Christianisme et père Noël : ou le miracle de la raison
Cela doit être ça, le miracle de Noël : j’ai entendu hier pour la dixième année consécutive la phrase que n’importe quel chrétien s’est un jour vu asséner : « c’est bientôt le 25 décembre, pourquoi ne crois-tu pas plutôt pas au père Noël, au moins lui il t’a déjà apporté des cadeaux ! ». Si vous discutez avec un ami anglo-saxon, il préfèrera peut-être vous offrir un plat de pâtes, avec une terrifiante garniture d’extraterrestres : c’est le flying spaghetti monster, l’équivalent de Dieu pour un athée. Alors oui, ce doit bien être un miracle car il me semble que la probabilité pour qu’un argument aussi grossier et incohérent soit toujours en vogue dans tous les milieux, même les plus diplômés, est incroyablement faible. Mais c’est vrai que tout fout le camp. On ne s’en rend pas bien compte depuis la France, puisque les oreilles du Français un peu plus que moyen ne reçoivent – au mieux – que France Culture ou puisqu’une université populaire n’aborde l’histoire des idées qu’avec les lunettes du dernier opus de Michel Onfray, c’est dire.
En fait, contrairement au discours traditionnellement répandu, les avancées en philosophie analytique montrent que la science n’est pas en conflit avec la religion : bien au contraire, c’est le fait de penser qu’il est impossible qu’une intervention divine soit jamais intervenue sur terre qui est en profond conflit avec la science. C’est ce que met en lumière Plantinga dans son livre qui vient de paraître il y a quelques jours chez Oxford University Press [2].
Ce tournant majeur qui est en train de se produire dans l’histoire de la pensée a des répercussions immenses dans tous les domaines de la connaissance. L’impact le plus remarquable a certainement lieu en histoire. Les spécialistes de l’histoire du christianisme antique se retrouvent incapables de justifier leur refus d’étudier la probabilité des miracles dans le Nouveau Testament. Une attitude neutre à l’endroit des miracles leur imposerait de les examiner à l’aune du critère de la meilleure explication possible. Ils ne le font que rarement.
Et quand ils s’attellent à cette tâche en ce qui concerne la première de toutes les affirmations miraculeuses, la Résurrection de Jésus, celle-ci n’apparaît pas ridicule, loin de là [3]. Aux Etats-Unis, cette révolution est en marche : l’argument contre les miracles qui datait du XVIIIème siècle a explosé en vol depuis les années 2000 lorsqu’il a été confronté avec la rigueur des analyses bayésiennes. Et un historien du Nouveau Testament vient de publier un livre qui montre, en multipliant les exemples, que les revendications miraculeuses foisonnent dans le monde contemporain et que ces témoignages ne peuvent être rejetés au nom d’un ethnocentrisme occidental moderniste refusant a priori les miracles. Il est donc intrigant (voire amusant) de constater la sempiternelle prudence d’une majorité d’historiens. Lorsqu’il a présenté sa toute récente biographie de Jésus [4] lors du dernier numéro de La grande librairie sur France 5, Jean-Christian Petitfils a réaffirmé le point de vue traditionnel : l’historien doit s’effacer devant les prétentions au miracle et ne pas donner son avis, alors même que Petitfils a de façon tout à fait pertinente et audacieuse examiné et jugé authentiques trois reliques de la Passion, dont le fameux suaire de Turin. En bonne logique, l’historien ne doit pas s’effacer mais s’imposer. L’historien doit sans cesse questionner les revendications de miracle, comme l’y invite par ailleurs subrepticement saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens (15, 6) ou bien sûr le célèbre récit mettant en scène le doute de saint Thomas. Et cela plus que jamais. Les sciences humaines et physiques ont tout à y gagner : elles permettent de prouver que le Père Noël n’a jamais existé dans le monde réel, et que la Résurrection est sûrement l’explication historique la plus probable de toutes celles qui ont jamais été avancées.
C’est ainsi qu’aujourd’hui il n’y a plus aucune excuse : lorsque la raison conduit au miracle, il ne faut pas éconduire la raison. Admettons, quoi qu’il nous en coûte, le miracle de la raison.
[1] Richard Swinburne, Y a-t-il un Dieu ?, Ithaque, 2009.
[2] Alvin Plantiga, Where the Conflict Really Lies : Science, Religion and Naturalism, Oxford University Press, 2011.
[3] Michael Licona, The Resurrection of Jesus : A New Historiographical Approach, IVP Academic, 2010.
[4] Jean-Christian Petitfils, Jésus, Fayard, 2011.
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