Occident et islam : comment venir à bout de l’intégrisme ?
En plus de l’implacable lutte d’influence sur les plans économique et stratégique que se livrent depuis toujours, entre elles, les grandes puissances, le monde assiste depuis quelques dizaines d’années à un combat inhumain entre ces mêmes grandes puissances (et plus particulièrement les Etats-Unis et l’Europe) d’une part et les courants islamiques d’autre part : attentats meurtriers, échanges d’accusations et menaces, prolifération d’écrits et d’enregistrements hostiles, sans parler des émissions de radio et télévision et sites sur internet.
Les Occidentaux accusent les islamistes d’être des terroristes sanguinaires des fous d’Allah, et des aventuriers qui cherchent à semer la terreur, à détruire les acquis de la civilisation et à déséquilibrer l’ordre existant.
De leur côté, les islamistes reprochent aux Occidentaux d’être des puissances colonialistes qui exploitent les pays du tiers-monde et pillent leurs richesses.
Chaque clan estime être dans une position légitime et entend se défendre par tous les moyens contre l’ennemi : lutte antiterroriste pour les uns, guerre contre l’impérialisme et guerre sainte pour les autres. Mais jusqu’à quand va durer ce langage de sourd ? Pourquoi ne pas trouver un terrain d’entente ? Pourquoi persister dans un entêtement nuisible à tous, dont sont victimes des milliers de personnes innocentes et dont personne ne sortira un jour gagnant ?
Dans l’intérêt de l’humanité entière, ne doit-on pas cesser de faire de ce problème un sujet tabou et essayer d’étudier sans passion aucune et sans parti pris les arguments des uns et des autres, engager le dialogue afin de sortir une fois pour toute de ce labyrinthe et d’épargner à nos enfants et aux générations futures larmes et souffrances.
Bien entendu le problème n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Et c’est précisément pour cette raison que nous avons jugé utile de revenir quelque peu en arrière dans le temps, pour mieux comprendre les choses.
LA COLONISATION DES PAYS DU TIERS-MONDE PAR L’OCCIDENT
A la fin du XVIIIe siècle et durant tout le XIXe, l’Angleterre, la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas et l’Italie se sont livrés à une véritable course pour l’occupation des pays africains, asiatiques et du continent américain. D’immenses empires coloniaux ont ainsi été bâtis par ces puissances, la plupart du temps par la force des baïonnettes et des canons. Des milliers d’indigènes de ces pays furent massacrés par les armées européennes commandées par des généraux spécialistes de ce genre d’opération.
Mais peu de temps après, des mouvements de libération sont nés partout dans ces pays pour, d’abord, dénoncer et ensuite combattre les occupants et demander leur départ.
Une élite d’indigènes formés pour la plupart dans les écoles coloniales se sont mis à la tête d’organisations de libération, ce qui n’a pas manqué de provoquer chez les occupants une contre-offensive traduite par des arrestations collectives, des incarcérations et des déportations. Pour les Européens, il s’agissait d’action normale contre des rebelles, accusés d’actes illégaux et subversifs. Pour les organisations locales, la lutte contre l’occupant était un combat légitime, une action de libération nationale. Langage de sourds, entêtements, refus de reconnaître la réalité ? C’était un peu tout cela.
Quelques années plus tard, ces mêmes leaders indigènes autrefois qualifiés d’éléments subversifs sont devenus des chefs d’Etats et ministres dans leurs pays et bien souvent des personnes vénérées dans l’histoire de leurs nations. Citons à titre d’exemple : Gandhi, Nehru, Ho Chiminh, Chou Enlai, Sukarno, Bourguiba, sans parler de l’Algérien Abdelkader, du Marocain Abdelkrim Khattabi et de bien d’autres encore.
Devant la pression des mouvements de libération, organisés en cellules clandestines et appuyés par les masses populaires, l’administration coloniale a fini par céder. Et ce fut, peu à peu, la dislocation de l’empire colonial et la naissance d’Etats indépendants.
LE NEO-COLONIALISME
L’Occident a cependant continué à s’intéresser au tiers-monde en intervenant dans leur politique intérieure et surtout en contrôlant de près leur économie et leur évolution sociale.
Avec les Américains et les Européens d’un côté, l’URSS et la Chine de l’autre, on assiste depuis quelques années à une autre forme de domination des pays du tiers-monde, pour ne pas dire à un néo-colonialisme.
L’existence au Moyen-Orient de grandes réserves de pétrole et de gaz a amené l’Occident et notamment les Etats-Unis à vouloir à tout prix s’investir dans cette région du monde et à imposer leur volonté. Les islamistes considèrent que la création de l’Etat d’Israël et de certains régimes arabes comme la Jordanie et quelques mini-états du Golfe n’est tout simplement qu’une implantation d’avant-postes de l’impérialisme au Moyen-Orient.
