Islam et sexualité : les prétendus clichés orientalistes de Kamel Daoud
Interdits, frustrations, mépris de la femme, déresponsabilisation des hommes, culte de la virginité et « porno-islamisme »
- « Les femmes du bus 678 » film égyptien de Mahamed Diab, 2010.
Les agressions de Cologne il y a plus de 2 mois après les scènes et les viols de la place Tahrir en 2012-2013 ont mis en exergue l'insécurité et les agressions de femmes dans le monde arabe. Dans un précédent article, j'ai rappelé que la technique de l'encerclement des femmes par les hommes avait commencé à être mise au point par la police égyptienne vers 2005 pour humilier des manifestantes.[1]
Fin janvier, un article de Kamel Daoud, journaliste et romancier Algérien, s'attirait de violentes critiques. De la part d'Arabes ? De Maghrébins ? On sait en effet aujourd'hui que les agresseurs était en grande majorité marocains et algériens ? Pas du tout, des critiques d'universitaires français, historiens, sociologue, anthropologues lui reprochant de céder aux mythes orientalistes.
Sociologue, moi même mais de terrain, pas de bibliothèque, j'ai voulu rappeler à ces messieurs qui semblent plus faire de l'idéologie que de l'observation, ce que peuvent dire les femmes musulmanes lorsqu'elles acceptent d'en parler.
Dans cet article Kamel Daoud avait écrit :
« Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. »
Et un peu plus loin :
« Le sexe est la plus grande misère dans le « monde d’Allah ». A tel point qu’il a donné naissance à ce porno-islamisme dont font discours les prêcheurs islamistes pour recruter leurs « fidèles » : descriptions d’un paradis plus proche du bordel que de la récompense pour gens pieux, fantasme des vierges pour les kamikazes, chasse aux corps dans les espaces publics, puritanisme des dictatures, voile et burka. »[2]
1. Impossibilité de contact, frustrations et mariages arrangés
L'Islam radical a généré sur le plan relationnel et sexuel une situation entre les sexes qui semble déterminante dans la difficulté d'évolution de ces sociétés : prohibition des contacts non contrôlés entre hommes et femmes non mariés, harcèlement des adolescents et des jeunes adultes qui cherchent à découvrir leurs sentiments amoureux, verbalisation des couples qui tentent de se construire, prohibition des rapports hors mariage à un âge où, on le sait, les besoins et les pulsions sexuelles sont les plus fortes, cout exorbitant des cérémonies de mariage rendant impossible une union à moins d'une fortune familiale avant la trentaine.
Derrière cette succession d'interdits, se profile un modèle de relations et de formation des couples d'un autre temps où les mariages étaient arrangés, où les époux se découvraient au moment du mariage, où la seule fonction des femmes était reproductive et où la richesse et la puissance se mesurait au nombre de femmes.
Un schéma de relation qui est un verrou d'évolution de ces sociétés.
La police des mœurs a toujours existé mais elle est devenue plus féroce dans les années 90 avec le développement de l'islamisme et leurs politique désastreuses concernant les femmes et la liberté sexuelle. Je connais des couples amoureux qui ont été poursuivis pour atteinte à la pudeur juste parce qu'il lui a pris la main et lui a caressé le visage.[3]
Mais au delà de la difficulté de formation des couples, le culte de la virginité et la prohibition théorique de relations sexuelles hors mariage a entrainé auprès des jeunes hommes, un niveau de frustration rarement atteint qui peut se manifester dans le harcèlement dont peuvent être victime les femmes dans les rues ou les transports publics.
Avec parfois l'assentiment de certaines autorités, les femmes qui ne sont pas enfermées dans une prison d'étoffe peuvent être soumises au harcèlement ou aux insultes.
- « Dans ma ville natale, je suis plus tranquille car les gens sont plus ouverts mais dans d'autres villes, si je suis maquillée ou habillée en jupe assez courte, je suis vraiment harcelée on me prends pour une femme facile »
- « Moi, les transports publics, je n'ose plus les emprunter »
- « Même si je ne porte pas de voile, il faut cacher son corps au moins jusqu'au genoux »
- « j'ai subi des attouchements dans différents transports publics ; j'ai du crier pour qu'on me lâche. Depuis je prends rarement le bus. (...) Les femmes voilées sont plus tranquilles... »
- « les attouchements oui, j'ai eu droit à ma part étant fillette »[4]
Mais même le voile n'est pas une protection. Le film Egyptien « Les femmes du bus 678 » de Mohamed Diab sorti en 2010 juste avant les évènements et les agressions sexuelles de la place Tahrir, en était le témoignage flagrant.
Ces interdits et cette frustration développe également le recours à la prostitution, ce qui est loin d'être une meilleure solution.
Même chez les femmes, ces interdits et cette prohibition ne sont pas sans conséquences : mises en place de techniques chirurgicales de reconstruction de la virginité, situations désastreuses des jeunes mères célibataires, jusqu'à l'insatisfaction sexuelle grave dont souffriraient les femmes que certaines associations estiment à 70% d'entre elles. Les femmes qui témoignent de leurs relations sexuelles parlent de rapports limités à des pénétrations et à la satisfaction de l'homme. Elles parlent de désintérêt du désir de la femme.
