Le mariage républicain pour tous, les religions ont-elles le droit de s’y opposer dans notre pays qui a voté en 1905 la séparation des Églises et de l’État ?
Ce mercredi, le Conseil des ministres examinera le projet de loi sur le mariage pour tous. Le contenu du texte, porté par la garde des Sceaux Christiane Taubira, est déjà connu. La loi ne sera pas votée avant 2013.
Décryptons rapidement ce projet de loi
Tout d'abord voyons ce qui change :
Les couples homosexuels pourront se marier comme tout le monde. Même si certains maires refusent de se plier à l’exercice et laissent à leurs adjoints le soin de les accueillir "en la maison commune", se marier deviendra un droit pour tous les couples de même sexe. Le modèle juridique du mariage ne change pas. Chacun pourra prendre pour nom d’usage celui de son mari, ou chacun pourra décider de garder le sien. Contrairement à ce que permettait le pacs, lors du décès de l'un d'eux, le survivant pourra toucher une pension de réversion.
Les couples mariés pourront adopter ensemble. Le couple homosexuel , comme tous les autres couples mariés, pourront déposer une demande d’agrément auprès de leur conseil général pour adopter un enfant. L’article 343 du Code civil relatif aux conditions requises pour l’adoption conjointe n’a même pas besoin d’être modifié puisqu’il évoque "deux époux" sans préciser le genre. L’enfant adopté pourra porter le nom de l’un, de l’autre ou les deux accolés.
Les enfants déjà conçus à l’étranger par insémination artificielle pourront être adoptés par le conjoint. Une fois mariées, les conjointes pourront demander l'adoption pleinière de l'enfant conçu par sa compagne par don de sperme anonyme. La demande sera instruite par un juge et, au bout de trois à huit mois, l'adoption sera officielle. Il aura deux mamans, qui auront chacune l’autorité parentale. Il sera possible de modifier son nom de famille en accolant le deuxième nom.
Les enfants déjà adoptés en célibataire par l’un des futurs époux pourront être adoptés par son conjoint. Avant cette loi l'enfant n'avait qu'un seul papa ou qu'une seule maman, même si le compagnon ou compagne avait une délégation d'autorité parentale. Les opinions personnelles du juge saisi de l’adoption ne devront pas influer la décision : il vérifiera juste que les conditions sont réunies (parents mariés, écarts d’âge, etc.).
Maintenant voyons ce qui ne change pas :
Le mariage ne transformera pas automatiquement le conjoint en deuxième parent d’un enfant déjà présent. Le conjoint ou conjointe ne deviendrons pas père ou mère au nom d'une "présomption de paternité ou maternité" qui ne continuera d'exister que pour les couples hétérosexuels. Ils ne pourront pas non plus se rendre en mairie et reconnaître l’enfant devant un officier d’état civil. Il faudra qu’ils entament une démarche d’adoption plénière, un peu plus longue et plus lourde, qui seule permettra d’établir un lien filial entre eux et l'enfant.
Un couple de femmes, mêmes mariées, ne pourra pas accéder à la procréation médicalement assistée. Si elles veulent un enfant ensemble par don de sperme anonyme, ni l’une ni l’autre ne pourra en bénéficier en France dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, aujourd’hui légale et remboursée par la Sécurité sociale pour les couples hétéros. Inséminations artificielles et fécondations in vitro avec donneur resteront réservées aux stérilités médicales, non aux impossibilités biologiques liées à l’orientation sexuelle. Les deux femmes devront se rendre à l’étranger (Espagne, Belgique…) et, une fois l’enfant né, celle qui ne l’a pas mis au monde devra entamer une démarche d’adoption plénière.
