Pour « un peu moins de CO2 » faut-il être pro nucléaire ?
Un argument fréquemment avancé, " une centrale nucléaire n’émet que très peu de CO2 ", peut-il à lui seul justifier que nous décidions de construire de nouvelles centrales ?
Ainsi lit-on : "Je serai complètement anti-nucléaire quand nous serons complètement sortis, à l’échelle mondiale, des énergies fossiles. Ce n’est vraiment pas le cas aujourd’hui" dans un article publié sur "Objectif Terre".
Certes il est plus qu’urgent de réduire, et de façon considérable, nos émissions de gaz à effet de serre et les constats sur la réalité du réchauffement climatique se font chaque jour de plus en plus nombreux et alarmants.
Voir par exemple : "Le plus noir des scénarios climatiques se profile"
Evoquer " changements climatiques " et " réchauffement global " aujourd’hui n’a plus la même signification qu’il y a seulement 5 ans : des anglo-saxons commencent à parler de " climate breakdown ".
Si " breakdown " peut signifier " panne ", " to break down " est également en anglais " se décomposer " : c’est probablement à une véritable décomposition du climat que nous allons assister.
Il y a 5 ans nous pensions que :
- l’Antarctique ne serait pas affecté avant très longtemps par l’évolution du climat
- la calotte groenlandaise y serait assez insensible
- le permafrost des régions nordiques " pourrait relâcher un jour " le méthane qu’il contient en masse
- la banquise arctique pourrait disparaître vers 2050
- ...
Aujourd’hui nous constatons que :
- l’Antarctique se réchauffe vite et de façon importante
- la calotte du Groenland fond et glisse à une vitesse assez surprenante vers l’océan
- les teneurs en méthane dans l’air des régions arctiques augmentent terriblement vite
- la banquise arctique a peu de chances d’exister vraiment après 2015 – 2020
- ....
Examinons donc une fois de plus cette " solution nucléaire ", ses bases et conséquences, en nous basons sur cet " EPR " que la France voudrait vendre de par le monde.
Quelques données sur le " European Pressurized Reactor "
Un tel réacteur n’existerait pas si nous ne disposions pas d’éléments naturels fissiles, que l’on va chercher dans le sous sol où ils se trouvent sous forme diffuse : il faut donc extraire et concentrer, purifier afin d’obtenir le combustible nucléaire.
Des mines d’uranium ont été actives en France, laissant derrière elles des " stériles " émetteurs de plus ou moins de rayonnements dangereux pour la santé de toute espèce vivante : l’extraction de matériaux fissiles est, comme toute activité minière, polluante.
Elle l’est d’autant plus que peu de précautions sont prises afin qu’elle ne le soit que de façon la plus minime possible : c’est la situation que nous avons connue en France pendant quelques dizaine d’années, c’est la situation qui existe actuellement en divers points du globe et notamment au Niger où l’opérateur Français, Areva, exploite plusieurs sites d’extraction.
Ceci au prix de conflits avec les populations locales, de pollutions diverses et d’épuisement de nappes phréatiques fossiles...
Ce qui se passe aujourd’hui au Niger, même si cela est assez peu connu et ne fait pas la " une " des journaux télévisés, est-il vraiment admissible ?
Voir à ce sujet " Notre nucléaire, au mépris de l’humanité et de l’environnement... "
" NIGER • Areva bâtit son royaume au cœur du désert "
" Bulletin d’information n°7 de janvier-février 2009 - NOUVELLES DES POPULATIONS DU NORD NIGER "
" Pollution radioactive au Niger. La face cachée du nucléaire suisse "
" URANIUM/EXTENSION DES CARRIÈRES À ARLIT La société civile locale dénonce des manquements "
" Les mines d’uranium d’AREVA au Niger et au Gabon "
Une fois extraits, purifiés, conditionnés... ces produits de l’industrie minières deviennent des " combustibles " qui dégageront, en un temps très bref, une énergie thermique que leur dégradation naturelle aurait libérée sur de très longues périodes.
Les mécanismes naturels de dégradation nucléaire produisent donc de la chaleur diffuse dans la croûte terrestre à un rythme très lent, variable selon les éléments considérés.
Un " EPR " qui nous fournira 1600 MW électriques a une puissance thermique d’environ 4500 MW : c’est d’abord et avant tout une gigantesque bouilloire qu’il faudra, cycle de Carnot oblige, refroidir afin de récupérer une fraction, environ 35%, de sa puissance totale sous forme d’électricité.
65% de la chaleur produite est a priori perdue car elle est devenue une chaleur de basse température incapable de fournir un travail mécanique : au mieux on en utilisera une fraction pour chauffer quelques bâtiments ou quelques serres en hiver, quelques bassins d’engraissement de poissons...
L’excédent de cette chaleur devra être évacué, ce qui pourra se faire dans l’atmosphère via des aéro-réfrigérants, dans les rivières ou en mer.
En cette époque de réchauffement climatique accélérer la désintégration d’éléments naturels afin d’obtenir de l’électricité revient à libérer environ 3 fois plus d’énergie thermique, donc de chaleur, " dans la nature ", une nature qui en fait n’en demande pas tant.
