Vatican et Pédophilie : on s’accommode en silence
Au moment où le Pape manifeste sa volonté de revenir à d’anciens rites, il convient de s’interroger sur les us et coutumes du Vatican en ce qui concerne la pédocriminalité. Un document de 1962, écrit par le Cardinal J Ratzinger demeure en vigueur. Étonnant !
Dans
un article du 10 janvier 2008, Fabrice Arfi, journaliste de l’hebdomadaire La
Tribune de Lyon, s’interroge sur les étranges silences de l’Église suisse
dans une affaire de pédocriminalité impliquant un prêtre, Joël Allaz, qui
vivrait à l’abri, dans un monastère suisse. Ce dernier, non seulement, avoue
tous les crimes qui lui sont imputés mais il en dévoile d’autres commis en
France où il a vécu - Grenoble et Lyon - entre 1989 et 2005.
L’Église
suisse a officiellement indemnisé certaines de ses victimes en 2002,
reconnaissant de fait la culpabilité du prêtre, mais elle l’a autorisé à se
réfugier, depuis deux ans, dans une fraternité de frères capucins à Delémont,
dans le Jura suisse.
Suite
à ces révélations, le quotidien de Lausanne, Le Matin, en date du 11
janvier 2008 affirme que le père Allaz a été envoyé en vacances par sa
hiérarchie. Dans le même temps, le procureur général de Lyon, Jean-Olivier
Viout, a saisi, le 10 janvier 2008, les autorités judiciaires suisses pour leur
demander une audition « détaillée » du religieux,
Cette
affaire qui révèle l’omerta de l’Église, voire, carrément une volonté
d’obstruction à la bonne marche de la justice, pourrait paraître banale, tant
ce genre d’affaires se multiplie. Cependant, l’attitude de l’Église n’est pas
exceptionnelle, elle s’inscrit dans un contexte où la loi des hommes semble ne
pas être la même à Lyon, Lausanne,... qu’au Vatican...
En
effet, depuis plus de 40 ans l’Église catholique romaine semble considérer que
sa conception de la justice est au-dessus de celle des États. Au vu du Vatican,
le crime de pédocriminalité n’est qu’un péché qu’il convient de cacher, pas un
crime, et les hiérarchies nationales appliquent cette règle avec le maximum de
ruses.
On
pourrait croire que l’Église, comme les institutions laïques qui accueillent
des jeunes gens ou des enfants - services sociaux d’accueil et d’hébergement,
établissement scolaires, établissements de santé, etc. - agit de façon
opportuniste, au cas par cas pour se couvrir. Il n’en est rien ! Et ce que
cela révèle au plan moral, éthique, philosophique et religieux est de toute
première importance.
Le Cardinal Ratzinger rattrapé par son passé
Dans
une émission hebdomadaire d’investigation « Panorama », du 01 octobre
2006, la BBC dévoile l’existence d’un document secret, rédigé en 1962
et mis à jour en 2001, qui détaille comment doivent être abordés les cas de
pédophilie découverts au sein de l’Eglise catholique. Ce documentaire,
« Les crimes sexuels et le Vatican » a été réalisé par le journaliste
Colm O’Gorman.
Le
document romain, intitulé Crimen Sollicitationis, indique aux évêques
du monde entier comment procéder en cas de « crime de
sollicitation », dans le cadre du confessionnal ou en dehors.
Le
document précise que la sollicitation concerne des actes obscènes à l’encontre
de fidèles mineurs, que ce soit par la parole ou les gestes. Les instructions
marquées « confidentiel » devaient être conservées et enfermées dans
le coffre de leur église par les évêques.
Elles
exigeaient notamment le secret absolu, tant du prêtre que de la victime, ou
encore d’éventuels témoins ou personnes informés, selon la BBC. Le non respect
de ce serment signifiait une excommunication.
Ce
document est accessible à l’adresse URL
suivante .
Vous
pouvez également le télécharger sur le site Sauver l’Enfance en Danger :
« Cette procédure visait initialement à
protéger la réputation d’un prêtre jusqu’à ce que l’Église ait mené une
enquête, mais en pratique elle peut permettre d’étouffer l’affaire »,
avance le documentaire.
« L’homme
chargé d’appliquer cette politique pendant 20 ans était le cardinal Joseph
Ratzinger, l’homme qui est devenu pape sous le nom de Benoît XVI » ajoute
le journaliste.
