Une nouvelle théorie scientifique de l’évolution de la lignée humaine
Si la voie explorée par Anne Dambricourt Malassé, pour expliquer l’évolution des espèces, semble séduire le grand public, elle suscite en revanche la méfiance de scientifiques, réfractaires à une théorie qui remet en cause l’hypothèse néo-darwinienne de l’origine de la bipédie permanente, et de son évolution, qui a donné notre mode de locomotion.
Pour la paléoanthropologue, le processus d’hominisation se situe d’abord "à l’intérieur, dans l’histoire de notre génome" et n’est pas induit -comme dans l’hypothèse de l’adaptation à la savane- par le climat.
L’objet du litige est un os situé à la base du crâne, en arrière des fosses nasales : l’os sphénoïde.
Un petit os, dont, hier encore, le commun des mortels non scientifique
ignorait vraisemblablement jusqu’à l’existence... Explications d’Anne
Dambricourt Malassé.
Véronique Anger : Votre hypothèse de l’évolution humaine
attribue un rôle fondamental au phénomène de flexion de l’os sphénoïde
dans l’évolution humaine avec, par voie de conséquence, un rôle moins
important attribué au milieu et au hasard. Pouvez-vous expliquer -avec
des mots simples- ce que cela signifie ?
Anne Dambricourt Malassé : Il ne s’agit pas d’hypothèses, mais de découvertes
(qui remontent à ma thèse de 1987) publiées à l’Académie des sciences
en 1988 et, à nouveau, dans la revue de l’Académie des sciences Paléovol (2006) après publication dans des revues spécialisées.
Je
n’ai pas travaillé sur le sphénoïde, et il ne peut pas être étudié
seul, il implique tous les os autour de lui, y compris la colonne
cervicale, et surtout les membranes qui descendent jusqu’au sacrum. Je
travaille depuis plus de vingt ans sur la sphère basi-cranio-faciale,
la mandibule, puis la base. (Tous les os de la base du crâne sont
considérés). Je suis remontée alors au sphénoïde en découvrant son rôle
central. Ceci est connu des ostéopathes et kinésithérapeutes.
Je
suis remontée à l’origine de ses changements de forme. Il est plat chez
tous les embryons de mammifères. Chez nous également, mais il tourne
sur lui-même au terme de la période embryonnaire (sept semaines après
la fécondation chez l’homme). Cela s’explique par des contraintes
locales dues à l’enroulement du tube neural sus-jacent (le futur
cerveau).
Ce mouvement de rotation du sphénoïde(1) s’observe
chez les premiers primates, il y a environ cinquante cinq millions
d’années. Il est de faible amplitude. Le processus embryonnaire est
mémorisé dans l’ADN évidemment, il est transmis par la mémoire
génétique du développement. Par ailleurs, l’évolution est irréversible
(loi dite de Dollo(2)). Dans ce cas particulier, l’évolution ne
peut se traduire que par une augmentation de la rotation du couple "
tube neural sphénoïde ". L’évolution, dans ce cas de figure, est
nécessairement celle de l’information génétique correspondant à
l’amplitude de rotation. L’os ne peut donc en aucun cas demeurer plat
(ce qui donnerait alors des monstres avortés).
En revanche, si
l’amplitude ne change pas, il n’y a pas d’évolution. Ce sont des
espèces qui dérivent les unes des autres avec cette même embryogenèse.
C’est d’ailleurs ce que l’on constate : les espèces actuelles de
prosimiens (comme les lémurs de Madagascar) ont la même amplitude que
les espèces fossiles. Après vingt millions d’années -au cours de cette
période, aucun changement d’amplitude, aucune corrélation n’ont été
observés- apparaissent des espèces possédant une base plus raccourcie,
plus fléchie. Ce sont les singes (les macaques, par exemple). Puisque
l’évolution existe irréversiblement, cette information va encore
évoluer. Il arrive nécessairement un seuil où le phénomène de rotation
correspond à un tel raccourcissement de la base -c’est-à-dire à un tel
degré de rotation ou de gain de verticalité (qui se distribue de la
face au sacrum)- que celle-ci est visible après la naissance et impose
au corps de l’enfant, une locomotion au sol, autour d’un axe du corps "
verticalisé ". Ainsi apparaissent les premiers hominidés ou bipèdes
permanents (de l’enfant à l’adulte).
