Immobilier : la fin d’un cycle
Depuis quelques années les prix de l’immobilier n’ont cessé d’augmenter. Les jeunes couples et les classes moyennes ont cependant pu résister à cette courbe inflationniste grâce à des taux d’emprunt de plus en plus bas et des allongements de la durée des prêts. Le prêt à taux zéro (PTZ), avec un différé de remboursement dans certains cas, a aussi contribué à réguler le marché et à sa (relative) bonne tenue. De plus, les stocks de logements ne permettaient pas de satisfaire la demande ce qui, inévitablement, a engendré une dynamique dans les acquisitions.
L’acquéreur, soucieux de ne pas voir un bien lui échapper n’hésitait pas à signer « subissant » son acquisition bien plus qu’il ne la choisissait réellement, se contentant bien souvent de conditions de logement insatisfaisantes.
Cependant, le taux d’augmentation annuel à deux chiffres est bien derrière nous. Il était temps car les prix ont été artificiellement gonflés par les vendeurs transformés en véritables spéculateurs immobiliers, soucieux de gains faciles.
Entre 2002 et 2007, beaucoup de vendeurs n’ont pas hésité à revendre leur résidence principale uniquement pour des raisons spéculatives souhaitant profiter de « l’embellie » immobilière. Plus encore depuis la loi de finance de 2004 qui a instauré une exonération totale de plus-value en cas de revente d’un bien en résidence principale, sans condition de durée d’habitation du bien.
Cette politique du « chacun pour soi » et du tout-profit, dans une conjoncture favorable permettant aux propriétaires de surévaluer leur bien (souvent de moindre qualité et nécessitant d’importants travaux de rénovation pour l’acquéreur), a eu un effet pervers : ces propriétaires, aveuglés par ces gains inespérés et faciles, ont entretenu des hausses de prix excluant de plus en plus les jeunes. Ils laissent donc à nos (leurs) enfants le fruit d’une escalade irraisonnée des prix de l’immobilier, les pénalisant durablement dans l’acte d’achat d’un bien, mais aussi pour la location car les deux marchés sont liés : quand les prix de vente augmentent, ceux de la location suivent, ce qui a été le cas ces derrières années. Ce phénomène a largement contribué à marginaliser le logement chez les plus jeunes, mêmes salariés en CDI, en incapacité (ou en forte difficulté) d’acquérir et même de louer.
On a donc assisté à une recrudescence de logements précaires, de circonstances, d’urgence ou de provisoire devenu durable et dans des conditions de décence très contestables : co-location, retour chez les parents, hôtel meublé, caravanes, squats et même voiture ! Des situations qui entraînent souvent une désociabilisation avec des dommages collatéraux (divorces, perte d’emploi, manque de soins, maladies...) qui finalement coûtent très cher à la société ce qui prouve que le logement est la pierre angulaire, l’élément central de l’intégration sociale.
Or, depuis plusieurs mois, le marché de l’immobilier s’est considérablement ralenti prenant à contre-pied professionnels et vendeurs (dont certains n’ont pas hésité à contracter des prêts dits « relais » dans l’attente de la vente de leur bien. Ce dernier ayant été bien souvent sur-évalué, le délai pour trouver preneur sera forcément rallongé, augmentant de ce fait les intérêts de ce mode - assez risqué - d’emprunt).
Pourquoi un retournement du marché de l’immobilier ?