Les
représentants britanniques de l’Église catholique, très mobilisés, ont
immédiatement dénoncé ces accusations, les jugeant fallacieuses et expliquant
que le document incriminé ne faisait nullement référence aux abus sexuels mais
seulement à l’usage impropre du confessionnal.
Les
évêques d’Angleterre et du Pays de Galles dénoncent immédiatement le
documentaire de la BBC accusant Benoît XVI d’avoir étouffé des affaires de
pédocriminalité.
Le
lendemain, le Vatican apporte son plein soutien aux évêques catholiques
d’Angleterre et du Pays de Galles dans leur dénonciation du documentaire de la
BBC qui, de fait, accuse le pape Benoît XVI d’avoir contribué à étouffer des
affaires de pédocriminalité alors qu’il était encore président de la
Congrégation de la doctrine de la foi.
Le
Vatican fait savoir qu’il n’exprimera aucun commentaire en son nom propre au
sujet de ce documentaire. Le communiqué annonce cependant qu’il adhère
pleinement à la réaction virulente de l’archevêque de Birmingham, Vincent
Nichols.
Au
nom des évêques britanniques, ce dernier estimait que la BBC devrait
« avoir honte du niveau de journalisme exhibé dans cette attaque
injustifiée contre le pape Benoît XVI ».
Vincent
Nichols distingue deux volets du documentaire : le premier met en avant
des cas de pédocriminalité mettant en cause des prêtres, ce qui selon
l’archevêque est pris très au sérieux, avec prudence et en toute transparence,
par l’Église ; le second met en cause le Vatican.
« Ce
volet du documentaire est erroné et totalement trompeur », estime-t-il
dans un communiqué approuvé par les évêques d’Angleterre et du Pays de Galles.
« Il
est erroné parce qu’il dénature deux documents du Vatican et les utilise de
manière trompeuse pour relier les horreurs de la pédophilie à la personne du
Pape. »
Pour
sa part, le cardinal Cormac Murphy-O’Connor, chef de l’Église catholique
d’Angleterre et du Pays de Galles, envoie à Mark Thompson, le directeur général
de la BBC, une lettre pour protester contre l’émission, diffusée sur la chaîne
publique anglaise.
Dans
le documentaire, le journaliste réalisateur à demandé à un expert du droit
canon rompu aux arcanes de la rhétorique vaticane, le père Tom Doyle, renvoyé
du Vatican parce qu’il avait critiqué la manière dont la hiérarchie catholique
gérait ces cas d’abus sexuels, d’interpréter le document pour la BBC. Cet
expert, interrogé dans le documentaire, estime qu’il s’agissait bien d’une
volonté explicite d’enlever tout droit de parole aux victimes sans condamner
pour autant l’auteur des « sollicitations ».
La
contre attaque fut d’autant plus empressée et virulente qu’elle mettait en
cause le Pape lui-même qui fut en 1962 le rédacteur de cette charte. Elle
obéissait de plus, aveuglément, à un réflexe tissé par 20 ans de
pratiques : le secret et une forme auto justifiée d’exercice de la justice
qui protège l’institution et non l’individu victime sans, à aucun moment, tenir
compte du droit local. Ce que soulignait la BBC, dans un communiqué répondant
aux critiques des évêques, en arguant que « la protection des enfants est,
de manière évidente, un problème qui relève de l’intérêt public ».
L’affaire
fut rapportée sans trop de soutien par quelques médias français, notamment le Nouvel
Obs dans un article titré : « Le
Pape soutenu »
Les précédents
Le
Cardinal Ratzinger fut, de 1981 à son élection en 2005, le président de la Congrégation
pour la doctrine de la foi, département du Vatican chargé de promouvoir et
de protéger la doctrine et les mœurs. À ce titre, il fut également chargé de
son application.
Jusqu’à
présent, c’est surtout l’Église catholique des États-Unis qui a été ébranlée
par des affaires de pédophilie, le Pape Jean-Paul II ayant convoqué au Vatican
les 14 plus hauts dignitaires du clergé US pour les tancer sévèrement quant à
leur laxisme sur ce dossier. Dans la foulée, trois évêques avaient dû
démissionner, plus de 200 prêtres ont été suspendus, tandis que plus d’un
millier de plaintes sont en cours d’examen devant des tribunaux.
