Chroniques scolaires 1 : L’agonie du latin et du grec dans l’enseignement public !
L’Education nationale, paraît-il, doit enseigner tout le savoir humain à ses citoyens. Enfin, c’est ce qu’écrivait les députés en 1792. Pas sûr que leurs descendants soient encore de cet avis !
Quand on est enseignant en collège, on sait qu’on fera la même chose à tel moment du calendrier.
Ainsi, je sais que, comme professeur d’histoire et géographie, chaque année :
- Le premier jour sera celui de la grande messe de rentrée.
- La première semaine sera pour l’accueil de mes élèves où je sais que je vais tenter de faire le grand méchant loup pour les terrifier, non pas pour avoir la paix mais pour qu’il bosse à la maison (je suis très tolérant en classe tant que le travail est fait mais dès qu’un gamin a oublié ses affaires, n’a pas fait ses devoirs ou ne fait pas l’exercice, ils savent que je vais être furieux).
Puis, je sais que je vais enseigner les mêmes chapitres que l’an dernier (sauf l’an prochain où en 6e où les programmes changent mais ce sera le sujet d’un prochain article)... Et en sixième, malgré le changement de programme, je sais que je ferai lire un petit texte à mes élèves Je me permets de le retranscrire ici :
"Ainsi, l’instruction doit être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens. [...] Elle doit, dans ses divers degrés, embrasser le système entier des connaissances humaines et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances et d’en acquérir de nouvelles."
Rapport sur l’instruction publique, Assemblée législative, 20 avril 1792.
Et là, on se rend compte que l’Education nationale est en train d’être laminée pour ne plus répondre à ce voeu issu de la Révolution française.
Prenons un simple exemple : le latin et le grec. Ces enseignements disparaissent dans la plus grande indifférence et dans le plus grand effarement des quelques gens qui luttent encore pour.
Dans certaines académies, le latin n’existe plus que dans un ou deux lycées publics (de centre-ville comme d’habitude) alors que tous les lycées privés proposent cette option ! Au collège, le latin résiste encore un peu. Mais, chaque année, lors du vote de la DGH (dotation globale horaire, en clair le nombre d’heures d’enseignement par semaines données par le rectorat à un collège), c’est-à-dire vers janvier février, la lutte commence. Tout d’abord, les heures de latin sont les premières à passer à la moulinette si on manque d’heures (alors qu’on dédoublera les classes de science et d’anglais). Résultat : disparition du latin dans le collège. Parfois, on a de la chance, le latin survit mais dans quelle mesure : on permet aux élèves de l’abandonner dès la 4e ou la 3e. Et là, vous avez les effectifs qui fondent car les parents sautent dessus illico (vous comprenez, le latin ne sert à rien. La preuve : toutes nos élites veulent que leurs enfants fassent du latin et tous les lycées privés offrent du latin. Comprenez l’erreur ?). Au fil des années, on dira : « Ah mais, il n’y a plus beaucoup d’élèves ». Selon la personnalité du professeur de lettres classiques, le latin disparaîtra ou on fera passer les heures de latin de 3e de 3 heures par semaine à 2 heures (voire une heure) et certains professeurs crieront à la victoire ! (eux auront leurs heures supplémentaires grâce à l’immolation des heures du latin). Au final, le latin finira par disparaître. A noter que passer les horaires de latin sous l’horaire plancher est illégal et que permettre aux élèves d’abandonner le latin dès la 4e ou la 3e va à l’encontre des injonctions de l’Inspection générale de lettres classiques.
Mais qui s’en inquiète ? Le délégué SNES de l’établissement ? Les autres collègues ? La direction ? L’Inspection ? Vous rigolez, tout le monde s’en moque éperdument sauf le professeur de lettres classiques et quelques collègues latinistes (très rares de voir un professeur autre que de lettres classiques maîtriser le latin). Ces derniers sont souvent vus comme des zigotos menant un combat d’arrière-garde et un peu pédants.