On pensait que la cause de
cette locomotion était post-natale et, encore récemment, on croyait
qu’elle était due au développement fœtal du cerveau. Il faut chercher
une cause plus précoce encore, un processus qui participe du
développement des organes et du squelette comme de la complexité
croissante du cerveau, elle est embryonnaire.
Le milieu n’est donc
pas à l’origine de cette dynamique interne propre aux tissus
embryonnaires, ni à la répétition de cette évolution. L’embryon du
chimpanzé ne passe évidemment pas par un stade de prosimien puis de
singe. On constate une réorganisation interne selon des contraintes, ou
logiques, internes. Tous ces termes sont couramment utilisés en
biologie intégrative, discipline familière des systèmes dynamiques
intégrés auto-organisés.
Pour résumer, depuis le début de ma
recherche (1987-1988) il a toujours été question d’unité
céphalo-caudale (tête bassin) de l’embryon et des gènes précoces du
développement. J’ai pu observer que cette dynamique de rotation
évoluait toujours dans le même sens, et j’en ai conclu à l’existence
d’un processus de mémorisation des mutations et de réactualisation. Ces
mutations sont donc engrammées(3) ou intégrées (et non pas
programmées). Le milieu est important bien sûr, mais il n’est pas à
l’origine de la complexité croissante du système nerveux central, ni de
nos capacités de réflexion consciente. Encore moins, à l’origine de la
réitération d’un mécanisme embryonnaire qui intègre les effets passés.
L’origine du déclenchement de cette évolution interne est à mon sens le hasard, le second principe de la thermodynamique(4),
c’est-à-dire le désordre spontané qui menace tout état d’équilibre.
Face à l’entropie, les systèmes ont des mécanismes de réparation,
acquis par "apprentissage " (autopoïèse). Ceux qui ont cette mémoire
évoluent et se reproduisent. Les autres disparaissent. La mémorisation
et l’origine de l’information sont encore inconnues.
Les branches
les plus avancées en chimie ont intégré la mécanique quantique, qui
permet de prendre en considération des potentialités d’informations non
actualisées (dites " virtuelles ") et canalisent les potentialités
futures à chaque actualisation.
Ces découvertes ont des
implications médicales importantes en orthopédie dento-maxillo-faciale.
D’ailleurs, j’ai essayé de financer ma recherche -qui a un coût élevé
(des téléradiographies dans les trois plans)- en sensibilisant la
communauté à ces questions de santé publique. C’est l’origine de la
publication d’un article de neuf pages, en 1996, dans une revue de
grande vulgarisation (La Recherche)
et à l’origine du documentaire de Thomas Johnson, diffusé le 29 octobre
dernier, sur Arte :" Homo sapiens : une nouvelle histoire"(5).
VA : Il est toujours difficile pour le néophyte de s’y
retrouver dans une bataille d’experts ! Êtes-vous en mesure aujourd’hui
de démontrer scientifiquement la réalité de votre théorie ? Avez-vous progressé dans vos recherches ?
ADM : La question de l’interprétation a toujours été scientifique. Comme je vous le disais, elle est publiée dans Les actes de l’Académie des sciences. Il s’agit de trois découvertes majeures :
- La relation entre la face et le sphénoïde (encore niée en 1990)
- L’origine embryonnaire de sa rotation
- Enfin, le caractère reproductible de son évolution.
Il
appartient donc aux contradicteurs de démontrer que ce constat est
inexact en reprenant l’intégralité des fossiles et, ensuite, en
démontrant comment le climat contrôle le développement de l’embryon.
Jusqu’à
présent, ce n’est pas ce que conclut la génétique du développement. Par
ailleurs, très peu de chercheurs se sont penchés sur le sujet, car il
est particulièrement onéreux, complexe et peu valorisant pour quelqu’un
désireux de publier vite et facilement. De plus, il inquiète, car
il touche à des mécanismes d’organisation interne logiques.
La
paléontologie est encore trop éloignée de la science de la complexité,
des systèmes dynamiques déterministes, de leur modélisation. Dans ce
contexte, toute logique interne est impensable, faute de quoi elle
connote immédiatement le vitalisme, la recherche d’un plan divin, d’un
programme intelligent, etc.