Les couples d’hommes ne pourront pas légalement avoir recours à une mère porteuse. Sauf à trouver une amie qui accepterait de concevoir, porter et abandonner l’enfant à la naissance , fait très rarissime,ils ne pourront pas être parents ensemble d’un bébé dont l’un d’entre eux serait biologiquement le père. Ils devraient, ce que peu d’hommes font contrairement aux femmes, se mettre hors la loi et se rendre en Angleterre ou aux États-Unis pour avoir recours à une "mère porteuse" (rémunérée). La gestation pour autrui reste interdite en France.
Les enfants conçus "par arrangement" entre deux couples n’auront pas quatre parents. La loi ne viendra pas régler cet imbroglio de coparenté multiple, assez fréquent aujourd’hui. Un statut "du tiers" pourrait, dans un deuxième temps, donner des droits (et devoirs) à d’autres adultes que le parent officiel.
Les six principales religions de France : catholique, musulmane, juive, orthodoxe, bouddhiste et protestantes sont vent debout contre ce projet de loi.
Si le débat sociétal, lui, est déjà installé, contrairement à celui qui avait pu avoir lieu pour le pacs en 1998, les arguments évoqués par ces religions ne sont plus les mêmes. On n’entend plus les opposants au texte parler de religion mais "d’anthropologie".
Ces religions sont, pour des raisons différentes, d'accord sur le principal. C'est dans la plus grande discrétion que six responsables de culte se sont rencontrés à Paris dans le courant du mois de septembre. A la suite de cette réunion ils sont tombées d'accord sur le principe d'opposition à ce texte de loi, Ils se sont entendus sur la marche à suivre : chacun de leur côté vont déployer des moyens d'action.
La religion catholiques aux avant-postes
Les premiers à entrer dans la bataille sont les catholiques. Dès le 15 août le cardinal André Vingt-Trois a orchestré la "prière pour la France" qui a fait couler beaucoup d’encre et a déclenché les hostilités entre les pro et les anti mariage gay.
Reçu à deux reprises par Christiane Taubira, la ministre de la Justice, le président de la Conférence des évêques a clairement affirmé la position de l'église catholique : "L'ouverture du mariage à des personnes homosexuelles va entraîner une transformation assez large des définitions de l'état civil et du Code civil ". Il pose également la question de l’adoption par des couples homosexuels, qui ne respecterait pas selon lui la convention universelle des droits de l’enfant signée par la France. Il demande un véritable débat, sous forme de référendum par exemple, et espère "empêcher la loi".
Selon l'Église le mariage homosexuel menace les fondements anthropologiques de notre société et que l'amour ne peut s'exprimer que dans les limites de ce modèle anthropologique. Le cardinal Philippe Barbarin parle de "changement de civilisation" et déclare que la famille se fonde "dans cet amour complémentaire et durable de la femme et de l'homme : c'est une question au sens sociologique, anthropologique du terme. Il y a profondément un choix de civilisation qui concerne le modèle familial comme la fin de vie", tandis que Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France, déclare que l'amour homosexuel "pose une question anthropologique".
Le cardinal André Vingt-Trois, a appelé ce samedi 3 novembre, à Lourdes "les chrétiens et tous ceux qui partagent notre analyse" à "saisir leurs élus en leur écrivant des lettres personnelles, en les rencontrant et en leur exprimant leurs convictions". De manière plus large et inédite, il les a incités à "utiliser les moyens d’expression d’une société démocratique, d’une démocratie participative, pour faire connaître leur point de vue". (Voir vidéo ci-dessous)
Des manifestations de rue sont organisées les 17 et 18 novembre par des organisations proches de l’Église catholique et par le mouvement intégriste Civitas, dont l’institution veut clairement se distinguer. Mgr Vingt-Trois a toutefois exclu d'y participer à titre personnel. "Ma fonction, ça n'est pas de mener l'action politique, c'est d'éveiller les consciences et d'alerter mes concitoyens quand je pense qu'il y a matière à les alerter."
