« La chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée »
Qu’est-ce que l’islam ? Qu’est-ce qu’il est réellement dans son essence ? S’agit-il d’une religion ? Son implantation récente en France fait surgir cette question qu’analyse Odon Lafontaine, auteur de La Laïcité, mère porteuse de l’islam ? (Ed. Saint Léger-Les Unpertinents, 2017, avec le P. Michel Viot).
L’ISLAM, CETTE VIEILLE CONNAISSANCE
Nous connaissions l’islam avant, dans le temps jadis. De loin, comme l’adversaire fantasmé de la chanson de Roland. Comme le sultan qui refusa la conversion proposée par Saint François d’Assise. Comme le Turc qui faillit prendre toute l’Europe après Constantinople. Comme le Maure qui terrorisait la Méditerranée par la razzia, la piraterie et l’enlèvement en l’esclavage. L’islam était l’adversaire archétypal de la chrétienté et de l’Occident.
La critique chrétienne fondamentale, formulée dès son apparition, le fustigeait comme une hérésie (c’est-à-dire une contrefaçon de l’idée du Royaume de Dieu), notamment dans les réquisitoires sans appel de Jean de Damas (VIIIe siècle) ou de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui fit traduire le Coran au XIIe siècle.
Et puis, nous avons connu l’islam de beaucoup plus près, lorsque le vent de l’histoire tourna, que l’islam consomma sa décadence, se laissant envahir et soumettre par l’impérialisme occidental. Un « vivre ensemble » s’établit dans les terres d’islam. On y vivait à l’européenne au XXe siècle dans ses grandes villes, tandis que le progressisme occidental se diffusait partout : technique, institutions politiques modernes, idées nouvelles de nationalisme, de socialisme, de sécularisation… Les « orientalistes » poursuivirent le travail d’étude et de compréhension de l’islam. Ils lui appliquèrent les méthodes scientifiques nouvelles et l’esprit critique développés à partir du christianisme (et de plus en plus contre lui).
C’est ainsi qu’Ernest Renan en vint à donner cette conférence fameuse de 1883 à la Sorbonne, d’où provient la citation en titre de cet article. C’est ainsi que la critique historique fondamentale de l’islam fut initiée. C’est ainsi, pour faire pièce à la religion chrétienne honnie, que se développa aussi chez une partie des orientalistes le mythe d’une religion de tolérance et de paix, qui aurait fait le bonheur de l’Andalousie.
INTOUCHABLE ISLAM
Cette approche idéologique de l’islam en vint à placer un écran de fumée entre sa réalité, particulièrement la connaissance empirique et scientifique ainsi développée au fil des siècles, et le discours dominant qui est toujours tenu sur lui en Occident. L’après-guerre a vu de la sorte les forces anticoloniales et anti-impérialistes déployer un discours de commisération et d’encensement des musulmans, perçus comme nouveaux prolétaires du schéma marxiste, nouveaux acteurs du progressisme, de la révolte contre le monde ancien.
On était aveugle à leur cœur battant, l’islam, que la réaction contre l’impérialisme occidental avait excité, ravivé et transformé. Les autorités et doctrines nouvelles de l’Occident contemporain ont achevé ce travail d’oubli, au moyen notamment de concepts nouveaux comme le politiquement correct, l’islamophobie ou l’invention du dualisme islam/islamisme. Dans un sens, c’est toute une connaissance de l’islam qu’il nous faut retrouver.
LA NATURE PROFONDE DE L’ISLAM
Qu’est-ce en effet que la foi musulmane ? Un musulman répondra : « Pas de divinité en dehors de Dieu et Mahomet est l’envoyé de Dieu ». Certes, mais voilà qui ne définit pas grand-chose sur le plan pratique. Quel sens cette foi donne-t-elle à la vie d’un musulman ? Au destin de la société ? Qu’espère un musulman de la vie ? Pourquoi agit-il ? En vue de quoi ? Et, à partir de là, comment agit-il ?
Voilà ce qui définit réellement toute conviction fondamentale, qu’elle soit religieuse, idéologique ou philosophique. S’arrêter à la seule profession de foi ne suffit pas. Il faut expliquer comment se détermine la vision pratique du monde.