Plusieurs facteurs sont à prendre en considération. En effet, il s’agit d’une conjonction d’éléments dont certains auraient pu être anticipés, mais ont au contraire été sacrifiés à l’autel du profit :
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la crise des subprimes, aux Etats-Unis, a eu un effet non pas brutal, mais progressif en France. Les répercutions sur notre économie se sont fait sentir dès la fin de l’été 2007. Les banques américaines, qui ont prêté à des taux artificiellement bas et en créant de l’actif fictif, ont pris des risques considérables et les ont fait supporter aux ménages souvent parmi les plus modestes. Les banques françaises qui ont placé d’énormes sommes d’argent sur le marché américain ont revu leurs positions en resserrant les conditions d’accès à l’emprunt immobilier. Nos banques, fortement endettées ont donc dû suivre une politique de prudence et de repli, contribuant ainsi à une baisse des flux de transactions ;
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les taux de crédits, s’ils compensaient jusqu’à présent la hausse constante des prix de l’immobilier, ont subi de fortes augmentations en un an (en partie à cause des subprimes), passant de 3, 95 % (en moyenne) à 5,40 % (en moyenne) aujourd’hui en taux fixe. 1,5 point d’écart sur des crédits portant sur des sommes importantes ne sont pas sans conséquence sur le montant de la mensualité. Pour la même somme, l’acquéreur, qui empruntait dans la limite autorisée de 33 % de ses revenus, dépasse aujourd’hui largement ce seuil d’endettement et se voit évidemment opposer un refus à son financement, donc à son acquisition ;
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depuis la loi de programmation pour la cohésion sociale (dite loi Borloo) en 2005, les stocks de logements neufs ont progressé, rééquilibrant ainsi l’offre et la demande. L’acquéreur redevient acteur, prend son temps et fait jouer la « concurrence », même s’il y a toujours une insuffisance de logements en France (déficit estimé à 800 000 logements) ;
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le problème du pouvoir d’achat : la baisse du pouvoir d’achat a entraîné une détérioration de la solvabilité des ménages pour l’acquisition d’un logement. Ils ont de plus en plus de difficultés à boucler leurs fins de mois. Leurs revenus ne compensant pas la hausse des taux d’intérêt et les prix restant assez élevés malgré le ralentissement de la progression tarifaire ;
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la conjoncture nationale (et internationale) favorise une morosité générale qui s’installe et incite à la prudence les ménages (et les banques) qui reviennent de plus en plus sur des durées plus raisonnables ce qui alourdit par conséquent le poids du remboursement mensuel (entraînant là aussi, un refus de prêt). Les inquiétudes sur l’avenir n’encouragent pas une dynamique de projets, d’investissements ou de prises de risques même encadrées, mais plutôt à un repli sur des situations existantes même insatisfaisantes dans l’attente de jours meilleurs ;
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au-delà des facteurs macro-économiques, la hausse des prix de l’immobilier avait été contingentée aussi par une évolution micro-économique : Marseille, par exemple, a vu ses prix flamber avec l’arrivée du TGV (30 %), de même que Metz ou Nancy avec la ligne TGV-Est. Les villes littorales du Sud, avec l’arrivée massive des retraités « baby-boomers », sont des lieux privilégiés pour ces seniors qui souhaitent passer leur retraite au soleil. De même, les étrangers ont favorisé cette flambée des prix. Par exemple, nos amis anglais, dont les prix de l’immobilier chez eux dépassent très largement les nôtres, se sont pris d’une affection toute particulière pour certaines de nos régions (Bretagne, Sud-Ouest). Avec un pouvoir d’achat très élevé, nos cousins britanniques ont encouragé une surenchère sur les prix des biens immobiliers, réduisant ainsi les potentialités d’acquisition des autochtones, pénalisant, là encore, les ménages à revenus modestes ou moyens et surtout les plus jeunes. Cependant, certains retraités à faibles revenus ont aussi de grandes difficultés à se loger dans ces régions prisées, s’ils recherchent un logement plus adapté à leur âge (plain-pied, ascenseur, commerces, médecins à proximité).
Par effet « viral », les villes voisines de ces miro-bulles immobilières en ont profité pour réajuster à la hausse leurs prix, même sans valeur ajoutée structurelle ou touristique de leur commune.
Cependant, il est clair que ces phénomènes d’emballements locaux ont fini par décourager d’une part une clientèle devenue insolvable, et d’autre part une clientèle extérieure, certes plus nantie, mais devenue plus exigeante et plus lucide sur la valeur des biens proposés. C’est ainsi que certains investisseurs étrangers revendent des biens qui ne trouvent pas preneurs car ils souhaitent « rentrer dans leurs frais » sur des biens immobiliers sur-payés et sur lesquels ils ont, la plupart du temps, effectué de gros travaux de rénovation ;
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enfin, la baisse des prix amorcée crée un certain attentisme chez l’acquéreur potentiel qui espère d’autres baisses voire un retournement brutal du marché immobilier (« si ça baisse, ça baissera encore ! »)
Il me semble que nous sommes au début d’une crise de l’immobilier qui durera au moins jusqu’en 2010. Le temps que la confiance revienne après tant d’abus sur les prix devant lesquels les pouvoirs publics sont restés silencieux, voire complices. La taxation sur les plus-values et l’augmentation des droits d’enregistrement en augmentation arithmétique avec la flambée des prix de l’immobilier ont aidé à remplir les caisses, ce qui n’a pas pour autant permis de compenser en création de logements sociaux !