Océans et atmosphère n’ont vraiment aucun besoin qu’on les réchauffe à l’époque actuelle, et cette injection de chaleur doit être qualifiée de " pollution thermique ".
Son rayonnement, de très basse énergie, ne lui laisse aucune chance de franchir l’atmosphère pour se disperser dans l’espace : c’est bien la biosphère que nous réchauffons.
Les problèmes que pose l’évacuation de ces calories ne sont pas anodins et le seront de moins en moins.
Quel que soit le mode d’évacuation adopté, il nécessite l’utilisation de très grandes quantités d’eau : les centrales sont installées le long de fleuves ou sur le littoral, et l’on peut estimer entre 4 et 5 m3 par kWh les besoins en eau d’une centrale.
Nous devons nous souvenir de dérogations demandées par EDF pour rejeter des eaux à des températures supérieures aux normes, lorsque survient une canicule ou lorsqu’une sécheresse diminue le débit des fleuves.
" La sécheresse, conséquence prévisible de la canicule "
" Canicule : Un encadrement strict des conditions d’exploitation des centrales électriques et de leur température de rejet d’eau "
Remémorons-nous que " Le plus noir des scénarios climatiques se profile " (lien en haut de page) et tirons-en cette déduction : l’évolution du climat pourrait bien nous priver de certaines centrales à certaines périodes, ce qui réduirait notablement leur utilité.
Avec une utilité diminuée (ce que l’on sait très probable sans que l’on puisse connaître l’ampleur de la diminution) ces centrales demeureraient-elles vraiment " utiles " ?
Certes nous en avons un certain nombre en bord de mer, qui ne dépendraient donc pas des débits fluviaux, mais elles sont également soumises à quelques aléas ou le seront.
A propos, Blayais a dû mettre à l’arrêt 2 de ses 4 réacteurs, début 2009, à cause de " l’arrivée de débris végétaux issus de la Gironde qui ont bouché les prises d’eau des réacteurs. "
Pour ce qui concerne l’océan les estimations du GIEC sur la montée de ses eaux sont d’ores et déjà revues à une nette hausse et pourraient friser les 2 mètres à la fin de ce siècle.
Un site pour visualiser les variations océaniques
Aujourd’hui les prévisions établies il y a quelques années sur les effets du réchauffement global apparaissent comme largement dépassées, et l’on établit donc de nouveaux pronostics basés sur de nouvelles observations et de nouveaux calculs.
Il semblerait bien imprudent de tenir pour des certitudes ces estimations : à combien devrons-nous les réévaluer dans quelques années, et à quelle altitude faudra-t-il percher nos réacteurs nucléaires littoraux pour qu’ils soient assez longtemps épargnés par les vagues ?
Cette inéluctable montée des eaux sera probablement conjuguée à des manifestations climatiques susceptibles de maltraiter durement nos sociétés : comment absorberons-nous ces chocs, ne pourront-ils pas être la cause de désorganisations profondes, qui seraient des obstacles à une gestion correcte de certaines installations ?
Si la " Montagne du Roule " qui domine Cherbourg culmine à un peu plus de 100 mètres les terres basses de la presqu’île forment une langue de terre marécageuse à très faible altitude que la mer ne tarderait pas à envahir, créant peut-être quelques difficultés pour le transports de " colis " vers notre usine de retraitement de La Hague, pour ne citer qu’un exemple.
On redoute aujourd’hui en Californie des phénomènes qui pourraient se produire ici aussi, vases communicants obligent : " California panel urges ’immediate action’ to protect against rising sea levels "
Comme l’Australie méridionale la Californie est depuis quelques années affectée par une sécheresse inhabituelle, et l’on s’aperçoit que l’Amazonie devient de moins en moins humide : " L’Amazonie, un puits de carbone menacé par la sécheresse "
Quel rapport, se demandera-t-on, avec " nos " centrales ?
Juste pour nous faire penser que si nous ne subissons pas, jusqu’à maintenant dans l’Ouest de l’Europe, des phénomènes d’une vigueur qui nous les rendraient inquiétants ce n’est peut-être que partie remise.
Notamment le régime transatlantique des vents entre Amérique et Afrique pourrait être bouleversé pas la sécheresse amazonienne, ce qui aurait probablement des conséquences mondiales : nous ignorons totalement à quelle sauce le réchauffement global nous cuira !
Et nous commencerons à mijoter bien avant qu’il nous faille démanteler des " EPR " en fin de vie : ils sont annoncés pour 60 ans de service.
Qu’est-il prévu s’il fallait dans l’urgence mettre à l’arrêt quelques centrales puis les démanteler bien plus tôt que ce que nous prévoyons aujourd’hui, pour motif de changement climatique (à propos, combien de temps la centrale de Brennilis, à l’arrêt, attendra-t-elle encore son démantèlement ?) ?
Rien probablement, tout comme rien n’est à ce jour prévu pour faire face à un accident nucléaire majeur !
