Griveaux grivois : la démocratie en danger ?
Depuis que la presse a porté à la connaissance de tous les raisons pour lesquelles Benjamin Griveaux a renoncé à sa candidature à la mairie de Paris, les politiciens plus particulièrement les députés de La République En Marche et les éditorialistes n’ont de cesse de nous rabâcher que la démocratie est en danger du fait de la diffusion d’images relevant de la vie privée. Si la démocratie devait être en danger parce qu’il est porté à la connaissance du public quelques aspects curieux de la vie et du comportement des politiciens, il y a longtemps qu’elle n’existerait plus. Par ailleurs on pourrait se poser la question de savoir si justement la démocratie, pour exister pleinement, n’appelle pas à la « transparence » de la vie privée des gens de pouvoir pour reprendre un terme politique moderne. En attendant, rappelons que ce genre d’attaque, encore qu’ici il restera à démontrer que la diffusion de ces vidéos avait un but politique précis qui aurait visé à déstabiliser Benjamin Griveaux, ce genre d’attaque n’est pas nouveau. Dans l’histoire on voit comment les gens de pouvoir ont eu à subir les lettres anonymes et les rumeurs, les articles de presse et les dénonciations de toutes sortes, tout comme l’usage du « sexe » pour éliminer un adversaire politique : combien de call-girls ou d’escort-girls n’ont-elles pas été jetées dans le lit d’hommes politiques qu’on voulait éliminer. Sans doute les réseaux sociaux qui ne sont responsables de rien sauf d’être utilisés, donnent à la fois un caractère d’immédiateté et une ampleur particulière à l’attaque. Alors « que révèle l’Affaire Griveaux », pour reprendre le titre du journal La Croix du 17 février 2020.
Sur le plan des techniques les réseaux sociaux plus rapides, plus intenses, plus percutants, offrent de toucher un plus vaste public ce que ne permettaient pas les moyens « traditionnels ». Relevons, pour l’histoire, pour l’anecdote, que déjà en 1901 le sociologue Gabriel Tarde dans son ouvrage L’opinion et la foule mentionnait l’importance qu’avait, pour la constitution de l’opinion publique, la rapidité avec laquelle l’information arrive vers les gens et il soulignait comment la presse qui prenait de plus en plus d’importance jouait là un rôle primordial en arrivant tous les jours dans les villages. Nous pourrions ici analyser comment les techniques ont permis pour la presse comme pour le quidam de diffuser rapidement l’information : ce fut la poste de plus en plus rapide, ce fut le télégraphe puis le télégramme, puis le téléphone est enfin aujourd’hui Internet. Il ne vient évidemment à personne l’idée d’incriminer ces techniques comme pouvant être responsables des attaques et des conséquences de celles-ci envers les gens de pouvoir ; pourtant il semblerait que les réseaux sociaux, sans doute à la fois en raison de leur relative nouveauté mais surtout de l’ampleur de l’écho qu’ils ont sont considérés par les politiciens et les éditorialistes comme responsables des attaques. On voit alors comment il s’agit en incriminant les réseaux sociaux on cherche à détourner l’opinion de la vraie source du scandale, comme si en reprochant aux journaux de publier les lettres d’un corbeau on voulait faire porter la responsabilité aux journaux plutôt qu’au corbeau. Il n’y a pas de lettre sans corbeau, il n’y a pas de vidéo sans « acteurs », et peu importe « le télégraphiste » et « le facteur » !
Ce sont bien les protagonistes de l’histoire qui sont responsables et seuls responsables de l’Affaire. D’abord ceux qui ont diffusé les vidéos qui répondront devant la justice d’avoir diffusé ces scènes de la vie privée sans le consentement de leur auteur. Mais leur faute n’est‑elle pas amoindrie par le fait que c’est l’acteur lui-même qui a filmé et envoyé ces vidéos, comment pouvait-il être assuré qu’elles n’échapperaient pas à la destinataire ? Sans doute non car on peut bien prendre une photo de soi dans la plus totale nudité et l’envoyer à quelqu’un, par la poste ou sur un réseau social, sans que pour autant le destinataire soit autorisé à diffuser cette photo ; la prise de la photo et son envoi relèvent de la vie privée alors que la diffusion, surtout sans l’accord de l’auteur, constitue une infraction. Il apparaît alors que cette affaire soulève moins un problème de droit qu’un problème de morale et un problème de « raison ».