C’est
en 2002 qu’éclate une affaire impliquant l’Église catholique américaine avec
l’affaire de John Geoghan.
John
Geoghan, 66 ans, dont le procès, au terme duquel il fut reconnu coupable en
janvier 2002, a été à l’origine du scandale secouant l’Église catholique
américaine depuis ce début d’année 2002, avait été condamné à dix ans de prison
pour actes pédocriminels. Muté de paroisse en paroisse par sa hiérarchie,
pendant 30 ans, il aurait commis plus de 140 agressions sexuelles sur des
enfants.
Or,
de 1991, date à laquelle tombèrent les premières dénonciations, jusqu’en 1998
où il fut défroqué, l’Église catholique américaine tenta d’étouffer l’affaire.
Un article de Wikipedia anglophone relate l’histoire de ce scandale.
(http://en.wikipedia.org/wiki/John_Geoghan)
Condamné
en 2002, John Geoghan fut étranglé dans sa cellule, le 23 août 2003, par un co
détenu Joseph L. Druce qui avoua son crime avec fierté.
Dossier
du Boston.com News
http://www.boston.com/news/specials/geoghan/
Par
ailleurs, un film relate la saga de ce prêtre qui aurait abusé de plus de 140
enfants durant 30 ans. Voici la présentation du film : « Le père John
Geoghan est jeune, énergique et toujours souriant. Appelé “Père Jack” par ses
paroissiens, il baptise leurs enfants et célèbre leurs mariages. Mais il cache
un horrible secret. Depuis 30 ans, il viole des enfants.
Il
va frapper et abuser sexuellement plus de 140 enfants en leur disant de garder
le secret. Des rumeurs vont alors courir à son sujet, le diocèse de Boston va
simplement l’assigner à une nouvelle paroisse et l’envoyer se faire soigner
psychologiquement. Mais les abus ne vont pas cesser et la plus haute autorité
de l’église catholique américaine, le cardinal Bernard Law, va tout de même le
couvrir.
Ce
film retrace l’histoire du scandale qui va faire vaciller les fondements de
l’église catholique et remettre en question la foi de beaucoup de
croyants. »
Film
disponible au téléchargement sur Crimes & Investigation Network
L’existence
du document vatican, incriminé dans le documentaire de la BBC, fut révélée une
première fois, en 2003, aux États-Unis. Des avocats américains représentant des
victimes présumées d’actes pédocriminels commis par des prêtres l’avaient alors
utilisé dans des procédures judiciaires intentées contre des diocèses
américains.
Le
scandale, portant sur le transfert d’une paroisse à l’autre de prêtres
coupables d’agressions sexuelles sur des mineurs et l’absence de sanctions contre
eux, était centré sur la ville de Boston. L’affaire avait entraîné la démission
de l’archevêque de Boston, le cardinal Bernard Law, en décembre 2002.
Ces
révélations permettent de savoir que, selon des experts américains, 1500
prêtres sur 140 000 officiant aux États-Unis, auraient commis des agressions
sexuelles lors des 40 dernières années. Il s’ensuit le dévoilement de
nombreuses affaires : ainsi, jeté en pâture aux journalistes, un jésuite
est accusé d’avoir abusé sexuellement pendant les années 70 de trois lycéens à
Boston... L’archevêché de Boston, harcelé, suspend 18 prêtres durant l’année
2002... Manifestement la hiérarchie catholique est étranglée par la
multiplication des scandales mais elle parviendra très vite à estomper les
effets des scandales à répétition... à coup de millions de dollars.
86
des 140 victimes de John Geoghan, se partageront près de 10 millions de dollars
de dommages et intérêts en procédure civile.
Plus
tard, outre 9,3 millions de dollars destinées aux personnes ayant subi des abus
sexuels, l’Église devra verser 540 000 dollars pour 20 victimes ayant déclaré
avoir été traumatisées par le prêtre, mais pas physiquement abusées, et 160 000
dollars à 16 parents de victimes.
Source :
Le réseau VoxDei du 20 septembre 2002
http://www.voxdei.org/afficher_info.php?id=4212.88
Malgré
cela on apprend que de 1997 à 2002, 10 millions de dollars ont été dépensés par
l’archidiocèse de Boston pour acheter le silence des victimes des prêtres
pédocriminels qui agirent dans le cadre de leurs fonctions pendant plusieurs
décennies, jusqu’en 1998. L’affaire serait restée secrète si elle n’avait été
révélée par le journal Boston Globe.
