Le big bang, mythe ou théorie scientifique ?
A notre époque où les prêtres du GIEC s’occupent du salut de la terre et donc des fins dernières de notre planète, d’autres scientifiques prennent soin de raconter les origines de l’univers en prenant appui sur des observations et quelques fondamentaux théoriques piochés dans diverses spécialités, cosmologie, physique des particules, etc. Peu à peu la théorie du big bang s’est imposée et a fini par devenir le récit « officiel » de la création de l’univers. Dans l’empire romain les gens instruits croyaient à la légende de Remus et Romulus. Dans notre empire technocosmique, les gens instruits par la science occidentale sont persuadés que l’univers a une histoire vieille de quelques 13 milliards d’années et que sa formation est issue d’une expansion à partir d’une singularité produite avec une violence inouïe. Pour en arriver à construire cette théorie du big bang, il a fallu plusieurs étapes, avec des discussions serrées, des controverses et des résultats expérimentaux tombant au fur et à mesure que les télescopes livraient les images du fond du ciel ainsi que des galaxies avec des limites sans cesse repoussées. Quarante années, c’est ce qui sépare les premières spéculations sur une origine singulière de l’univers et le consensus adopté par une majorité de scientifiques à la fin des années 1960.
Si le big bang décrit l’évolution de l’univers depuis quelques 13 milliards d’années, le big bang est aussi une théorie contemporaine dont l’histoire, étalée sur quelques dizaines d’années, nous est racontée par Thomas Lepeltier, philosophe des sciences et chercheur indépendant. Un récit portant sur un processus scientifique suppose un choix herméneutique. L’auteur peut opter pour une narration des faits en toute neutralité, auquel cas le lecteur aura devant les yeux une série de faits, les uns expérimentaux, les autres de nature épistémique, offrant une histoire parsemée de doute, de résultats, de débats et de conclusion. A l’inverse, il est possible de choisir une option critique, auquel cas l’auteur présentera les événements sous un angle problématique, laissant apparaître des failles, des choix arbitraires effectués par les scientifiques, des contradictions et parfois même quelques écarts face aux règles de la science. C’est cette seconde option qu’a choisie Lepeltier pour raconter une histoire en livrant une opinion personnelle et raisonnée sur le « caractère pas très scientifique » de cette construction théorique présentée comme rigoureuse et infaillible par les cosmologistes relayés par les médias de masse. Pour Lepeltier, le big bang a plus en commun avec un mythe qu’avec une théorie scientifique ordinaire comme peut l’être la loi de gravitation élaborée par Newton (Thomas Lepeltier, La face cachée de l’univers, Le Seuil, 2014)
Alors, le big bang pourrait être un mythe se demande le lecteur après avoir parcouru ce livre sur la face cachée de la cosmologie. Oui mais alors, si le big bang est écarté, quel seraient les conceptions alternatives de l’univers et ont-elle été envisagées par les scientifique ? La réponse est affirmative. Le grand modèle concurrent du big bang est l’univers stationnaire. L’intérêt du récit habilement ficelé par Lepeltier est de nous amener vers une vérité cachée sur l’élaboration de la théorie du big bang qui s’est progressivement affirmée face à la théorie stationnaire, mais sur la base de choix non scientifiques, c’est-à-dire (rayez les mentions inutiles), un choix esthétique, idéologique, théologique. Les cosmologistes ont manifestement cherché à favoriser un modèle d’univers contre un autre, en usant parfois de méthodes en trompe-l’œil où les faits qui collent au modèle sont mis en avant alors que les faits contradictoires sont mis de côté. Comme si dans ce jeu où l’on pousse la partie vers un but, celui du big bang, quelques phases de « match » étaient carrément hors-jeu, sans qu’un arbitre ne vienne siffler les fautes. Le récit de Lepeltier joue en quelque sorte le rôle d’un arbitrage vidéo. Il remonte dans le temps et nous fait voir quelles ont été les phases du jeu scientifique, les tacles, les hors jeux, les mauvais coups. Y compris les choix institutionnels en matière de recherche avec la mise à l’écart de programmes pouvant appuyer le modèle stationnaire.