Quant à la sélection naturelle, elle est
évidente quand on traite d’embryogenèse. Plus de cinquante pour cent
des fécondations avortent spontanément chez la femme. Les malformations
que j’ai étudiées aident également à comprendre la logique de
construction naturelle du crâne, alors que l’embryogenèse ne s’est pas
développée.
VA : Si votre théorie semble séduire une partie du grand public,
en revanche, elle suscite la controverse -voire une certaine
agressivité- de la part de certains de vos confrères réfractaires à une
explication contredisant l’hypothèse néo-darwinienne de l’adaptation au milieu...
ADM :On
cherche des présupposés religieux (nécessairement coupables) dans ma
théorie, sans même s’être documenté sur ma position à cet égard.
Pourtant, j’ai écrit et décrit depuis longtemps quel avait été mon
ressentiment à l’égard de ma propre religion, le catholicisme. J’étais
agnostique en 1987. Je ne risquais donc pas de chercher un quelconque
plan divin... Que j’aie pu découvrir une logique interne, un processus,
cela n’a en aucune manière touché ma conscience à propos de l’évidence
d’un plan divin ou d’un Créateur. D’ailleurs, cela ne m’intéressait pas.
En
1988, au moment où je me suis exprimée sur ma conception de la
révélation du sens de sa vie propre -à savoir qu’elle se vit de
personne à personne- j’ai vécu un drame personnel. Je suis devenue plus
hostile encore à ma religion. J’étais toujours profondément athée, ce
qui me permet de prendre du recul vis-à-vis de ces procès d’intention
sans fondement.
Pour autant, être athée ne signifie pas renoncer à
ce fil conducteur qui est le mien : le sens de ma vie se trouve dans
l’altérité, et non dans l’objectivité. Il se révèle dans les
expériences personnelles, et d’Être à Être. Je pense que la source de
conflit naît souvent d’une incapacité d’écoute et de compréhension,
associée à un ego surdimensionné.
Découvrir me passionne. Découvrir
que je m’inscris dans une logique interne ou un processus de complexité
croissante n’a rien changé à mon athéisme, la réalité d’une
transcendance dans ma vie personnelle n’a de sens que dans l’instant
présent. A contrario des courants émergents aux États-Unis, je
ne cherche pas à éliminer le mystère des origines, je ne connais pas
l’origine du changement de la mémoire génétique entre un grand singe et
un australopithèque. Il faut intégrer la mécanique quantique, cela ne
fait plus de doute pour les spécialistes de cette science. Et c’est au
cœur de cette même science que le mystère demeure authentiquement en
tant que mystère. Bernard d’Espagnat le décrit très bien : le réel qui
nous contient est voilé à notre regard à partir d’un certain niveau
d’approche. Je veux dire par là que nous ne saurons jamais ce qui s’est
passé il y a cinq millions d’années, et qu’il est impossible d’évacuer
le mystère. Ce n’est pas la preuve que Dieu existe, non. C’est le
constat qu’on ne peut exclure le mystère de nos origines et, si le
mystère se vit dans l’instant présent, c’est une ouverture d’esprit qui
ne peut plus être nommée " d’âge infantile de l’humanité".
Entendons
bien que dans notre singularité à tendre vers la nécessité d’une
signification de notre être, il demeure dans les origines de cette
aptitude, un mystère. C’est une conscience réfléchie qui est concernée,
elle émerge d’une logique interne qui se traduit par la verticalisation
de l’axe embryonnaire, un processus qui se démarque de toutes les
autres lignées mammaliennes, et dont l’équilibre locomoteur demande le
développement des capacités de réflexions. Il est impossible de dire la
nécessité d’une verticalisation en termes d’adaptation écologique,
c’est une évolution qui se déroule avec ses contraintes internes, et la
nécessité d’en tenir compte aussi.