En
1992 déjà, l’Église catholique américaine avait été secouée par un fait
semblable : plus de 100 victimes d’un prêtre obsédé sexuel notoire, James
Porter, du diocèse de Fall River, Sud-Est du Massachussets, avaient apporté des
preuves que ce pervers avait été transféré de paroisse en paroisse afin de le mettre
à l’abri des parents des enfants abusés, alors que son obsession et ses abus
sur les enfants étaient connus de sa hiérarchie.
Dans
la même année éclate à Boston une autre affaire
« Le
cardinal américain Bernard Law, 71 ans, au cœur de la tourmente provoquée par
les scandales de pédophilie, a annoncé avoir déjà secrètement rencontré le Pape
à ce sujet et obtenu de rester en fonctions. "Au cours des derniers jours,
je me suis rendu à Rome pour chercher conseils et avis (...) Le Saint Père a
accepté de me rencontrer (...) et je reviens dans mon pays encouragé dans mes
efforts visant à faire en sorte qu’aucun enfant ne soit jamais plus abusé par
un prêtre dans mon diocèse", a annoncé mercredi le prélat, responsable de
l’archevêché de Boston (...).
Le
prélat a couvert pendant près de 30 ans un prêtre pédophile récidiviste, le
père Paul Shanley, 70 ans, accusé d’agressions sexuelles sur au moins 26
enfants. Mgr Law, l’un des responsables les plus en vue de l’église catholique
américaine, est considéré comme un proche de Jean Paul II. » (Boston
Globe)
Soutenu,
dans un premier temps, par le Pape, Mgr Bernard Law, refuse en août 2002
d’honorer un accord de dédommagement conclu, en mars, avec les victimes,
portant sur 30 millions de dollars. Il l’avait qualifié de non-contraignant.
Maître Garabedian, avocat des victimes, a déclaré que ses clients avaient
finalement décidé d’accepter une indemnisation moins importante « parce
qu’ils voulaient mettre un terme » à l’affaire.
Mais
d’autres révélations éclatent et c’en est trop pour les victimes et les médias
qui réagissent en apprenant que le prélat a couvert pendant des années des
centaines, voire des milliers de prêtres accusés d’actes à caractère
pédocriminel.
Le
13 décembre 2002, le plus haut dignitaire catholique américain, le cardinal Law, archevêque de Boston (Massachusetts)
est contraint à la démission, immédiatement acceptée par le Pape Jean-Paul II.
Plus
tard, son successeur déclarera prier pour la « guérison de
l’Église »... « Et les victimes ? » peut-on se dire.
Cet
acte de contrition publique fait partie de la stratégie de couverture des
crimes sexuels commis par des prêtres et de protection de l’Église en général. Elle
s’inscrit dans une procédure théorisée et définie par le Crimen
Sollicitationis. On devine qu’il s’agit d’endormir la vigilance des médias
tout en laissant croire que l’Église, consciente du problème grave posé par ces
crimes, le prend désormais en charge et consent ainsi à prendre des mesures
appropriées.
Qui
pourrait être dupe quand on sait que le document Crimen Sollicitationis
date de 1962, preuve que l’Église était consciente du problème dès cette époque
et qu’il s’agissait pour elle d’anticiper sur les critiques et les accusations
en imposant à ses prélats des procédures rigoureuses et rusées pour faire face
aux scandales qui ne manqueraient pas de survenir. L’actualité démontre que le
document est toujours en vigueur, pour preuve l’affaire récente du prêtre Joël
Allaz, en Suisse.
Dans
un premier temps, face à des signalements d’abus sexuels, étouffer toute
velléité de déclaration publique par les victimes en les achetant et en les
soumettant éventuellement par chantage (excommunication) ;
Instruire
l’affaire et muter le coupable de sollicitations, éventuellement le soustraire
au regard des médias - c’est ce qui est en cours avec l’affaire du père Joël
Allaz en Suisse ;
Si
l’affaire éclate au grand jour, faire face sans jamais céder sur le fond, se
couler dans ce qu’impose la vox populi ;
Ne
pas hésiter à faire des déclarations de contritions publiques et volontairement
déclarer que, désormais la hiérarchie religieuse prendra des mesures
draconiennes. Et cela n’empêche pas de revenir en arrière si la justice locale
offre des failles exploitables - c’est ce que fit l’archevêque de Boston en
revenant sur les engagements financiers négociés de gré à gré avec les
victimes, ce qui déchaîna les médias qui dévoilèrent alors d’autres affaires.