La morale appartient à chacun tant qu’elle reste dans sa sphère totalement privée, mais dès lors que les choix faits en raison de cette morale vont à la rencontre de l’autre nous ne sommes plus dans la sphère du privé notamment lorsque cet autre ce sont les citoyens, plus globalement l’opinion publique, et que l’auteur est un homme politique en exercice. Là, je me souviens de cette anecdote que raconte Stéphane Zweig dans son livre Le monde d’hier. L’auteur narre l’histoire d’un colonel de l’armée autrichienne qui avait la responsabilité du commandement des services secrets. À un moment on s’aperçut que les plans de bataille autrichiens avaient été divulgués. L’enquête montra que ce colonel était l’auteur de la divulgation, il avait vendu les plans sous la menace d’un chantage : il était homosexuel à une époque où l’homosexualité était un crime. Cette histoire rappelle la prise de parole de leader du Parti Socialiste, Olivier Faure, qui rappelait qu’aucun n’attend qu’un politicien soit un parangon de vertu mais que chacun est en droit de s’inquiéter de ce qu’un politicien ait des comportements qui puissent le mettre sous le joug d’un maître chanteur.
Dans l’affaire Griveaux peu importe qu’il se soit mis en scène dans des attitudes sexuelles sans équivoque, cela ne relève que de la sphère de la vie privée même si ça peut dénoter des caractéristiques psychologiques particulières sinon inquiétantes, par contre ce qui est important c’est qu’à aucun moment il n’ait, semble-t-il, pensé que les vidéos envoyées à quelqu’un qu’il ne me connaissait que très peu puissent être copiées et diffusées. Cette attitude révèle soit une grande naïveté et on attend d’un politicien qu’il ne soit pas naïf, soit un degré de crétinisme profond et on attend d’un politicien quelque intelligence, soit un d’un sentiment de toute-puissance qui amène l’auteur à penser qu’il serait au-dessus de tout soupçon, qu’il ne risquerait rien puisqu’il est puissant, qu’il serait tellement au-dessus de tous les autres qu’aucun jugement ne pourrait l’atteindre. L’affaire Griveaux serait-elle révélatrice de l’ambiance jupitérienne de la macronie ?
L’attitude des députés de LREM, auxquels se joignent les éditorialistes des grands médias parisiens, qui poussent des cris d’orfraie et agitent l’épouvantail de la mort de la démocratie, montre à quel point il s’est constitué une oligarchie qui tient à l’écart des Français ; comme jadis sous l’ancien régime, il y a l’entourage et les affidés de la macronie, et de l’autre côté du fossé ceux qui ne doivent que se taire et accepter y compris comme modèle de vie les jeux de zigounette des députés LREM.
Cette pratique oligarchique éloigne de plus en plus les citoyens de la politique en ce qu’elle est la gestion de la cité. La faiblesse de la participation aux élections en atteste. Plus encore l’écart de participation aux élections locales et aux autres élections montre que si les élections locales font sens pour les gens, les autres élections ne présentent plus aucun intérêt pour les gens. Il sera intéressant de voir, plus que le résultat, ce que sera la participation à l’élection municipale de 2020 qu’il faudra corréler avec l’ambiance créée par les chamailleries pour les investitures et la composition des listes, d’autant plus que certains déjà en place à la mandature précédente cachent derrière eux comme un cheval de Troie de nombreux candidats LREM. Quel sens politique les citoyens peuvent-ils donner à un contexte électoral ainsi dessiné ? À cela s’ajoute cette pratique qui veut que l’on donne des résultats qu’à partir du nombre d’électeurs qui ont voté et qui, bien que réglementaire, constitue un mensonge éhonté : comment peut-on se prévaloir d’avoir été élu par une majorité à 66 % alors que moins de la moitié des électeurs inscrits ont voté. Jamais avant cette mandature la majorité présidentielle s’est autant prévalue de représenter la majorité des Français alors qu’elle n’en représente qu’une infime minorité, et jamais la majorité présidentielle n’a autant méprisé « la minorité ».
C’est bien par‑là, à cause de ces pratiques oligarchiques qui mènent à confisquer le pouvoir au peuple, que la démocratie est en danger bien plus que par la révélation et la diffusion sur les réseaux sociaux des jeux de zigounette d’un député ancien porte-parole du gouvernement. Pour autant, il ne faut pas négliger la relation entre l’usage des réseaux sociaux et la pratique démocratique.