VA : A propos de dessein intelligent(6), une
partie de la communauté scientifique vous reproche de faire le jeu des
néo-créationnistes qui auraient -selon elle- trouvé dans votre
hypothèse de puissants arguments en leur faveur. Dans une interview au
journal Le Monde(7) (daté 29/10/05) vous avez déclaré : "Il
n’y a jamais eu de relation entre la religion et les trois découvertes
scientifiques en présence que je développe depuis 1987." et "Je
ne suis pas croyante à cause de cette découverte ou avant cette
découverte. C’est historiquement profondément faux puisque j’étais
distante de toute religion. Je considère qu’il demeure un mystère pour
la conscience face à ses origines.".ADM : La plupart des propos publiés dans Le Monde puis, ces jours-ci, dans Le nouvel observateur,
reflètent bien la méconnaissance des articles scientifiques. Si je ne
fais pas le jeu de l’athéisme, je ne peux que faire le jeu du
créationnisme... Ce mode de raisonnement est classique.
En réalité, pour des motifs idéologiques déjà montrés, mon livre La légende maudite du vingtième siècle,
mon article publié en 1996 et, à présent, le documentaire d’Arte, sont
devenus la cible d’une campagne de discrédit, sans argument objectif,
et faisant intervenir toujours les mêmes détracteurs. Le sous-titre
"L’erreur darwinienne" ainsi que la couverture ont choqué. Ce sont des
contraintes éditoriales classiques, que je ne contrôle pas. En 2006, on
est encore face à du " prêt à penser ", chacun dans son rôle et son
style, avec toujours les mêmes médias jouant le rôle de caisse de
résonance (Science et Vie, Pour la Science…).
VA : À propos de l’évolution humaine, Pierre Teilhard de Chardin(8) pensait que "L’humanité
se rassemble pour rejoindre Dieu, en cet hypothétique point oméga qui
représenterait de facto, et sans tristesse aucune, la fin des temps.". Pensez-vous, comme cet homme que vous admirez, que l’Homme est déterminé et que sa finalité est de rejoindre Dieu ?
ADM :
Vous n’êtes pas sans savoir que Teilhard était reconnu de son vivant
par la communauté internationale comme l’un des grands théoriciens de
l’évolution des mammifères, et qu’il aurait dû enseigner au Collège de
France si son Ordre ne le lui avait déconseillé, au grand dam de la
communauté scientifique. C’est, entre autres, pour remédier à ce vide
aux effets conséquents pour ma génération (et pour les générations futures,
si rien ne change) que le Muséum a accueilli la base de son
enseignement.
Cela ne m’intéresse pas d’utiliser la théorie de
l’évolution pour tenter de prouver la mort de Dieu ou sa naissance...
Mon questionnement est devenu plus philosophique et, plus encore,
éthique. Je ne suis pas déiste, a contrario de Darwin (on oublie de le
rappeler), et encore moins à la recherche d’une gnose. Je veux
comprendre, apprendre, et vivre à travers la découverte, ce qui reste
inconnu de ma propre nature. La capacité gratuite de la découverte est
déjà pour moi quelque chose d’extraordinaire à vivre : un immense
sentiment de liberté.
Au fil du temps, la dialectique scientifique
de Teilhard m’a paru sensée et remarquablement structurée. Ainsi, en
1989 (alors que j’étais véritablement athée) j’ai accepté à 29 ans la
fonction de secrétaire générale de la Fondation Pierre Teilhard de Chardin
qui est hébergée au Muséum et, par là-même, sous la tutelle de l’État.
Elle respecte la laïcité. Cette proposition émane du Professeur Jean Piveteau
(décédé depuis) alors seul spécialiste en paléontologie humaine à
siéger à l’Académie des sciences et président d’honneur de la
Fondation. L’actuel Président est Henry de Lumley, dernier professeur à avoir été le directeur du Muséum.
La
vocation de la fondation n’est pas de développer une anthropologie,
voire une anthropogenèse judéo-chrétienne. Sa vocation est de bien
faire comprendre la pensée de Teilhard et, par conséquent, de sérier
les niveaux de sa réflexion. Concernant la christologie de Teilhard, je
suis bien incompétente pour vous répondre. La christologie relève des
spécialistes de la Compagnie de Jésus(9)
tels que le Père Gustave Martelet sj. Et, s’il faut analyser sa pensée
de ce point de vue, c’est aux pères jésuites compétents, comme le Père
François Euvé, de vous renseigner.