Nous comprenons donc que la définition de « religion » ne suffit pas à décrire l’islam. Oui, il est en partie religion, mais ce qu’il recouvre dépasse le sens post-chrétien que nous donnons désormais à ce mot. D’ailleurs, il n’existe pas en islam. C’est à tort que nous traduisons le terme de « dîn », qui définit l’islam dans le Coran, par « religion » : son sens arabe réel est celui d’une « justice » et d’un « jugement », non d’une religion. Il s’agit tout à la fois de faire ce qui est juste, ce qui est ordonné par Dieu (la loi divine) et d’obéir au sens de l’histoire imposé par Dieu, celui de l’islamisation du monde qui mènera au jugement dernier.
« La religion » en islam est donc ce qui juge des comportements entre musulmans, soumis à la loi divine, et mécréants, envoyant les uns au paradis et les autres en enfer, jusqu’au « jugement » dernier du monde. La soumission à la loi est le vrai culte rendu à Dieu, tous les jours, à chaque instant : « Aujourd’hui, J’ai parachevé pour vous votre religion [dîn] et accompli sur vous Mon bienfait. Et J’agrée la soumission [islam] comme religion [dîn] pour vous », dit le Coran (S5,3).
La prière rituelle du vendredi à la mosquée n’est ainsi qu’une des formes de ce culte, de la pratique collective de la justice. Voilà donc comment l’islam se propose de réaliser son espérance : la justice divine pour faire régner le Bien et établir le « Royaume de Dieu ».
C’est pour cela que l’islam est intrinsèquement une foi et une loi, une religion et un système politique, quoi qu’en disent ceux qui espèrent détacher l’une de l’autre. C’est ce qui justifie la formule de Renan : « L’islam, c’est l’union indiscernable du spirituel et du temporel, c’est le règne d’un dogme, c’est la chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée ».
ISLAM ET ISLAMISME
De là, on peut enfin comprendre la « radicalisation », son jeu avec « l’islam modéré » et la cause de l’expansion de l’islam. Modérés et radicaux partagent effectivement le même projet ultime, le même sens donné à l’histoire, la même espérance finale du « Grand Soir », celui de l’islamisation du monde. Les radicaux emploient la violence, tout comme le faisaient les communistes révolutionnaires.
Les modérés y répugnent, beaucoup condamnent, tout comme les communistes réformistes, mais peu vont jusqu’à désavouer complètement leurs cousins radicaux, de même que rares sont les réformistes qui renient la révolution de 1917 – tout au plus regrettent-ils qu’on n’ait pas appliqué le « vrai communisme » par la suite.
La violence fait de toute façon partie du scénario musulman prévu pour la fin des temps, lorsque la terre entière deviendra musulmane. Il est donc des plus légitimes d’y recourir, puisque le sens de l’histoire le commande. Elle est de fait consubstantielle à la vision islamique d’une humanité partagée en deux natures, l’une supérieure par élection divine – « vous êtes la meilleure des communautés » (S3,110) – l’autre inférieure, vouée à l’enfer. Elles forment deux camps politiques irréconciliables, les musulmans et les mécréants.
Certains ont pu cependant développer des interprétations « spiritualisées » ou « sécularisées » de ces injonctions. En l’état, ils se retrouvent piégés et désavoués par l’islam « réellement existant », c’est-à-dire l’esprit comme la lettre de ces textes, et la lecture millénaire qu’en a toujours faite l’islam, portée par l’influence toujours croissante des radicaux.
Désavoués par presque tous les autres musulmans, parfois jusqu’à la persécution. Et désavoués par la dynamique même de l’islam, matérialisée entre autres par le grignotage expansionniste constaté en Seine Saint-Denis, ou bien par l’unanimité du monde musulman, pourtant très divisé contre lui-même, mais soudé comme jamais lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une stratégie d’islamisation du monde par la diffusion de la charia.
C’est ce qu’expliquait le père Henri Boulad, prêtre égyptien très fin observateur de l’islam dans sa profondeur historique avec sa formule « l’islamisme, c’est l’islam à découvert, dans toute sa logique et sa rigueur. Il est présent dans l’islam comme le poussin dans l’œuf, comme le fruit dans la fleur, comme l’arbre dans la graine ». Puissent ses avertissements dissiper l’écran de fumée.
Article publié sur sur le site web du magazine L’Incorrect : https://lincorrect.org/la-chaine-la-plus-lourde-que-lhumanite-ait-jamais-portee/ et dans le magazine L’Incorrect n°16 (janvier 2019)
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