« Les caresses buccales sont interdites. Il me disait "ce sont les chiens qui font ce genre de choses". Même le baiser avec la langue c'est haram. »
2. Des conditions de mariage qui repoussent les unions
Dans la tradition, c'est l'homme (et sa famille) qui se doit d'assurer l'intégralité des frais du mariage. Des frais importants, impensables pour un jeune homme sans fortune personnelle (ou une famille moyenne). C'est une raison qui peut soit amener à repousser le mariage jusqu'à ce que le jeune homme en ait les moyens, soit qui peut accroitre les écarts d'âges entre hommes et femmes pour choisir un prétendant qui puisse assumer les frais.
Mais aujourd'hui, pour éviter que leurs filles ne se marient trop tard, au Maroc les familles des jeunes filles participent de plus en plus au frais du mariage jusqu'à le payer intégralement.
« Depuis les 10 dernières années, c'est de plus en plus les femmes et leurs familles qui prennent en charge le mariage. Les choses sont devenues trop chères ; si les jeunes filles attendent trop, elle seront trop vieilles.
Par la force des choses, comme les femme n'existent que pour être mère, si elles veulent se marier relativement jeunes, elle sont amenées à prendre en charge les frais du mariage. C'est de plus en plus normal. »[5]
3. Le non contrôle des hommes, le mépris et la fautes des femmes :
Mais au delà de cette prohibition des contacts et de cette difficulté à nouer des relations amoureuses, le plus grave est probablement la déresponsabilisation des hommes devant leur désir et l'entière responsabilité des femmes.
Tous les textes, les discours et les excuses concourent à attribuer aux femmes la responsabilité du désir qu'elles déclenchent chez les hommes.
C'est la raison pour laquelle les femmes doivent se couvrir, cacher leur corps, s'isoler, s'enfermer, se couper des contacts publics et surtout voiler leurs appâts aux hommes qui pourraient en être les « victimes ». Car ce sont bien les hommes qui sont victimes des tentations de femmes.
Les hommes en revanche n'ont aucune responsabilité et n'ont aucune capacité à se contrôler.
« l'homme ne peut pas se contrôler. C'est à la femme musulmane de jouer le rôle de gardienne de la vertu de l'homme en portant le voile. Intégral de préférence. » [6]
Combien de témoignages avons-nous lus de jeunes femmes agressées sexuellement et condamnées pour incitation à la débauche ?
Moi même et deux autres collègues, avons due subir le harcèlement de nos responsables. Une autre de nos collègue a été violée. Elle a porté plainte, mais elle a été licenciée.[6]
Parce-que si l'homme religieux n'est responsable de rien et tout juste capable de se maitriser devant une femme voilée. Face à une femme non voilée, il ne se maitrise plus.
« Il ne répond plus de rien en présence d'une femme non voilée et encore moins en présence d'une femme non musulmane. »[6]
Une déclaration qui résonne lorsqu'on pense à Cologne et les débordements du réveillon.
Pour nombre de femmes musulmanes considérant cette situation d'inégalité de traitement, la liberté et la permissivité sexuelle dont bénéficient les hommes, n'a d'égal que l'injustice que doivent supporter les femmes.
« Ce qui me révolte le plus , ce sont ces 2 poids et 2 mesures. L'homme n'est pas responsable de ses actes, c'est à la femme de tout faire. Par définition, l'homme ne peut pas se contrôler. Il grandit avec cette idée qu'il peut tout faire, que ce n'est pas de sa faute. Plus grand, il aura un sentiment de toute puissance. »
- « Dans la rue je suis surtout révoltée par le manque de respect envers la femme. C'est comme si elle était transparente l'espace, le trottoir, la rue appartient aux hommes. Ce sont les hommes qui sont prioritaires. En Europe, on laisse passer les femmes, au Maghreb, c'est les hommes qui passent devant toi en te bousculant » [6]
Dès lors, l'idée même des agressions des femmes si elles ne sont pas « enfermées dans un carcan » n'est-elle pas légitimée ? Par définition une femme agressée est suspectée d'être facile.
On peut se demander si cette « toute puissance » du petit garçon devant les filles inculquée depuis l'enfance ne se construit pas tout au long de son éducation. Petits, ce sont des enfants-rois, chéris par leur mère, autorisés de tout faire, souvent exemptés de contraintes réservés à leur sœurs, dont ils sont rapidement chargés de surveiller les fréquentations.
Cette toute puissance et cette dé-responsabilité du désir des hommes face aux femmes ne se construit-elle pas dès l'enfance ?
4. Culte de la virginité et abondance de vierges dans l'après-vie
Tout comme le christianisme qui promet le paradis en cas de vie méritante, l'islam promet dans « l'après-vie » un jardin où coule le miel, où on ne vieillit pas et où il n'y a nulle tristesse. Mais il y a également un petit bonus : on y trouve des « vierges éternelles » et des serviteurs[7].