Si
l’affaire va plus loin, faire face mais ne jamais céder sur le fond - voir plus
loin, en France, l’affaire qui impliqua gravement Mgr Jacques Gaillot, évêque
d’Evreux.
Cette
stratégie est bien analysée par Garry Wills,
L’Église catholique et la
pédophilie, (essai traduit de l’anglais par Paul
Rozenberg, collection « Vu d’Amérique », Éditions Les empêcheurs de
penser en rond, Paris, 2003)
Il affirme : « Dans le cas des abus commis par
des prêtres aux États-Unis, la hiérarchie n’est passée aux aveux ou aux regrets
qu’après y avoir été contrainte par la loi. » L’auteur précise que
« les parents se seraient contentés d’excuses et d’une promesse que le prêtre
prédateur serait maintenu à l’écart des enfants et si certains ont entamé des
poursuites, c’est parce qu’ils ont constaté “qu’on leur avait servi des excuses
minables ou véreuses et que l’engagement à tenir les prêtres en question loin
des enfants n’était pas tenu.” Jusqu’en 2002, il était pratique courante pour
un évêque de muter un prêtre dans une nouvelle paroisse sans informer les
fidèles des errements passés du nouveau curé. »
En Europe et en France
Ces
affaires agissent très lentement comme révélateur en Europe. Elles incitent
progressivement les victimes à sortir du silence, permettent une meilleure
appréhension de l’étendue du problème, et conduisent la hiérarchie de l’Eglise
à anticiper en déclarant adopter des positions fermes sur le sujet. Mais la
justice et les pouvoirs publics n’auront pas d’autre attitude que celle du
suivisme.
Cette
stratégie de l’anticipation de l’Église conduit les évêques
français à rédiger, en novembre 2000, une déclaration dans laquelle ils
s’engagent à collaborer activement à la lutte contre la pédophilie. Cette
déclaration a été suivie de la mise en place d’un Comité consultatif en matière
d’abus sexuels sur mineurs. Sa mission : répondre aux questions des
évêques, émettre des recommandations, attirer l’attention sur les différents
aspects de la lutte contre la pédophilie et notamment les attitudes à adopter
envers les enfants, les familles et les communautés chrétiennes, la formation
initiale des différents acteurs de la pastorale et le contrôle de leurs
activités, le suivi et l’avenir des personnes condamnées. Une brochure a par
ailleurs été rédigée à destination de tous ceux qui ont une responsabilité
éducative dans les mouvements, les services, les aumôneries, les paroisses et
l’enseignement.
En
septembre 2001, la condamnation de l’évêque de Bayeux et de Lisieux, Mgr
Pierre Pican, à 3 mois de prison avec sursis pour non-dénonciation aux
autorités des actes pédophiles commis par un prêtre de son diocèse, est une
première en Europe. Elle tombe très rapidement dans l’oubli.
En
2005, un procès révèle des mécanismes écœurants dans l’instruction d’une
affaire de pédocriminalité impliquant un prêtre d’origine canadienne
Vadeboncoeur.
Durant
l’instruction, les fidèles sont restés silencieux, de nombreux dossiers ont
disparu à l’évêché d’Evreux. Ce qu’a rappelé l’avocat général avant de
s’interroger sur le rôle joué par Mgr Jacques Gaillot, alors évêque d’Evreux.
Celui-ci avait reçu à deux reprises des lettres - de victimes canadiennes -
expliquant le passé judiciaire de Vadeboncoeur (en effet, en 1985, l’église
canadienne l’avait démis de son ministère après qu’il fut condamné déjà à vingt
mois d’emprisonnement pour « grossière indécence, sodomie et agressions
sexuelles sur des adolescents »).
Ce
qui ne convaincra pas Mgr Gaillot de ne pas lui confier de paroisse...