Les autres religions emboîtent le pas
Le mardi 18 septembre, Christiane Taubira avait aussi reçu la Fédération protestante de France (FPF). Claude Paty, le pasteur et président de la FPF confie que "le mariage n’est pas un sacrement, notre opposition ne peut pas être d’ordre religieux" mais avoue "que pour des raisons anthropologiques, et de structuration symbolique, je n’approuve pas ce projet".
Le conseil d'administration de cette institution devrait voté, sans surprise, une motion s'opposant à ce projet de loi. Également le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) qui regroupe les Églises protestantes de type évangélique (une structure indépendante de la FPF) avait déjà pris, dès le début de la polémique, une position très nette contre cette évolution de société.
Même son de cloche chez les orthodoxes qui rendront leur avis début octobre. Ils se sont prononce début octobre dans le cadre d'une assemblée des évêques sur un projet dont ils ne cernent pas l'opportunité. Leur porte-parole Carol Saba a déclaré : "En voulant traiter une question catégorielle, on touche une question sociétale engageant de multiples conséquences qui annoncent une rupture de société"
Chez les musulmans, Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman, a déjà donné des indices au Figaro avant une déclaration publique imminente :"Le culte musulman, à l'instar des autres cultes monothéistes, n'autorise pas le mariage entre deux personnes du même sexe. Nous sommes donc opposés à ce projet de loi." Selon lui le projet du gouvernement est motivé par le souci de faire respecter ce qu'il appelle le principe d'égalité, il a ajouté qu'en réalité, il faut différencier égalité et similitude. Un document sera bientôt envoyé aux conseils régionaux du CFCM pour être diffusé dans les mosquées, avec l'espoir de peser sur l'opinion publique.
En ce qui concerne les juifs le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, vient de consacrer un essai de 25 pages sur ce projet et va l'adresser aux ministres, aux parlementaires et à tous les publics concernés. Sa conclusion est que : "les arguments invoqués d'égalité, d'amour, de protection ou de droit à l'enfant se démontent et ne peuvent, à eux seuls, justifier une loi." À ses yeux, le mariage gay n'est pour ses partisans qu'un "cheval de Troie", selon lui leur projet est plus ambitieux : "la négation de toute différence sexuelle."
Conclusion
Ce mariage civil étendu n'implique pas l'obligation pour les différentes religions de reconnaître ces unions : le mariage civil est quelque chose de distinct du mariage religieux et il est même fâcheux que l'on emploie le même terme pour désigner un acte juridique et un acte symbolique. Il serait donc souhaitable de profiter de cette réforme du "mariage pour tous" pour appeler union civile ce qui est dénommé mariage civil jusqu'à maintenant.
Le mariage et l'adoption pour tous n'est pas un gadget politique mais une mesure républicaine à portée universelle. Dans des sociétés démocratiques, condamnant en théorie toute discrimination, peut-on encore priver les homosexuels des droits (et devoirs) qui découlent du mariage ?
Un moine, Frédérico Djong Do Procopio a plaidé pour le mariage homosexuel. Il fut d'abord moine bénédictin avant d'abandonner il y a bientôt 16 ans l'Église catholique pour une autre religion : le bouddhisme. Il y a plusieurs années, son union avec son compagnon, l'un des premiers mariages religieux bouddhistes, avait fait couler beaucoup d'encre dans la presse. Pour lui, Il lui semble "légitime, juste et normal de célébrer l'amour de deux êtres, quel que soit leur sexe ou leur genre". (Voir la vidéo du Point).
En voyant ce qui se passe en France au sujet de ce projet de loi, le moine zen dit ne souhaiter qu'une seule chose : "Que ces discours de haine, de déni de la différence et d'homophobie parfaitement assumée dans un pays qui punit l'homophobie puissent cesser."
Souvenons-nous des paroles de Victor Hugo, qui aujourd'hui sonnent comme une prophétie :
"La Liberté d'aimer est le même droit que la liberté de penser : l'une répond au cœur l'autre à l'Esprit : ce sont deux faces de la liberté de conscience."
Sources : Wikipédia.org, Le Monde, Le Figaro,
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