En cas de martyr ou de sacrifice, les promesses religieuses explosent et sont centrées sur le « don de vierges » ; vestige probable d'une époque où l'esclavage était courant.
On peut s'interroger sur cette « survalorisation » de la virginité et sur son sens.
On peut être cependant surpris de cette curieuse conception du monde spirituel où les promesses principales sont sexuelles et où l’appétit perdure et contribue à la valorisation du candidat censée être capable d'assumer 70 vierges.
Promesse enfin ou la réussite et l’abondance est marquée, non par la sagesse et l’élévation de l’âme, mais par le nombre de femmes possédées.[8]
Les divers commentateurs ne s’accordent pas d’ailleurs sur le nombre de ces vierges : Pour Al-Tirmidhi, éminent commentateur du Coran du 9ème siècle ils en remportaient 72, alors que Mulla Ali Qari, un imam du 11ème siècle, n'en attribuait que 70 auxquelles il fallait ajouter deux épouses humaines. L'imam Al-Bayhaqi était plus généreux, puisqu'il accordait 500 épouses, 4.000 vierges et 8.000 femmes mariées à chaque homme. La signification du mot « hour » habituellement utilisée pour désigner ces « vierges » est également ouverte à l'interprétation, car il peut signifier « raisin blanc » si on choisit de le lire en syriaque plutôt qu'en arabe.
Mais qui voudrait mourir pour 70 ou même 500 raisins blancs…[9]
5. Les prostituées et pondeuses du Califat :
Si la situation des femmes est difficile, c'est au sein du prétendu « Califat » de Daech qu'elle est la plus caricaturale.
Car que dire de la situation de ces jeunes femmes qui partent au "Sham" (en Syrie) rejoindre Daech vivre leur idéal de pureté de bonne musulmane ?
Sur place, elles découvrent une tout autre réalité : immédiatement engrossées pour éviter qu'elles ne repartent, elles peuvent passer automatiquement à un autre « compagnon » en cas de décès du premier.
C'était le cas de Nadia, étudiante française de 21 ans, radicalisée sur Internet et partie 3 mois à Raqqa en 2015.
Elle dit avoir été attirée par la possibilité d'aller vivre « sur une terre où il y avait les lois d'Allah ». Mais en Syrie, elle déchante vite en découvrant la faible connaissance religieuse des hommes avec lesquels elle est en contact et leur perception des femmes en tant que repos du guerrier.[10]
En clair elles sont intermédiaires entre la prostituée et la poule pondeuse. Une situation proche du « porno-islamisme » dont parle Kamel Daoud.
Ce statut peut-être également entériné par le très hypocrite « mariage temporaire » formule particulièrement suave pour désigner la prostitution ou l’esclavage sexuel.
Comme beaucoup d'autres, elle est enfermée avec plusieurs dizaines de jeunes femmes (situation qui rappelle les bordels ou les harems) jusqu'à ce qu'elle accepte de « se marier ». Ses papiers, son téléphone portable lui sont confisqués et elle n'a pas le droit d'avoir de contacts avec l'extérieur.
. « Ils m'ont dit : "Si tu veux sortir de cette maison, il faut te marier." Sinon tu y restes à vie, tu ne sors pas. (...) Il est interdit d'appeler ses parents, d'avoir accès à Internet, tout est interdit. (...) On nous dit que c'est pour notre sécurité ».
Ce matin, je viens que voir que notre 1er ministre défendait Kamel Daoud et j'en suis heureux.
Je n'ai pas eu l'impression que les femmes Algériennes, Marocaines que j'ai interrogées trouvaient que les propos de Kamel Daoud étaient des "clichés orientalistes".
Elles parlaient de leur réalité et de leur révolte actuelle. Elles parlaient de la situation des femmes aujourd'hui, de leur insécurité, des inégalités de traitement, de la déresponsabilité sexuelle des hommes, pas de la situation dans les harems du 19ème siècle, mais de celle des foyers de Casa, d'Alger ou de Tunis.
[1] https://www.facebook.com/notes/gerard-dahan/le-syndrome-de-cologne-et-ses-r%C3%A9percussions/458776060978695
[2] www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/31/cologne-lieu-de-fantasmes_4856694_3232.html#vqPMb002UgAGHgeD.99
[3] Les déclarations en retrait sont des extraits d'interviews de femmes Algériennes et Marocaines. Les prénoms et les références aux villes ont été supprimées.
[4] Interviews Maroc et Algérie, 2016
[5] Interview, 2016
[6] Interviews, 2016
[7] Coran, Le Miséricordieux, LV ; 70-77
[8] « Al Hayat Al Jadida », Quotidien officiel palestinien, et le Dr. Ismail al-Radouan, sur PATV (Palestinian Autority TV), le 17 aout 2001.
[9] Gérard Dahan, « Le sacrifice ultime, du kamikaze au djihadiste » http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-sacrifice-ultime-du-kamikaze-au-153785
[10] Madame Figaro 24 juin 2015. "Une jeune française revenue de Syrie raconte le djihad" http://madame.lefigaro.fr/societe/une-jeune-francaise-revenue-du-djihad-en-syrie-raconte-240615-97164
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