La protection de certains régimes arabes considérés comme acquis aux Etats-Unis, et ce, malgré leur caractère archaïque et autoritaire et le sabotage fait à certaines jeunes républiques opposées à l’hégémonie occidentale, ont créé et enraciné dans l’esprit des jeunes générations arabes une méfiance, voire une certaine haine, à l’égard de l’Occident et des Etats-Unis en particulier.
Les islamistes font de cette question leur véritable cheval de bataille et assoient tous leurs discours sur ce thème. Ils considèrent qu’il est intolérable que le monde musulman, qui a rayonné sur le monde durant un millénaire (Califats et empire Ottoman), se retrouve dépecé et en grande partie placé sous la tutelle des puissances coloniales européennes (L’Encyclopédie libre Wikipédia).
L’intervention américaine en Irak et la destitution de Saddam Hussein ainsi que les menaces exercées actuellement sur l’Iran renforcent encore davantage la haine des jeunes générations arabes à l’égard des Etats-Unis. Alain Gresh, journaliste du mensuel Le Monde, né en Egypte, écrit : « Aussi longtemps que les opinions feront un rapport entre la politique américaine actuelle et l’instabilité permanente au Proche-Orient, Al-Qaïda continuera à se renforcer et à étendre sa sphère d’activité ».
OCCIDENT ET RENAISSANCE MUSULMANE
Les Etats-Unis semblent oublier en effet que la jeunesse arabe d’aujourd’hui n’est pas du tout celle qui vivait aux XVIIIe et XIXe siècles. Nul n’ignore plus l’hostilité ressentie et exprimée à l’égard de l’islam dont l’Occident semble avoir peur comme d’un danger imminent.
Personne ne peut actuellement enlever de l’esprit des jeunes musulmans que la faiblesse de leurs pays respectifs vient d’une part de la mainmise des Occidentaux sur leurs régimes et par conséquent sur leurs richesses et, d’autre part, sur l’empêchement du monde musulman de s’épanouir et de se renforcer dans le cadre d’une union pana-islamique et pan-arabe, capable de rivaliser sur les plans économique, technologique et, pourquoi pas, militaire, avec l’Europe, les Etats-Unis, l’URSS ou la Chine. Les grands penseurs et leaders politiques islamiques considèrent que la faiblesse actuelle du monde musulman résulte de la désunion et de l’existence à la tête des Etats arabes notamment, de dirigeants acquis aux Occidentaux, orientés et soutenus par ces derniers, dans le but d’empêcher toute évolution et toute émergence des élites intellectuelles, partisanes de l’émancipation des pays musulmans et arabes. Ce fut le cas dit-on dans l’intervention franco-anglaise dans le conflit du canal de Suez, contre Nasser, dans la chute du Dr Mossadegh en Iran, dans l’arrêt du processus électoral algérien où les islamistes étaient sur le point d’accéder « démocratiquement » au pouvoir, c’est le cas aujourd’hui dans l’intervention américaine en Irak, au Soudan et ailleurs, c’est le cas encore dans les menaces et l’hostilité manifestée à l’égard de l’Iran, de la Syrie, etc. La lutte engagée par les islamistes contre l’impérialisme inclut par conséquent non seulement les Etats-Unis et l’Europe, mais également tous les régimes arabes et autres, inféodés à l’Occident ou alliés.
Selon les islamistes, la lutte engagée contre l’impérialisme n’est pas une chose circonstancielle, mais une guerre de libération de longue haleine, un combat historique légitime et moralement indispensable, s’agissant de la défense de l’islam, menacé dans sa pureté, par l’invasion de cultures et de modes de vie absolument impies et immoraux d’où le vocable de « jihad » utilisé par eux pour donner à leur action une justification religieuse légitime.
QUEL AVENIR POUR LES MOUVEMENTS ISLAMISTES ?
Les mouvances islamiques sont très nombreuses et très diverses. Elles n’ont pas toujours les mêmes buts ni les mêmes façons d’agir. Leur diversité provient d’abord, et avant tout, de leur manière d’interpréter les textes coraniques d’où, très souvent, les nombreuses divergences dans les discours, les prises de position et dans l’action.
Certaines organisations se concentrent sur la stricte application de la Charia d’où leur appel permanent à respecter les concepts du Coran et à effectuer un retour aux fondements de la religion et à sa pureté originelle au cours de la période des Quatre Califes, se limitant ainsi à l’aspect strictement moral de la religion islamique.
D’autres organisations, par contre, cultivent un dessein politique et révolutionnaire, voulant faire du monde musulman une puissance mondiale qui aura son poids dans l’équilibre international. Pour ces penseurs, l’islam n’est pas seulement un mode de pratique religieuse, mais aussi et surtout un système d’organisation politique, économique et sociale d’où leur volonté de la conquête du pouvoir.
