Français, si vous saviez... comme on vous plume !
Et si on parlait de choses pratiques ? Cela changerait des articles aux raisonnements savants, polémiques ou « people » habituels.
Parlons, si vous le voulez bien, du client-roi, du consommateur, sans qui rien n’arrive. Considérons la position d’un agent économique majeur, l’acheteur, fort de son droit et de sa volonté de faire le geste qui consacre l’acquisition d’un produit ou d’un service. Cette situation induit des pensées ancrées dans l’inconscient collectif depuis longtemps ; c’est pourquoi le public n’y fait guère attention. Et, pourtant, qui de nous n’est pas confronté, jour après jour, aux tromperies véhiculées par des annonces, prospectus, étiquettes, formulaires de contrats retors, et promesses qui ne se réalisent jamais ? Bref, aux pratiques raffinées du commerce, essence même de nos économies.
En prélude, le système de l’entonnoir et les séductions de l’offre. Le haut de cet appareil subtil, très évasé, donne libre cours à l’imagination du client qui y trouvera tous les produits désirables et bien d’autres. Le choix est vaste qui répond à la question : que désirez-vous ? Ou que souhaitez-vous faire ? Ou, encore, c’est si facile grâce à... Le tout illustré par des photos d’usagers souriants, de produits pris sous des angles avantageux et rehaussés de couleurs attirantes.
Après mûre réflexion, ayant sagement pesé le pour et le contre, supputé toutes les situations possibles (cette fonction et pas celle-là, la puissance nécessaire, l’ergonomie, l’usage réel ou imaginaire, le "design", etc.), vous vous décidez et vous tombez à la fin dans l’inévitable orifice qui est celui du tiroir-caisse. Le client n’est-il pas le roi ? Et, disons-le, n’est-ce pas le besoin qui l’attire dans cet entonnoir ? Le besoin que l’on a inculqué en lui depuis sa petite enfance, et qui lui fait confondre être et avoir. Ce système cynique est parfaitement illustré par la phrase d’Henry Ford parlant de ses voitures : "Le client peut choisir n’importe quelle couleur, pourvu que ce soit le noir".
Petit florilège
Batteries d’outillages sans fil. Pas de nombre de cycles de recharge indiqué sur l’emballage. Voltage bizarre, contacts des batteries non interchangeables d’un appareil à un autre. La batterie ne se recharge plus ? C’est normal, elle vient de... On jette. Appareils vendus avec un minimum d’accessoires. Si vous voulez faire ceci ou cela, il faut payer au prix fort des bricoles (manchons, adaptateurs, meules, brosses, tout un tintouin "dont vous pourriez éventuellement avoir besoin un jour", etc.) achetées des centimes en Chine et revendues à trente ou cinquante fois leur prix d’achat. Quant aux garanties, c’est toujours la "garantie fabricant" qui joue.
Mais il est où, le fabricant ? Il suffit de rapporter l’engin au magasin et le client est joué en un tour... Pour ma tronçonneuse, j’ai dû attendre trois mois, parce que les pièces détachées se trouvaient dans un conteneur quelque part en mer de Chine.
A qui s’adresser ? A la DGCCRF (Direction générale - ou départementale - de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) bien sûr. Ces bureaux sont joignables par téléphone (à certaines heures, certains jours, trop de travail), fax, ou e-mail. On s’y méfie beaucoup des râleurs, avec raison, ce qui fait qu’on ne vous prête qu’une oreille distraite. S’il s’agit d’un contrat, on vous répondra que vous l’avez mal lu et que vous avez donc tort. Si vous insistez de votre bonne foi, on vous répond qu’il y a des tribunaux civils (durée moyenne de la procédure, jusqu’à trois ans), sans compter l’avocat qui va avec. Fin de la réclamation.
Voulez-vous faire un voyage pour fuir cet échec ? Rien de plus facile grâce à internet. Prenez le train ! Après plusieurs heures à scruter le fouillis des horaires et des tarifs, vous trouverez peut-être votre bonheur à condition de changer les dates et les heures de votre voyage et d’accepter de vous lever à 5 heures du matin afin d’arriver plus vite à destination, à condition qu’il n’y ait pas de retard sur votre ligne et que les changements fonctionnent correctement. L’aventure n’est-elle pas au coin du rail ?
Ne soyez pas chagrin, prenez l’avion. Les offres sont innombrables et les prix plus imbattables les uns que les autres. Essayez de prendre un billet, les offres imbattables ont disparu, et c’est deux à trois fois le prix d’appel qu’il faut régler. Je m’en suis ouvert à la DGCCRF. On m’a répondu, trois mois après mon courrier, qu’on allait "faire le nécessaire". Je suis retourné sur les sites en question et rien n’avait changé. Efficacité, quand tu nous tiens !