Mais, sur la durée, si les pouvoirs publics mènent une vraie réflexion sur les enjeux du logement avec une stratégie ambitieuse de régulation des prix, le marché de l’immobilier retrouvera sa nature première à savoir permettre de se constituer un patrimoine dans des conditions raisonnables pour le plus grand nombre.
En effet, auparavant, lorsqu’on décidait d’acheter un logement, c’était pour se loger avec sa famille et ne pas avoir de crédit à la retraite, tout en laissant un héritage à ses enfants. Il n’y avait aucune volonté spéculative, mais uniquement patrimoniale.
Ces dernières années, cet objectif premier a été détourné pour des velléités de gain immédiat et non taxé. Les gouvernements successifs n’ont pas su (ou voulu) mettre en place, par anticipation, une politique de maîtrise des prix de l’immobilier, tout au moins leur régulation. Leur « laisser-faire » et les mesures prises (loi de finance de 2004) ont plutôt encouragé les dérives qui nous ont amenés, pour partie, à la situation actuelle.
Et maintenant, que faire ?
Il faudrait un vrai courage de nos politiques pour s’attaquer à la régulation et à l’encadrement des prix de l’immobilier, mais il faut être lucide, cela touche à la propriété individuelle et il est peu probable que cela arrive. Il est des citadelles imprenables !
Mais si rien n’est fait, l’écart continuera à se creuser entre les plus modestes et les plus aisés. Les premiers deviendront de plus en plus pauvres, et il est à craindre que les autres, par effet de levier, deviendront plus riches encore, étant de plus très courtisés par les pouvoirs publics à travers des niches fiscales non plafonnées.
Il serait temps pourtant de songer à réguler les prix de l’immobilier en plafonnant les prix au mètre carré en fonction du zonage (comme pour les montants des loyers concernant les acquisitions en Loi de Borloo pour la défiscalisation, par exemple), en taxant les surplus. Cela permettrait au plus grand nombre de se loger dans des conditions acceptables.
Il faudrait à nouveau assujettir à la plus-value les résidences principales qui sont revendues dans un délai court à moyen (moins de dix ans) s’il ne s’agit pas de raisons personnelles justifiées (par exemple : déménagement pour raison professionnelle, maladie, divorce). Ceci éviterait les reventes à des fins uniquement spéculatives.
Il s’agirait aussi de clarifier l’opacité autour des sommes récoltées au titre du 1 % patronal (dit 1 % logement) qui sont gérées par plusieurs organismes dont des Collecteurs interprofessionnels du logement, les Chambres de commerce et d’industrie et aussi les Comités d’entreprises. Au fil des années le 1 % demandé à l’origine a diminué, se réduisant à 0,45 % de la masse salariale. Le nom « 1 % patronal » est pourtant resté ! Il faudrait s’assurer d’une équité en matière d’attribution des sommes au titre du 1 % ainsi qu’une réelle transparence dans l’utilisation des fonds.
L’aménagement du territoire est bien évidemment aussi à repenser. Il faudra un vrai débat urbanistique prenant en compte les mutations socio-professionnelles et les nécessaires adaptations en matière d’économie d’énergie, notamment en ce qui concerne les transports en commun reliant les communes les plus éloignées des grandes villes plus porteuses d’emploi, mais plus chères sur le plan immobilier. Ces villes étant donc de plus en plus désertées par les jeunes ménages et les actifs. Un redéploiement des bassins d’emploi dans les zones moins prisées (Centre, Est), donc moins coûteuses en matière de logement, permettrait une accession à la propriété d’un panel de la population plus large et permettrait donc aux plus modestes d’acquérir un bien. Des structures et des mesures attractives inciteraient sans aucun doute des déplacements de populations vers les territoires en voie de désertification.
Il faut donc repenser le cadre de vie, l’environnement, les modes de fonctionnements individuels et collectifs, les taxations sur les plus-values spéculatives y compris lorsqu’elles touchent aux résidences principales (même si ça n’est pas populaire) et s’interroger sur les enjeux futurs d’une perpétuelle surenchère immobilière qui est à la base du mal-logement.
Le courage de nos politiques à traiter ce problème dans un ensemble complexe, qui touche à un besoin essentiel et fondamental de l’homme (le logement), serait le gage d’une prise de conscience qui permettrait d’inverser la tendance et ferait que le logement ne soit plus la cause d’une marginalisation croissante, mais au contraire le pilier d’une société en progrès.
Pourquoi ne pas imaginer, alors, un Grenelle du logement ?...
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