Personnellement, c’est seulement
au titre de docteur du Muséum en paléontologie humaine que je peux
analyser Teilhard " paléontologue théoricien de l’évolution ", qui est
aussi l’auteur d’une science que nous pratiquons depuis, en
paléontologie, la Géobiologie, qui conduit à explorer le terrain et
à réfléchir sur des distances continentales et intercontinentales.
Personnellement, je me rends en Asie centrale et en Inde depuis 1996.
VA : Si l’avenir vous donne raison, votre hypothèse sera
vraisemblablement reconnue comme l’une des plus importantes découvertes
de l’histoire de la paléontologie. N’étant pas moi-même une
scientifique, je ne suis évidemment pas en mesure de porter un jugement
éclairé quant à la justesse de votre théorie. Je me bornerai donc à
constater qu’au XXIe siècle, la plupart des esprits -y compris
l’élite intellectuelle- ne sont pas plus enclins à admettre une
nouvelle vision de l’évolution qu’ils n’étaient, à l’époque de Darwin,
disposés à admettre que l’homme descendait du singe... cette théorie
étant alors considérée comme totalement fantaisiste et scandaleuse.
Il
est amusant d’observer, à près d’un siècle et demi d’intervalle, comment
la "religion" (de la science ou de Dieu) persiste à passionner tout
débat lié à une interprétation nouvelle de l’évolution humaine...
ADM :
Je suis bien de votre avis ! Cela dit, je pense que, petit à petit, les
découvertes en présence seront mieux et plus largement diffusées.
Le
ton s’est aggravé par rapport à 1996 et 1997. Les détracteurs me
prêtent des sympathies avec des thèses pourtant incompatibles avec mes
articles scientifiques. Il n’est écrit nulle part dans mes publications
que l’apparition de notre anatomie est programmée depuis soixante
millions d’années. En outre, je n’ai jamais adhéré à " l’intelligent design " fort débattu aux États-Unis actuellement. C’est incompatible
avec mon engagement à la Fondation Teilhard de Chardin. Aussi
observe-t-on des inventions et des déformations des faits historiques.
Ce fut le cas à propos du documentaire diffusé par Arte. La chaîne a
été honnête ; elle n’a rien caché. De plus, ce film n’a jamais été
soutenu par l’association UIP, qui n’a jamais été la courroie de
transmission du Discovery Institute (Intelligent design). Il s’agit là
d’une calomnie lisible dans la Lettre ouverte de Thomas Johnson, le
réalisateur, accessible sur Hominidés.com due à un groupe de scientifiques du Muséum, survenue après projection de ce documentaire au sein du Grand Etablissement(10) avec la co-production Discovery Network Communication (Discovery Channel).
Enfin, il n’a jamais existé de pétition de soutien à l’Intelligent design ; et je n’ai jamais signé de pétition de cette nature.
La
réalité historique est celle-ci : il y a quelques années, un
journaliste américain affirmait que la sélection naturelle et le hasard
des mutations génétiques étaient les seuls processus évolutifs
naturels. Je fais partie de 400 chercheurs qui ont accepté à l’époque,
de dire que cette affirmation était inexacte.
Cela représente quatre
fois plus de signatures que celles recueillies pour la pétition
appelant à la vigilance, publiée dans Le nouvel observateur. J’aurais
aussi bien pu la signer et j’y lis des noms qui auraient aussi bien pu
se joindre aux 400 signatures. L’UIP devient le danger ; je deviens le
fer de lance de cette psychose... C’est un montage.
VA : Pourquoi ne parvenons-nous pas à étudier cette piste comme une théorie scientifique recevable ?
ADM :
Il est impossible de démontrer que les trois découvertes n’existent
pas. Elles sont publiées et reconnues. Apparemment, le courant de
l’Intelligent design les aurait reprises à son compte. Un des ténors de
ce courant, William Dembski,
considère que mes découvertes permettent d’étayer cette interprétation.
Je lui ai fait savoir que telles n’étaient pas mes conclusions. Je lui
ai également demandé de ne plus faire apparaître mon nom.