Cette histoire s’est déroulée en trois étapes, avec si l’on veut une première mi-temps incertaine où les astrophysiciens se cherchaient tout en observant l’univers, ayant à leur disposition les équations d’Einstein, sorte de table de la loi présidant à l’élaboration des modèles, puis les observations des satellites et cette énigme de Hubble sur le décalage spectral des rayonnements rapidement interprété comme un signe d’expansion de l’univers alors que Hubble fut célébré comme un Copernic de la cosmologie contemporaine. A cela s’ajoute l’homogénéité, laquelle sert de prétexte pour privilégier des modèles avec symétrie. L’homogénéité est dénuée de fondement empirique comme le suggérait Zwicky qui trouvait que les cosmologistes abusent des hypothèses ad hoc comme peut l’être cette homogénéité de l’univers. Les Eddington, Gamow, Lemaître et autres physiciens se demandaient alors s’il fallait opter pour un univers stationnaire ou bien en expansion, comme cela fut suggéré par Lemaître en 1927, avant qu’il ne propose la thèse de l’œuf primordial. Par la suite, l’expansion fut adoptée et considéré comme un fait scientifique alors que c’était auparavant une hypothèse. Entre 1930 et 1960, quelques arguments ont servi d’appui et notamment les datations de la terre effectuées avec l’étude des isotopes radioactifs. La terre s’est trouvée vieille de 5 milliards d’années. Alors que les premières estimations pour l’univers donnaient un âge inférieur, ce qui était contradictoire mais plus la science avançait, plus l’âge de l’univers s’accroissait pour frôler les 14 milliards d’années. D’autres arguments sur la formation des éléments chimiques ont été utilisés pour appuyer la thèse de la soupe originelle avec ses colossales énergies permettant de produire tout, ce qui arrange les partisans de la quête d’une théorie du Tout alors qu’à l’inverse, le regard philosophique fait douter sur la légitimité à vouloir traiter l’univers comme un unique objet de science. Constat affirmé par le physicien Whitrow en 1954.
La seconde mi-temps de ce jeu cosmologique a consacré la domination du terrain par les tenants du big bang alors que les adversaires ont baissé la garde ou alors on tenté de résister, comme Hoyle ou Bondi, mais avec le sentiment de rencontrer en face des oppositions puissantes. Tout s’est passé comme si la communauté scientifique avait agrandit les cages pour que l’équipe du big bang marque les buts alors que les cages adverses de l’équipe stationnaire étaient rétrécies. C’est cette image qui se dessine suite à la lecture du second chapitre de l’ouvrage publié par Lepeltier qui laisse transparaître des phases de jeu contestables. Et des actions décisives, comme la détection du rayonnement « fossile » de 3K vite interprété en 1965 par Penzias et Wilson comme un rayonnement de type corps noir, compatible donc avec le big bang. Les intéressés ont vite crié victoire, malgré la nécessité d’effectuer des observations supplémentaires. Penzias et Wilson reçurent en 1978 le Nobel pour cette découverte interprétée comme l’une des plus importantes du 20ème siècle. Pendant cette période, les partisans du modèle stationnaire durent adopter une position de retrait et firent face à de nombreuses difficultés. Le cas du physicien Arp est édifiant. En désaccord avec ses confrères, cet astrophysicien se vit interdire l’accès à l’observatoire du mont Palomar. Puis il fut écarté des revues scientifiques. Ces années 1970 ont vu la partie s’achever et les tenants du big bang sifflèrent la fin de partie lors de congrès et autres déclarations, à la fois dans les laboratoires et les médias de masse. Il fallait bien que le grand public puisse être au courant de cette victoire de la science. Alors que quelques dissidences se firent jour. Alfvén, spécialiste en physique des plasmas et nobélisé considéra le big bang comme un mythe des temps modernes.