« Il y a ceux qui n’ont rien vu, rien entendu et ceux qui jouent sur les
mots. Bravo à celui qui sait et qui ne dit rien car il n’a pas de preuve. Mais
surtout, mes félicitations à celui qui a pris le cœur léger le risque de livrer
en pâture vos enfants à Denis Vadeboncoeur avec la bénédiction de Dieu »,
a plaidé l’avocate de la victime. Appelé à la barre, Mgr Gaillot
témoigne : « J’ai accepté qu’il soit nommé curé de Lieurey, je le
regrette. »
Au
cours du procès, le représentant de l’Église, Mgr David, successeur de Mgr
Gaillot, feignant d’ignorer où il se trouvait, une Cour de la République
laïque, une et indivisible, affirmera devant le tribunal, qu’« il parle
devant Dieu ». Ce qui obligera la présidente du tribunal à répliquer
aussitôt sur un ton très ferme : « Ici, vous êtes devant une Cour
d’Assises. Je vous demande de retirer cela. »
Dans
le même axe, Mgr Gaillot affirmera plus tard qu’il n’a pas voulu « barrer
la route » à ce prêtre pour lequel il éprouvait « une sorte de solidarité ».
Mercredi
21 septembre 2005, en France, le prêtre a été condamné à 12 ans de réclusion
criminelle par la cour d’assises pour agression sexuelle sur mineur de moins de
15 ans.
Une stratégie calculée
Cette
manière de tenir tête avec aplomb et arrogance à l’ordre de la république ne
découle pas d’une quelconque maladresse de ces prélats rompus aux exercices de
la rhétorique. Elle vise plusieurs cibles. D’abord les fidèles pour signifier
que l’ordre du Pape est transcendant et infaillible, aux laïcs pour leur
rappeler que, jamais, l’Église n’abandonne ses brebis.
En Allemagne
En
mars 2002, un diacre allemand, qui avait été reconnu coupable d’abus sexuels
sur 45 adolescents âgés de 13 à 16 ans, était emprisonné sur décision du
Parquet de Hanovre (nord). Juillet 2002 on apprenait la suspension d’un prêtre
exerçant au diocèse de Mayence (ouest), suite à la plainte d’un adolescent de
14 ans. Devant la multiplication des accusations portées contre des prêtres
pédophiles, l’Église catholique allemande décide de prendre des mesures. Dans
un communiqué publié le 14 juillet 2002 et qui fait suite à un long article de
l’hebdomadaire Der Spiegel, paraissant le lendemain sous le titre Pédophiles
sous la robe de prêtre - Etouffer et muter, le cardinal-archevêque de
Mayence, Karl Lehmann, indique que la conférence des évêques adoptera en
septembre un texte sur la pédophilie au sein de l’Eglise catholique.
Le
plus haut dignitaire religieux catholique allemand se déclare « très
préoccupé » par les cas révélés par Der Spiegel. « Nous allons
vérifier rapidement et intensivement les faits évoqués dans cet article et,
éventuellement, nous ne reculerons pas devant les nécessaires conséquences.
Plus particulièrement me touchent les souffrances endurées par les victimes »,
ajoute-t-il. « Par ailleurs nous devons nous demander, avec un esprit
auto-critique, si nous ne devons pas agir dans ce domaine de manière encore
plus décidée », déclare encore le cardinal, qui souligne être « à
l’unisson avec les demandes du Pape Jean Paul II et la réglementation mise au
point par la conférence des évêques américains ». Les observateurs
remarqueront que, pas un instant, le prélat ne déclarera faire appel à la
justice de son pays car l’Église accepte les lois locales et s’y soumet.
Sources :
Épilogue
Le Vatican était informé, dès 1962, de pratiques
pédocriminelles perpétrées en son sein par des prêtres et des officiers du
culte. Elle prit alors des mesures de préservation sur lesquelles il convient
de s’arrêter car elles sont révélatrices d’attitudes et de mentalités que nous
devons dénoncer.
D’abord, préserver le secret, décrédibiliser les victimes
en exerçant sur elles un chantage, y compris par les parents eux-mêmes. Dans
son livre L’Église catholique et la pédophilie, Garry Wills
donne le témoignage d’enfants battus et sermonnés par leurs parents pour avoir
dénoncé les sévices d’un prêtre.
Ne
jamais consentir, que par la force, à reconnaître une responsabilité quelconque
et encore ne le faire que du bout des lèvres. Telle est la seconde attitude
commune de l’Église.
