans nuances la croyance unilatérale en un fils de Dieu, le concile de Nicée avait cristallisé les dissensions d’interprétation dans les nombreuses communautés monastiques de cet empire. Mahomet a compris l’intérêt stratégique qu’il y avait à rallier ces communautés à sa cause dans une nouvelle ummah ouverte à tous mais aux principes simples mais rigoureux.
1. un ancrage dans le passé à une source historique commune et indiscutable : Abraham.
2. une obligation de croyance d’ordre supérieur, réduite à l’essentiel : les divinités n’existent pas, excepté Dieu.
3. un prophète dernier, pour mettre un terme à la prolifération des prophètes et des sectes.
5. une obligation de combat contre ceux qui ne veulent pas entrer dans l’ummah et une condamnation à mort pour ceux qui en sortent.
C’est cette stratégie qui, dans un premier temps, a permis à Mahomet de mener avec succès son combat pour l’unification de l’Arabie... apparemment avec un soutien extérieur (en premier, les moines de Bahira de Syrie). Mais rien n’étant figé et les circonstances faisant que... les règles de l’ummah ont évolué. Des obligations supplémentaires sont apparues, principalement sous l’influence des judaïsants : prières, jeûne, viandes impures. Ensuite, les juifs et les chrétiens qui étaient entrés dans cette ummah ont été sommés de ne se dire que musulmans. Tout cela se trouve dans le livre de Tabari.
Le problème s’est posé, une fois l’unité de l’Arabie réalisée. Comme l’armée musulmane était devenue pléthorique dans ce pays aux ressources limitées, les chefs musulmans ont eu à répondre à deux graves questions : le moral des troupes et la logistique. Les deux solutions qui s’offraient à eux étaient la poursuite victorieuse des combats (pour le moral), le butin à conquérir (pour la logistique). Il s’agissait donc de se lancer à l’assaut du monde arabe extérieur sur trois axes principaux sans perdre de temps, vers la Perse à l’est, vers la Syrie au nord, vers l’Egypte à l’ouest. Or, ou bien il fallait trois Mahomet (un sur chaque axe), ou bien il fallait le laisser mourir et combattre avec son esprit, l’esprit du Prophète, c’est-à-dire avec le Livre. Sur la fin de sa vie, étonnant concours de circonstances, Mahomet était malade. C’est la conséquence bien connue de l’usure du pouvoir. Ecrasées par les impôts, les tribus d’Arabie faisaient sécession, de faux prophètes entraient en concurrence. En outre, Mahomet avait dû faire des concessions aux Juifs, à la bataille du fossé, à Khaïbar et à Fadak ainsi qu’aux Ançars de Médine. Pour les disciples de l’exil, les Mohâdjirs, qui s’estimaient défavorisés, une reprise en mains s’imposait.
Abou Becker n’a pas supplanté Mahomet, il lui a succédé ; la nuance est importante. Il n’a pas pris le pouvoir par ambition, mais parce que les vieux musulmans ont estimé que c’était lui qui devait dorénavant conduire l’Islam. Craignant que l’unanimité ne se fasse pas sur son nom, Abou Becker a pensé, un moment, se désister en faveur d’Omar. Mais Omar a refusé l’offre. Quant à Ali, autre prétendant possible, il a reconnu Abou Becker… certains disent : au bout de quarante jours.
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NB. Dans mon premier lien, lire : l’ancien empire romain d’occident.