A quoi sert la grippe aviaire ?
La grippe aviaire doit tuer des millions de personnes. Mais pas tout de suite, plus tard. En attendant, elle torpille une filière importante et occupe une place de choix dans les médias. Au profit de qui ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH257/pigeon-1ea75.jpg)
Depuis six mois, la grippe aviaire tient lieu de serpent de mer : dès que l’actualité marque un temps de repos (ou qu’il vaut mieux parler d’autre chose), le H5N1 resurgit, avec un spectre d’épidémie mondiale, des morts partout, les survivants masqués errant dans les rues vides, bref, la peste noire. Les politiques eux-mêmes se précipitent : déclarations, assurances, subventions, tout est bon pour calmer le peuple (qu’on a préalablement affolé, ça marche mieux). On se plaint, d’un air peiné, de « l’irrationnel », mais on baigne en lui jusqu’au cou.
Pourquoi un tel battage ? J’y vois plusieurs raisons, qui ne sont pas toutes irrationnelles, mais bien matérielles, et très compréhensibles.
Les professionnels (de santé humaine et animale) ont mis en place des dispositifs d’alerte efficaces pour surveiller ces épizooties, qui sont un réel danger. Dans mon modeste domaine (surveillance des denrées alimentaires d’origine animale d’une partie de la Vendée), j’ai été concerné, rien qu’au cours des six derniers mois : un foyer de tuberculose bovine (il a fallu abattre tout l’élevage), un foyer de maladie de Newcastle (c’est comme la grippe aviaire, sauf que cela ne s’appelle pas une grippe), qui a bloqué toutes les exportations de volailles de la zone pendant six mois, et naturellement, la panique "grippe aviaire". On peut dire qu’on ne chôme pas dans ce domaine, et que, surtout, le dépistage et les méthodes d’alerte fonctionnent bien, ce qui est rassurant.
Ce qui fait le plus de dégâts économiques dans ce genre de cas, ce n’est pas le nombre de morts (volailles) par maladie, ni même le nombre de volailles abattues par sécurité, ce sont surtout les restrictions à l’export. De nombreux pays se prémunissent contre le virus en interdisant l’importation chez eux de viande de volailles originaires de pays déclarés infectés. Des pans entiers de l’activité des volaillers disparaissent ainsi, du jour au lendemain, pour quelques mois (50% pour certains).
Enfin, une évidence pour les professionnels, mais pas forcément pour tout le monde : les volailles à vendre dans les rayonnages sont obligatoirement saines, puisque les malades, on les détruit avant, pour que justement elles ne parviennent pas à l’abattoir, et donc à la consommation.
Donc en résumé, une situation assez bien sous contrôle, mais une vigilance quotidienne, et même une certaine routine épidémique. Pour les animaux, mais pour l’homme ?
Le danger de recombinaison entre un virus aviaire et un virus humain, passant par le porc, est un danger réel, mais lui aussi routinier : tous les ans ou presque, le virus provoquant la pandémie humaine est un virus recombiné. Depuis une dizaine d’années que le H5N1 a été repéré en Asie, nous courons tous les ans le même risque. Or, quand le H5N1 est rentré en Europe récemment (1999 : près de 300 foyers en Italie, 2001 : 1 foyer aux Pays-Bas, 300 000 volailles abattues), personne ne s’est spécialement ému.
Beaucoup de gens l’attendent depuis des années : que la Nature se venge des outrages qui lui sont infligés par les productivistes, les pollueurs, les vilains paysans, les méchants industriels, et les amateurs de fruits et légumes sans aucun goût, bref, de malbouffe.
Il est fatal qu’un jour, on ait un retour de bâton de nos habitudes agricoles, industrielles et alimentaires, mais pas forcément sous la forme d’un virus mutant diabolique. Je ferai justement remarquer que l’élevage industriel confiné, quoi qu’on puisse en dire par ailleurs, est justement ce nous qui protège le mieux des épizooties animales : délimitation stricte des populations, mesures sanitaires draconiennes à l’entrée et à la sortie des établissements, vaccinations planifiées et systématiques. Je sais, c’est certainement dommage, mais c’est vrai.
Des prescripteurs d’opinion en mal de public voient dans la grippe aviaire une occasion de racoler un peu. D’autant que tout le monde est prêt à y croire.
Cette confusion entre maladie humaine et maladie animale est permanente, alors que la maladie passe très difficilement de l’oiseau à l’homme, et pas du tout entre humains. Ce qui fait que nous nous prémunissons actuellement contre une maladie humaine... qui n’existe pas encore.
Un marché juteux... pour les humains !
Soyons honnête : je le regrette, mais à part le petit monde des professionnels du domaine, les vaccinations animales, tout le monde s’en fiche. Sauf pour dire que ce n’est pas bien (ce n’est pas uniquement pour des raisons idéologiques : certains pays refusent l’importation de produits aviaires venant de zones où l’on vaccine). Mais vacciner ou traiter des humains... surtout des humains avec portefeuille ! Et avec une Sécurité sociale ! Voilà qui peut rapporter beaucoup plus...
Qui pourrait être intéressé ? Sans malice, pensons au laboratoire fabriquant du fameux Tamiflu, aux fabriquants de vaccins grippaux, à toute une armada de firmes pouvant trouver un marché intéressant dans cette grippe (pas encore) humaine.
Il est piquant de voir que le gouvernement a acheté des millions de doses de Tamiflu, juste « au cas où ». Et qu’on en envoie en urgence au Nigeria sur simple déclaration d’un cas ... animal. Sachant que là-bas, la première (et la seule, souvent) source de protéines est le poulet, et que la mortalité avoisine 100%, les Nigérians ont dû être touchés de notre souci de leur santé.