L’anthropologue
ou le clinicien qui accueillent des victimes de pédocriminels
« domestiques » - ceux qui exercent leurs sévices dans la vie
domestique et durant des temps parfois très longs - n’ignorent pas que cette
stratégie est identique à celle du prédateur lui-même. J’ai donné un descriptif
du mode opératoire de ces bourreaux dans mon étude Inceste,
pédocriminalité, crimes contre l’humanité, éd. Lierre & Coudrier,
Toulouse 2006.
En
dévoilant des stratégies identiques à celle du prédateur, la hiérarchie romaine
dévoile depuis un demi-siècle sa complicité effective dans tous les cas où elle
procède comme elle le fait encore dans l’affaire révélée le 10 janvier 2008 par
La Tribune de Lyon. Elle révèle, dans la durée, sa ténacité, son
arrogance et, surtout, sa détermination à se placer au-dessus de la loi des
hommes en oubliant les fondamentaux du christianisme : protéger les
faibles des puissants. Le prédateur use toujours de sa puissance, voire de sa
notoriété pour fonder et assujettir sa domination et son contrôle sur sa
victime. Les bourreaux, après enquête sont souvent décrits comme des personnes
très dévouées, toujours prêtes à rendre service à leur communauté. Ajoutons que
la capacité de séduction, voire d’envoûtement - procès de Denis Vadeboncoeur -
qui leur permettent d’approcher facilement leurs victimes fait partie des
stratagèmes du prédateur pédocriminel.
Dans
un docudrame canadien, Les Garçons de Saint-Vincent, 1993, le
réalisateur John Smith relate les sévices sexuels subis, durant plusieurs
années, par Kevin, un jeune pensionnaire de l’orphelinat Saint-Vincent, de la
part du frère directeur de l’établissement, dont il est le
« préféré ». Comme Kevin, d’autres élèves sont soumis au même régime
de domination. Mais comment se protéger ou se révolter contre de tels abus,
quand, au terrorisme de leur bourreau, vient s’ajouter la conspiration du
silence de la part des autorités tant ecclésiastiques que politiques ?
Telle était la question posée par le réalisateur.
Ce
film fut présenté comme une fiction inspirée en partie d’événements qui se
seraient produits à Terre-Neuve et ailleurs au Canada. Il souleva l’indignation
de la hiérarchie romaine et des édiles proches mais il permit au Canada de
prendre conscience du réel problème que la pédocriminalité domestique pouvait
présenter.
L’Europe
n’a pas, semble-t-il, pris conscience de l’ampleur des dégâts causés pas ces
pratiques et quand il s’agit de les dénoncer, il faut élargir la vigilance à
tous les milieux où des enfants sont soumis à une règle ou une discipline
imposées par des adultes. L’Éducation Nationale est concernée en premier lieu
et on sait combien il est difficile de poser un signalement d’actes
pédocriminels contre des professeurs ou des instituteurs. Nombre de parents
sont demeurés impuissants face au silence du rectorat ou du ministère lui-même,
apprenant parfois longtemps après que le prédateur avait été muté dans un autre
établissement.
Voir
notre article sur Sauver l’enfance en danger « Appel
à témoins »
Face
à l’omerta généralisée, y compris celle des médias, il faut surtout
informer les victimes, les soutenir, les rassurer et, chaque fois que possible,
permettre aux familles de bénéficier d’un soutien collectif. Assurer un suivi
judicaire et psychologique s’impose également, mais dans la discrétion.
Rompre
le silence, s’appuyer sur des réseaux de soutien, c’est, dans un premier temps,
la voie qui permettra à d’autres victimes demeurées silencieuses, de rompre le
mur du silence. C’est, de la part des défenseurs des enfants, la nécessité
d’accumuler des témoignages pour, le temps venu, les porter à la connaissance
du public. La dénonciation au cas par cas court, chaque fois, le risque de
noyade sous les cascades d’une actualité dominée par le sensationnel. Or les
victimes ne peuvent pas être ainsi instrumentalisées comme ce fut le cas pour
un fait récent en France (le petit Emi - affaire Evrard). Il y a là une
indécence que le défenseur de l’enfance ne peut soutenir.
La
victime a besoin d’être écoutée, comprise, soutenue et reconnue par la
collectivité, devenir la vedette provisoire d’une actualité qui la couvrira de
compassion durant un court instant est une indignité qui ne peut que la blesser
d’avantage. L’instrumentalisation c’est cela, rendre l’autre objet.
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