Petit intermezzo théorique. Le contrat républicain entre citoyens et gouvernement existe dans l’abstrait et à certaines dates seulement. Enfant du contrat social d’une autre époque. Je l’appellerai le contrat léonin discret dans lequel le gouvernement arbitre en faveur des puissants, mais de façon subtile en utilisant les structures établies telles que les codes de lois (il y en a 63), offrant le recours à une justice qui ne fonctionne pas et surtout l’interdiction réitérée dernièrement de ne pas autoriser les "class actions". Je pense que cela coûterait trop cher que de protéger efficacement les consommateurs, surtout en France où la dotation par habitant de la justice n’est que de 23 € (contre 43 € en Allemagne ou au Portugal). Sans oublier, bien sûr, le sacro-saint laisser-faire des filtres parlementaires. Interdiction aussi de mentionner les noms d’entreprises "voyous" sous peine de se voir déféré devant les tribunaux, lesquels, pour elles, fonctionnent mieux que pour moi. Capital et médiatisation étant l’huile de ce système décidément très furtif.
Tout repose dans la discrétion dans ces cas-là ; et les principes restent très effacés. De même qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on ne fait pas de bonne politique avec de bons principes. Commerce, que de vols on commet en ton nom ! Le cycle de la "destruction créatrice" cher à l’économiste Schumpeter" fonctionne à plein. On invoquera, si l’on veut, le vieux proverbe caucasien : "Il n’y a pas d’abondance sans larcin".
Mais, revenons sur terre. Le chauffage au gaz. Là, je vais être de mauvaise foi. J’ai le culot d’habiter à la campagne et les tuyaux du gaz de ville n’arrivent pas jusqu’à ma maison. En voilà une idée ! Qu’à cela ne tienne : le chauffage au propane, j’y ai pensé. Mais voilà : Oligopole, il y a quatre fournisseurs et c’est tout. Contrats d’abonnement contenant une clause abusive (sept ans, c’est interdit !). La citerne de stockage est consignée par le fournisseur et aucune entreprise n’en fait la location. Si vous voulez changer de fournisseur, il faut changer de citerne. Tous les contrats des quatre "oligopolistes" sont muets sur cette opération. Très délicat et très encombrant une citerne à propane qu’il faut échanger, surtout qu’elles ne sont jamais totalement vides ; voulez-vous stocker une bombe dans votre jardin ? Donc, vous êtes condamné à rester avec le même fournisseur. Les bureaux de la concurrence admettent qu’il y a là une lacune dans le droit français. M. de Lapalisse n’est pas loin.
Entretien automobile, les tarifs sont identiques chez tous les concessionnaires de la marque (concurrence oblige). Pour avoir une concurrence réelle, il faut aller dans une chaîne de réparation rapide, à condition qu’il y en ait une à proximité de chez vous. De consommateur, je passerai à consommé (de chagrin).
Ma banque essaie de me vendre une assurance au cas où elle perdrait mon argent. "Vous comprenez, Monsieur, si vous êtes victime d’une personne qui utiliserait votre carte bancaire à votre insu". Alors, payez l’assurance à notre place SVP. Les investissements dans certains pays sont accompagnés de tant d’aléas de nos jours. Et ce pauvre banquier de s’écrier comme Sganarelle : "Et mes marges et mes marges !"
Assurance décennale de ma maison (garantissant les défauts de construction pendant dix ans). Un jour de tempête, problème de toiture signalé à l’assureur. Il ne fait rien. Toiture réparée par les pompiers, c’est-à-dire payée par le contribuable. Il n’y a pas de petites économies. Mais, que ferait-on, de nos jours, dans la vie, sans assurances ?
Grandes surfaces alimentation et le plan Attali d’accroître leur nombre pour augmenter la concurrence. Ah voyez donc, 30 000 lignes de référence en moyenne, cela fait vraiment caverne d’Ali Baba pour le chaland lambda ! Mais, surfaces homériques, coût de gestion au m², à marge constante, c’est le client qui paie cette gabegie. Mais, c’est ce que les gens veulent... ou du moins ceux qui pensent pour eux. "The more, the merrier", dit-on dans un certain pays. Plus y en a, plus on est joyeux. Le panier de la ménagère sera bien protégé grâce au monopole des quatre enseignes françaises. Ben voyons.
Ah, me direz-vous, vous êtes un bien méchant homme, un vieillard atrabilaire qui ne pense qu’à se plaindre. Alors, redorons le blason de notre société : quand j’ai appelé les pompiers, ils ont su tout de suite qui j’étais avant que je ne dise mot et avec mon adresse. Ils savaient tout. Et ils sont venus dans les dix minutes, sérieux, efficaces, courtois. Pareil pour le Samu quand j’ai cru avoir une attaque cardiaque (qui n’avait rien à voir avec une des situations ci-dessus), heureusement il n’en était rien.
Je peux commander des livres et des CD grâce à internet et je viens de changer d’opérateur téléphonique et tout cela marche comme sur des roulettes. Il faut bien avoir des petites consolations de temps en temps. Pour le reste ? Tout n’est qu’une question d’habitude, mon bon Monsieur.
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