Les visées des organisations islamiques peuvent donc varier d’un pays à un autre et d’une région à une autre : Al-Qaïda, les talibans en Afghanistan, la Gama’ islamya en Egypte, le Hisbollah au Liban, le Hamas en Palestine et bien d’autres organisations en Arabie saoudite, en Inde, en Indonésie et ailleurs n’ont pas toujours les mêmes objectifs, mais un ennemi commun, il faut le reconnaître : les Etats-Unis.
La plupart de ces organisations ont une action limitée à une région déterminée. Seule Al-Qaïda semble avoir aujourd’hui une zone d’action internationale et par conséquent être une menace plus sérieuse pour la sécurité mondiale. Ceci dit, rien n’empêchera à l’avenir ces différentes organisations d’avoir des actions concertées plus organisées et mieux coordonnées, étant donné que leur but essentiel est et demeure la défense de l’islam et la lutte contre l’impérialisme occidental.
Le danger que constitue l’islamisme pour l’Occident réside par conséquent, et comme on le voit, dans la multitude et la diversité des organisations islamiques qui forment une nébuleuse impénétrable et une toile d’araignée où les services de renseignements occidentaux risquent bien de se perdre.
COMMENT LUTTER CONTRE LE TERRORISME ISLAMIQUE ?
Ce qualificatif de terrorisme islamique est, à notre avis, impropre. Le terrorisme n’a jamais été, quoi que l’on dise, une fin en soi ou un but des musulmans.
De tout temps, le terrorisme a été l’arme des faibles face aux puissants, étant donné que les premiers ne peuvent combattre les seconds avec des armes égales, ni se soumettre et se laisser piller sans se défendre. Pour sortir le monde de la menace terroriste, les Occidentaux devront repenser leur manière de concevoir leurs rapports avec les pays du tiers-monde et traiter avec eux d’égal à égal.
Lutter efficacement contre le terrorisme consiste d’abord et avant tout à chercher et à connaître les raisons et les causes véritables des actions terroristes. Nous entendons par là le terrorisme politique.
Nous avons évoqué plus haut l’invasion de l’Afrique, de l’Asie et du continent américain par les Européens, nous avons parlé du néo-colonialisme et nous avons enfin fait état de la pression exercée par ces mêmes Occidentaux sur certains jeunes Etats progressistes arabes et la protection et l’aide militaire accordée à des régimes arabes archaïques, autoritaires et impopulaires du Moyen-Orient et de l’Afrique, considérés par tous comme des bases arrière et des relais de l’impérialisme.
L’Occident ne doit plus rester aveuglé par ses seuls intérêts économiques et stratégiques, sans quoi il risque, à l’avenir, de tout perdre. Nous l’avons déjà dit, le monde musulman vit aujourd’hui une autre ère, un renouveau plein d’espoir d’émancipation et de liberté. Ne laissons donc pas des intégristes occuper le terrain, profiter du désespoir de ces masses arabes opprimées auxquelles ils font de vaines promesses d’un avenir meilleur. Le moyen le plus efficace de combattre l’intégrisme et donc le terrorisme, c’est de le devancer et de tendre la main aux vrais leaders des jeunes générations arabes pour la mise en place de régimes réellement démocratiques. Comme les Occidentaux, la grande majorité des musulmans craignent l’avènement intégriste, mais, pour le moment, ils le préfèrent aux potentats actuels qui gouvernent leurs pays.
La civilisation musulmane, par sa richesse, a beaucoup apporté à l’Europe. Que ce soit en mathématiques, en astronomie, en médecine, en physique et chimie, en architecture, en philosophie, elle a énormément contribué à l’évolution du monde occidental. De même, les pays arabes et musulmans ont également tiré profit de la technologie moderne européenne et américaine, durant ces dernières années.
Aujourd’hui, les démocrates arabes et musulmans ont besoin de l’Occident et de ses acquis sur les plans scientifiques et technologiques, et l’Occident a besoin du monde arabe et musulman pour ses richesses humaines et naturelles.
C’est donc en fonction de ces besoins réciproques que l’Occident et le monde musulman doivent collaborer et établir leurs relations, et non pas sur une exploitation unilatérale.
Les Etats-Unis doivent comprendre que l’emploi de la force ne servira à rien. La chute de Saddam Hussein, le massacre d’un million d’Irakiens, les menaces actuelles contre les régimes syrien et iranien, n’apporteront à coup sûr aucun résultat positif et ne feront qu’attiser encore davantage la haine et approfondir le fossé qui sépare l’Occident et les musulmans.
Les Etats-Unis risqueront de se ruiner par leurs dépenses de guerre et de couler indubitablement en poursuivant leur politique de chasse aux régimes progressistes et islamiques opposée à leurs intérêts économiques et stratégiques.
Les temps ont changé et Washington doit obligatoirement, à son tour, changer de conception dans ses rapports avec le reste du monde, si les Etats-Unis désirent survivre...
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