La démocratie, et c’est pour cela qu’elle s’est dotée d’institutions de débats, a besoin de temps et de distance avec les faits et les évènements ; la pratique démocratique ne peut pas se satisfaire de l’immédiateté. Alors interrogeons cette politique qui veut promouvoir le digital et le numérique à tous crins, au risque de déshumaniser la société, et surconsomme les réseaux sociaux pour se diffuser : quelle femme et quel homme politique n’ont pas leur page Facebook et Twitter, quelle femme et quel homme politique ne réagissent-ils pas immédiatement à un événement sur les réseaux sociaux ? On ne peut pas promouvoir les réseaux sociaux, en faire un usage effréné et s’étonner qu’un jour le boomerang revienne.
Alors, ce que révèle l’Affaire Griveaux est proche du paroxysme d’une maladie dont la démocratie est atteinte depuis longtemps. La démocratie est malade alors même qu’elle naissait, dès lors que les aristocrates dès le Premier Empire se sont reconstitués en une communauté avec ses règles, ses usages, ses pratiques et son mépris des autres, de ceux du « parlement des invisibles ». Depuis cette époque, des gouvernants et des politiciens ont réussi avec plus ou moins de bonheur à contenir la maladie grâce aux institutions, aux corps intermédiaires et souvent à la presse d’opinion. Mais aujourd’hui, alors qu’un soi-disant Jupiter, plus narcisse qu’humain, n’a de cesse que de casser, avec l’envie de les supprimer, tous les garde-fous qui nous protègent d’une dictature, la démocratie est en danger, la démocratie est proche de la mort.
Quand on change pour changer, en détruisant la société avec un bulldozer, au seul prétexte « que la France d’aujourd’hui ne pas être celle de 1945 », et pour remplacer l’humain par la technique ont fait preuve d’un crétinisme profond, d’une inhumanité totale, ou d’une volonté totalitaire qui ne peut avoir pour conséquence que de mettre en péril la démocratie par l’instauration d’une dictature. Qui, d’intelligent, peut dire que la France d’aujourd’hui ressemble en quoi que ce soit à celle de 1945 ? Sans doute s’agissait-il d’un mot d’esprit, on sait à quel point Jupiter en est friand jusqu’à en être dans une addiction complète. Et si cela peut amuser certains et outrager d’autres, ces mots d’esprit et ses déclarations à l’emporte‑pièce ne font pas sens socialement et surtout politiquement. Cependant, ils font de l’image ce qui est essentiel à une époque où la politique se réduit à du marketing le plus basique. Dans ce contexte il n’est pas surprenant que l’oligarchie macronienne s’empare de la diffusion des vidéos pornographiques d’un de leurs députés, ancien ministre, comme d’un fanion politique, véritable oriflamme qui attirerait l’attention des citoyens sur un vide comme la muleta attire le taureau vers la mort.
Finalement l’Affaire Griveaux ne révèle pas autre chose que l’état de déliquescence dans lequel est la démocratie en France en raison d’une absence totale d’éthique politique. Mais cette Affaire met à jour l’existence des virus qui atteignent la vie politique et avec elle la démocratie, à savoir le remplacement de la pensée par la technique et le remplacement du débat par le marketing et la communication. Peut-être révèle‑t‑elle aussi un malaise social profond, sans doute une crise, sur fond de maladie chronique, dont personne ne peut pronostiquer l’évolution car si les éléments qui la constituent ont parfois des analogues dans le passé, d’autres, plus nombreux, plus présents, sont totalement actuels empêchant ainsi d’avoir, intelligemment, recours à un modèle d’analyse déjà construit ; plus que jamais pour analyser la société il faut changer de paradigme.
Pour ceux des lecteurs qui voudraient réfléchir plus profondément à la limite entre vie privée et vie publique, à la notion de transparence, et à ce que nous attendons en matière de vertu de la part des hommes politiques, je vous conseille la lecture de cet excellent article de Philippe Villemus, Professeur chercheur en marketing et leadership, Montpellier Business School‑UGEI, paru sur le site The Conversation : Affaire Griveaux : un leader doit-il être irréprochable ?, qu’on trouve en suivant le lien suivant.
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