" Nucléaire : la France est-elle bien protégée ? "
Nous ne disposons d’aucun plan de gestion d’un accident nucléaire majeur, c’est tout à fait officiel, mais comment affronterions-nous des urgences nouvelles et inattendues ?
Avec quels dispositifs, quels moyens ?
Ne faudrait-il pas provisionner dès maintenant certaines sommes (probablement considérables...) destinées à faire face à des dangers nouveaux, par un prélèvement de quelques centimes par kWh sur les revenus de nos fournisseurs d’électricité nucléaire ?
Personne ne peut être certain que le pire se produira, mais personne ne peut garantir qu’il ne se produira pas et, entre les deux, il faut prévoir un système de sécurisation et d’assurance : il semble faire sérieusement défaut.
Il y a actuellement en France une soixantaine de réacteurs nucléaires qui pourraient être source de graves problèmes si les conditions devenaient contraires.
Tous les réacteurs du monde sont d’ailleurs soumis à des incertitudes du même ordre.
20% de rendement supplémentaire pour les éoliennes
A l’heure où l’on espère mettre en oeuvre une forme de développement " durable ", ce qui est une tâche de très grande difficulté, envisager la multiplication des centrales nucléaires me semble être une des meilleures façons de faire du " durable " qui aurait éventuellement de très bonnes chances de devenir de l’intenable, du périlleux au delà du raisonnable, de l’insupportable pour de très longues périodes...
D’ailleurs pour ce qui concerne les très longues périodes la question des déchets nucléaire n’est pas résolue : il faut stocker des quantités non négligeables de produits dangereux pour des milliers d’années sans que l’on puisse savoir si les méthodes de stockage employées seront efficace à long terme...
Notamment la question d’un confinement durable n’est absolument pas résolue, ce qui signifie qu’un stockage au départ très bien localisé pourrait devenir la source d’une dispersion incontrôlée d’éléments radioactifs...
" L’insoluble équation des déchets nucléaires "
" Obama met un coup d’arrêt au projet de stockage nucléaire de la Yucca Mountain "
" Déchets nucléaires à Bugley : EDF doit revoir sa copie "
" EPR : Inquiétude autour de la radioactivité des déchets "
En fait il faut nous rendre à l’évidence : le nucléaire est une filière particulièrement riche en incertitudes qui portent sur des dangers à des niveaux aussi élevés que divers.
Danger implique coûts : coûts sur les assurances et coûts d’éventuelles réparations des dommages.
On voit dans " Nucléaire : la France est-elle bien protégée ? " qu’il serait grandement préférable qu’un accident nucléaire majeur n’ait pas lieu car il produirait probablement une somme de dommages à peu près impossible à indemniser, les assurances n’en couvrant qu’une très faible portion.
A ce chapitre des coûts et de l’utilité de construire de nouvelles centrales nucléaires une controverse s’est développée il y a peu, initiée par une association " Sauvons le Climat ", sur la base d’un article (" Tout électrique, tout nucléaire, tout effet de serre ? ") qui avançait que plus de centrales nucléaires pourrait conduire à un prix de l’électricité plus élevé (...payer 20 ct d’euro le kWh d’électricité pour se chauffer c’est l’équivalent de payer le fioul de sa chaudière sur la base d’un pétrole à 300 $ le baril ! ").
Il sera intéressant de lire " Réponse à “Sauvons le nucléaire” "
En résumé, le nucléaire devrait et pourrait coûter beaucoup plus que ce que l’on suppose qu’il coûte, car en effet il est désormais impossible d’en évaluer de façon fiable la facture, les différentes évaluations se gonflant au fil du temps les données de base sont devenues inaccessibles...
Il n’est pas nouveau que la question se pose : " cout d’electricite nucleaire " la " Proposition de résolution de M. Michel BARNIER tendant a la creation d’une commission d’enquete sur le cout de l’electricite d’origine nucleaire " a été rejetée.
Ceci dans le cadre d’une stabilité climatique et économique (" Voici l’analyse graphique de l’action AREVA CI au 15/03/2009 ") telles que nous en avons connues, et qui sont désormais très nettement remises en cause.
Enfin il faut un délai d’au moins 7 ans (lorsque tout se passe " comme prévu ") entre la prise de décision de construire une centrale nucléaire et le moment où elle entrera en service.
Or nous assistons depuis quelques années à une effervescence, qui ne semble pas en voie de se tarir en dépit de la crise économique et financière actuelle, dans le domaine des énergies renouvelables (desquelles j’exclus le nucléaire, dépendant d’une ressource fossile) qui est en voie de remodeler en profondeur le paysage énergétique.
Energie marine, éolienne, solaire... prennent une réalité que nous n’aurions peut-être pas imaginée de cette ampleur il y a 7 ans.
Est-il vraiment raisonnable d’opter pour un mode de production d’électricité qui s’avère potentiellement le plus dangereux à tous points de vue, aux coûts cachés qui pourraient nous réserver de fort mauvaises surprises et qui pourrait nous apparaître demain, dans plus ou moins 7 ans, comme l’un de ces mauvais choix dont il faudrait encore longtemps payer le prix ?
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