Après 1980, on peut penser qu’une troisième mi-temps s’est déroulée, entre enivrement et fascination pour cette théorie devenue populaire sans que l’on sache pourquoi si ce n’est son apparence simplicité et surtout l’idée qu’elle véhicule ; celle d’une unicité puisque l’univers est issu d’un œuf primordial. Faut-il y voir un désir de bulle ? Il n’y a franchement rien d’esthétique dans cette explosion originelle. Néanmoins, le doute persistait et pour faire coller la théorie avec les faits, des ajouts furent proposés et notamment la fameuse théorie de l’inflation censé combler les déficiences des premiers modèles. Mais en science, comme l’avait établi Popper, on ne peut jamais siffler la fin de la partie car les faits s’accumulent, surtout grâce aux progrès des outils d’observation, si bien que toute théorie peut être invalidée si le contexte s’y prête. Pour rendre consistant le lien entre théorie et faits empiriques, les physiciens n’hésitent pas à inventer des hypothèses supplémentaires. Un coup de matière noire et voilà l’énigmatique comportement des galaxies résolu. Un autre coup d’énergie noire et l’on explique l’accélération imprévue de l’expansion de l’univers. Pour les physiciens, il est hors de question de revenir sur le big bang. Une théorie dont on peut se demander si elle n’est pas plutôt un mythe que les scientifiques vulgarisateurs présentent parfois comme une théorie rationnelle et fondée, après avoir mentionné les mythes de l’Antiquité pour bien marquer la supériorité de la science occidentale. Et s’affirmer comme les tenants d’une vérité et les gardiens d’une vérité qui maintenant, ressemble plus à un dogme, à l’instar de la trinité chrétienne. Les physiciens sont les héros et les prêtres au service de cette nouvelle croyance, conclut Lepeltier dans son ouvrage impertinent.
Cette conclusion est dérangeante. On devine que l’auteur ne va pas se faire que des amis. Mais la vérité est au-delà des affinités électives. Ironiser sur les clercs du big bang permet de forcer le trait mais ne sert pas forcément le fond de cet essai dont l’intérêt manifeste est de montrer l’arbitraire ayant conduit les astrophysiciens et autres cosmologistes à opter pour un choix théorique contre un autre. Ce récit nous ramène à une évidence souvent occultée que je vais expliciter en quelques lignes. La science n’est pas ce produit « rationnellement pur » qu’on veut nous présenter. Elle est « contaminée » par des ressorts anthropologiques qui nous rappelant que la science est faite par les hommes. « Errare humanum est » énonce une célèbre formule. Le choix du big bang repose certainement sur de multiples ressorts. On peut trouver plusieurs explications d’ordre humain. Croyance religieuse, préférence idéologique, esthétique… Mais aussi un ressort épistémologique lié à un contexte moderne conduisant à prendre l’univers comme un objet. Les cosmologistes se sont enivrés de l’équation d’Einstein. Il y a aussi un contexte occidental, marqué par la Genèse et la flèche du temps. Contexte absent en Chine par exemple. On évoquera enfin le besoin de créer une sorte de bulle consensuelle liée à une doctrine officielle permettant de souder une communauté, celle des physiciens du cosmos. L’affectif joue son rôle. Se ranger du côté de la majorité confère un sentiment de sécurité. Verdict final : si on peut maintenir penser que la théorie du big bang est erronée, il ne fait aucun doute que l’histoire de cette théorie nous instruit sur le fonctionnement d’une communauté scientifique et la nature de l’homme.
Il se peut bien que la théorie du big bang soit abandonnée d’ici un demi-siècle, comme ce fut le cas des épicycles de Ptolémée pendant la naissance de la science moderne après Copernic et Kepler. En plein milieu du 17ème siècle, alors que Descartes avait déjà publié sa méthode, Luca Giordano peignait deux tableaux que l’on peut admirer au musée des beaux arts à Bordeaux. La « dispute des philosophes » et la « dispute des théologiens ». Les premiers jouant du verbe et les seconds s’appuyant sur des écrits. Alors que la science moderne semble s’achever, peut-être pourrions-nous imaginer une « dispute des scientifiques » croqués alors qu’ils se penchent sur des photos de galaxies et des équations cosmologiques.
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