Il est
évident que cette découverte dérange l’athéisme militant et que je ne
peux pas empêcher non plus des scientifiques de chercher une
interprétation. C’est le risque de la science. Nonobstant, je ne vais
pas taire ces découvertes, qui ont des implications éthiques et
médicales, au motif qu’elles contrarient l’athéisme ou qu’elles peuvent
être interprétées dans un sens déiste, théiste, gnostique ou
transcendantal. Aux scientifiques de se montrer honnêtes. À moi
d’affirmer mon autonomie et de sérier les différents niveaux de la
polémique.
A la différence des États-Unis, en France, il est de plus
en plus difficile de débattre. En 1996, alors que j’étais informée de
la mise en route de la première cabale et que Le nouvel observateur
sortait déjà un article sans fondement pour affirmer un présupposé
judéo-chrétien dans ma recherche, un éditeur français m’a demandé si
j’acceptais de préfacer Le darwinisme en question, le livre de l’avocat américain Phillip E. Johnson,
traitant de la récupération idéologique de la théorie de Darwin, le
néo-darwinisme, pour servir la cause de l’athéisme en quête d’arguments
scientifiques. En lisant le manuscrit, j’ai retrouvé la même "
philosophie de combat " (Guillaume Lecointre, voir " Darwin contre la
Science ", numéro hors série du Nouvel observateur)
que celle que je vivais en France. J’ai donc préfacé le livre, en
mettant le lecteur en garde contre la dimension binaire et exclusive du
débat, que ce soit aux États-Unis ou en France. Je rappelais toutefois
qu’avec Teilhard de Chardin, l’alternative était offerte de laisser
chacun continuer sa propre réflexion par-delà les théories
scientifiques construites sur l’étude des faits et des phénomènes.
VA : N’était-ce pas un peu tenter le diable, si je peux me
permettre l’expression... d’accoler votre nom à l’ouvrage d’un auteur
réputé pour ses idées soutenant le créationnisme ?
ADM :
Vous avez certainement raison, hors contexte, c’est incompréhensible. Il
faut laisser le temps faire son travail, on ne connaissait pas les
conditions historiques de ce choix. Il est nécessaire de les faire
entendre maintenant. C’est une façon d’éveiller les consciences, au
contraire, sur une diabolisation de tout ce qui ne va pas dans le sens
des attentes néo-darwiniennes,de faire prendre conscience de la réalité
de cette " philosophie de combat ", car elle ne cache pas qu’elle vise
la foi judéo-chrétienne.
L’approche
de Phillip Johnson est une analyse critique, non pas de l’aspect
scientifique, puisque ce n’est pas son domaine, mais de l’aspect
idéologique du néo-darwinisme, à travers la façon dont les faits sont
présentés ou tenus de côté, voire à travers des lacunes. Il en conclut
que le néo-darwinisme n’est pas convainquant, et que pour un croyant (ce
qui est le cas de trois ou quatre milliards de monothéistes)
l’existence d’un Créateur pour expliquer l’ordre du monde reste
acceptable.
Naturellement, il ne prétend pas que le monde s’est créé
en sept jours... Le vrai débat ne se situe pas là. Il consiste à savoir
si, oui ou non, la théorie de l’évolution détruit les fondements de la
foi judéo-chrétienne fondée au moins sur l’attente. Lui répond que
non, car le néo-darwinisme n’est pas crédible. Personnellement, je
réponds également non, mais sur des considérations autres, lesquelles,
précisément, ne sont pas assez connues aux États-Unis. Je pense en
particulier, donc, à la synthèse scientifique de Teilhard et à la place
qu’il accorde à la gratuité de l’amour, à la liberté de donner sa
confiance à l’amour comme transcendance du sens : se savoir né, parce
qu’aimé. (" Tu es, Seigneur, notre Père, notre Rédempteur : tel est ton
nom depuis toujours... Ah ! si tu déchirais les cieux, si tu
descendais.. " Isaïe 63, 16b, 19a. In " Teilhard aujourd’hui ". N° 16 -
décembre 2005).