Mais jusque là tout va bien. En effet, dans de nombreux établissements, on essaie de dissuader les gamins de 6e de choisir l’option latin si elle existe encore (le latin est vu comme une discipline inutile par de nombreux enseignants, parents, inspecteurs, principaux). Je vais vous conter une petite anecdote : dans mon ancien collège ZEP, ma collègue de lettres classiques était une jeune femme fragile ayant des soucis d’autorité. Les élèves l’adoraient, pourtant, et venaient à son cours avec plaisir... mais c’était un peu le boxon. Pourtant, ils apprenaient et c’était le plus important. Malheureusement, elle était très discrète et fréquentait peu les grandes gueules de la salle des professeurs. La direction le savait et la harcelait. A chaque 3e trimestre, venait le temps des fiches d’orientation où les élèves pouvaient noter s’ils voulaient faire latin ou non. C’était aussi le moment où, personnellement, je faisais mon cours sur Rome et l’Empire romain. A ce moment-là, je passe toujours un moment à les initier au latin et, c’est toujours un grand succès. Résultat, en 2007, mon principal qui espérait éliminer le latin du collège s’est retrouvé avec 56 candidatures de latinistes potentiels grâce à l’action conjointe de ma collège et d’un professeur d’histoire, moi. En ZEP, vous aviez 56 gamins prêts à faire du latin ! Résultat : ma collègue de lettres classiques fut convoquée dans le bureau du principal qui lui a passé un savon et l’accusa d’avoir promis des bonnes notes aux élèves qui feraient latin, d’ailleurs les faits lui avaient été rapportés... Plus le mensonge est gros, plus il passe ! Comment pouvait-elle dire à notre Principal qu’il mentait (et il mentait effrontément). Si elle le traitait de menteurs, elle était bonne pour avoir des horaires abominables (genre commencer à 8h30 pour 2 heures de cours jusqu’à 10h30 puis aucun cours avant la dernière heure de la journée à 17h), ne pas avoir les classes qu’elle souhaitait voire à le voir envoyer un rapport de discipline à son inspection (le menace du blâme est assez énervante)... Evidemment, elle n’a rien dit (elle avait un bébé) et au conseil de classe, le laminage des dossiers de futurs latinistes a débuté. Résultat : plus que 18 élèves à la fin des conseils de classe. Mon principal ne m’attaqua pas frontalement (j’étais une grande gueule, j’étais syndiqué et mon inspecteur m’appréciait) mais j’ai été confiné au silence pendant les conseils de classe avec des sous-entendus supposés humoristiques à chaque dossier d’élève voulant faire du latin !
Bienvenu dans l’Education nationale !
Pour le Grec, c’est pire ! Il a quasiment disparu du paysage de l’éducation publique. Actuellement, j’enseigne dans les Yvelines. Et dans mon bassin de plusieurs centaines de milliers d’habitants, aucun collège public et aucun lycée public n’offre cet enseignement. Je dois avouer que je vais finir par croire que je suis masochiste. En effet, lors du dernier conseil pédagogique de mon établissement et au conseil d’administration traitant de la DGH, j’ai soumis l’idée d’introduire une initiation au Grec en classe de troisième... La bronca que j’ai soulevée ! J’étais un illuminé pour les délégués du SNES, pour les collègues et pour la direction ! « Le Grec ne sert à rien, on n’a pas assez d’heures, déjà qu’on a sauvé le latin qui prend des heures à des matières vraiment utiles ! », entendis-je !
Evidemment, ma collègue de lettres classiques a appris ma folie et est venue me voir. Et ce qu’elle m’a dit m’a complètement estomaqué. Elle avait écrit une lettre à l’inspection de lettres classiques pour proposer une ouverture d’une classe de grec. La réponse téléphonique aurait été la suivante : "Nous avons déjà du mal à sauver le latin, madame !" En clair, oubliez le grec !
Vous comprendrez donc que je suis en colère !
Le ministère joue l’asphyxie des heures dans l’Education nationale. Le but est à terme de faire en sorte que l’Education publique ne soit qu’un service public de service minimum pour les plus pauvres de notre nation. En effet, l’éducation nationale a cette tare d’enseigner à tous tout dans des conditions héroïques et satisfaisantes quoi qu’en disent les ronchons, et ce gratuitement. GRATUITEMENT ! Alors que cela pourrait tellement rapporter si l’éducation devenait un produit marchand. Alors, l’asphyxie de l’éducation nationale débute... Et ses premières victimes seront le latin et le grec... abandonnés par tous !
" Enseigner le latin et le grec à des gamins de ZEP ? Quelle idée ridicule ? Ils ne savent déjà pas écrire français ! Poursuivre le latin dans un bon collège ? Mais vous voyez bien que les élèves s’ennuient dans votre classe ? Ils pourront arrêter l’an prochain ! Quoi ? Sauver les heures de latin ? Mais il vaut mieux que les élèves fassent de l’anglais renforcé ou des heures de soutien en mathématiques et français ! Si on garde le latin, on ne pourra pas faire ça !" Telles sont les diatribes que vous entendrez, de tous. Le latin et le grec sont considérés comme inutiles, par de nombreux enseignants mêmes !
Et pourtant, nos élites économiques et politiques ont quasiment toutes fait du latin et du grec et elles souhaitent que leurs enfants en fassent. Et évidemment, tous les collèges et lycées privés offrent l’option latin à plein temps sans espoir d’arrêter en cours de route pour les élèves... voire parfois ils offrent du grec ! Si inutiles que ça ces deux langues "mortes" comme disent les champions de la culture télévisuelle actuelle et leurs séides qui sont même dans les rangs de l’Education nationale ?
Et pendant ce temps là, on réfléchit à quelle matière suivante on va pouvoir asphyxier dans l’Education nationale ? L’EPS ? L’allemand ? Les langues régionales ? Les langues orientales ? Le russe ?
A vous, lecteurs, pardonnez cet accès de rage de ma part. Mais j’ai encore dû accepter de voir le latin réduit en classe de 3e à 2 heures par semaine (au lieu des trois réglementaires) et de laisser les élèves arrêter entre la 4e et la 3e avec le sous-entendu suivant : "Ce serait tout de même mieux que la professeur de lettres classiques ne fasse que du français. Elle va demander sa mutation. Hummm !" Le "hummm" signifiant profiter de l’aubaine de la mutation du professeur pour supprimer l’option latin !
Argh !
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