Une décrédibilisation des "autorités"
On le sait, on ne fait plus confiance aux experts et aux autorités. Eh oui, c’est normal. Regardez, en vingt ans, quelques extraits résumés des déclarations d’experts médiatisés :
- la vache folle (début des années 1990) : pas de danger, ce n’est rien, ça va passer, vendez vos farines animales, puis...
- la vache folle 2 (1996 et après) : tout le monde va mourir, 300 000 morts prévus en Angleterre, la Nature se venge, puis aujourd’hui, la vache folle 3 : retour au calme (ou à l’oubli ?)
- le nuage de Tchernobyl (1986) : il contourne les frontières et laisse tranquille la France, pourtant terre d’asile.
- toutes les marées noires : un premier temps où la nappe n’atteindra jamais les côtes françaises, puis un deuxième temps de lamentations...
- le sang contaminé : tout est absolument faux, puis absolument vrai.
- les experts d’Outreau : c’est le contraire : tout est évidemment vrai, puis tout est absolument faux, puis une déclaration fracassante ("Si on paie les experts comme des femmes de ménage, ou aura des expertises de femme de ménage"), les femmes de ménage apprécieront.
- la canicule : pas de problème, pas de canicule, le ministre reçoit autour de son barbecue, puis avalanche de 15 000 morts.
Alors évidemment, quand on nous dit qu’on ne risque rien, personne n’y croit plus. Et quand on nous prédit une catastrophe, le public se dit : « Alors là, s’ils en parlent comme ça, c’est que vraiment ça doit être terrible ».
Quant aux experts télévisuels, ils n’y connaissent rien : des dizaines nous ont recommandé de bien cuire le poulet. Or :
- les poulets vendus sont indemnes par définition (cf. ci-dessus)
- personne ne mange du poulet cru !
Alors, il n’y a pas de risque, mais il faut prendre quand même des précautions ? Soyons sérieux !
Pour cellezéceux qui veulent des informations bien validées sur le sujet, deux références : « Grippe aviaire : ce qu’il faut savoir , de Pascal Orabi & François Moutou (2006), et « Grippe aviaire : les bonnes questions, les vraies réponses », de Jeanne Brugère-Picoux (2006).
Ajoutons que les politiques ont à se faire pardonner. Je pense que l’affolement autour de la grippe aviaire a eu pour fonction (entre autres) de se racheter après la canicule. De plus, il a occupé utilement le peuple pendant les discussions de divers sujets chauds à l’Assemblée nationale, ou fait oublier le taux de chômage qui descend à une allure d’escargot, ce dont tout le monde se félicite sans crainte.
Un sujet juteux : la mort en direct
Rien ne vaut la Mort et le Scandale pour vendre un périodique ou animer un JT. Alors là, on est servi. Les gens "vont" mourir (c’est une possibilité, mais mieux vaut s’y préparer tout de suite), et en plus, rendez-vous compte : les oiseaux du ciel vont nous contaminer avec un méchant virus extrême-oriental. Le contraste entre la mort des petits vieux et l’innocente hirondelle, chargée d’un fourbe virus chinois, fait frémir d’aise les stylistes des salles de rédaction ! Et en plus, il est certain qu’on vous ment (voir ci-dessus), et que c’est la faute aux méchants industriels (voir ci-dessus-dessus).
Tout ceci augmente l’audience, et donc les ventes de la presse, et le prix des tranches publicitaires encadrant le 20 heures.
La peur a toujours été un marché juteux.
Certains journalistes sur la brèche en oublient même de prendre des précautions : il est très plausible que le cas relevé dans une exploitation dans l’Ain ait été apporté par des visiteurs (dont certains avec carte de presse), se précipitant des marais de la Dombe (un canard mort annoncé) à l’exploitation voisine, sans se désinfecter les chaussures , ni respecter les mesures de prophylaxie élémentaire. L’hypothèse a été retenue par la DGAL. Comme quoi, je le répète, la grippe aviaire n’est pas perçue comme une maladie, mais comme un scoop.
Une occasion cynique de baisser les prix (ou de mettre à genoux les producteurs)
Saluons les grandes surfaces, qui dans un grand effort civique, ont cessé de commander des volailles, au motif que « les consommateurs allaient paniquer ». Devant les rayons vides, les consommateurs ont bien été en peine de consommer, et donc, la tendance des ventes a confirmé que personne n’achetait. Donc, c’est bien qu’ils ont paniqué ! Pris dans la tourmente, le lapin a lui aussi marqué un temps d’arrêt cet automne : il est vendu au rayon « volailles », et donc a été touché par la supposée « peur du consommateur » (il revenu depuis aux ventes habituelles).
Alors « on » a baissé les prix, puisque c’est le « seul » moyen de vendre plus, et on a écrasé une filière qui avait déjà pas mal de problèmes avec ses exportations (cf. ci-dessus).
Résultat : bientôt nous mangerons du poulet brésilien, pendant que les groupes français rameront (Gastronome, Doux et Arrivé, pour ne citer que les principaux), alors que leur produits sont sains. La double peine économique et sanitaire, en quelque sorte
Conclusion : un drame utile
Concluons : un problème réel de santé animale a muté en un problème de santé humaine, « instrumentalisé » par des forces économiques et politiques, très éloignées du vrai cœur de préoccupation.
Et une question reste : pendant qu’on nous parle de grippe aviaire, de quoi ne nous parle-t-on pas ?
Source image : Bric à Brac
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