VA : Mais comment expliquez-vous un tel "blocage
psychologique", en particulier de la part de vos pairs ? Je pense à
Yves Coppens ou au paléontologue argentin Fernando Ramirez-Rozzi, qui
émettent les plus grandes réserves. "Pour une raison mystérieuse, (Mme
Dambricourt) a voulu faire de cet os la pièce centrale de toute
l’anatomie humaine. Or, on sait depuis longtemps que définir l’homme à
partir d’un seul caractère est absurde." a déclaré Ramirez-Rozzi au
journal Le Monde (29/10/05) qui cite d’ailleurs au nombre des "ennemis"
de votre théorie le paléontologue Jean-Jacques Jaeger ou
l’anthropologue André Langaney. Toujours dans Le Monde, Pascal Picq
semble reconnaître pour sa part qu’il est intéressant d’avoir soulevé
la question de la flexion de l’os sphénoïde chez les hominidés, tout en
précisant qu’il n’est pas d’accord avec votre interprétation.
ADM : Pascal Picq
est devenu bien plus prudent après avoir affirmé qu’il n’existait pas
de découvertes et que ma recherche était obsolète. Je constate que les
explications destinées à lui faire comprendre que je ne cherchais pas à
démontrer un programme dans l’évolution ont fini par porter leurs
fruits.
Yves Coppens
est bien plus proche de ces idées de mutations intégrées et actualisées
qu’il n’y paraît dans le documentaire. Il reconnaît, au demeurant, la
complexité croissante, et il est bien le seul à avoir eu le courage de
rappeler que Teilhard était un des grands penseurs de la théorie de
l’évolution. Yves Coppens lui a d’ailleurs rendu un long hommage lors
de son cours de clôture au Collège de France, en juin 2005.
La
différence entre nous, c’est que lui est convaincu que, sans la savane,
la bipédie ne serait pas apparue. Je pense, pour ma part, que sans la
forêt les grands singes auraient disparu, et cette potentialité
évolutive avec eux. Conséquence, il n’y aurait pas eu d’hominidés,
d’êtres en bipédie permanente suite à une nouvelle évolution du
développement de l’embryon et, par conséquent, à une nouvelle rotation
du sphénoïde. C’est la forêt qui a sauvé la bipédie permanente
d’origine embryonnaire et phylogénétique. Il s’agit donc d’une
sélection naturelle positive.
Quant à Fernando Ramirez, il s’agit
d’un de nos anciens étudiants. C’est un admirateur de Richard Dawkins.
Je me souviens qu’il parlait de son livre L’horloger aveugle
avec enthousiasme. Ramirez étudie des dents fossiles. De toute
évidence, il se place déjà dans une certitude : "L’évolution est régie
par les lois du hasard et des nécessités alimentaires".
De telles
certitudes constituent un présupposé, en sorte que tout ce qui vient
heurter ses intimes convictions devient, par essence, "du délire" pour
le citer à mon propos. Un esprit scientifique devrait faire preuve
d’humilité et savoir se laisser surprendre par l’inattendu.
VA : Science et religion seront-ils indéfiniment frères ennemis ?
ADM
: Je suis chercheur avant tout, c’est-à-dire, libre de réfléchir aux
implications et à la signification de ce que j’ai découvert, et à ce
que cela signifie dans ma vie, enrichie de tout ce qui n’est pas
scientifique ou objectif, comme l’expérience de la relation d’être à être. La découverte d’une logique interne me donne toute liberté de
m’interroger, hors du cadre de la science, du point de vue
philosophique et éthique, sur la finalité de ce processus.
Chacun
a son idée sur le sens de sa vie. On ne veut pas se sentir réduit à une
" logique interne " si elle devait concerner l’intégralité de nos
capacités. Nous avons besoin de liberté, d’inconnu, d’espace pour la
créativité. Ce qu’il faut comprendre dans notre histoire interne, c’est
précisément cette différence entre le niveau macro-évolutif qui n’est
pas touché par l’entropie (la dégradation) et le niveau singulier, qui
est mortel, qui souffre dans son corps et son esprit. C’est cela qui
est important.
Le néo-darwinisme affirme -désormais à l’encontre des
faits- que c’est ainsi que notre histoire s’est construite. Or, cela
est inexact. Cette découverte (enfin entendue du grand public) le
prouve. Elle est encore loin d’être comprise.
Concernant la foi,
elle ne peut pas être l’otage de la vision néo-darwinienne à travers
des critiques contre l’Intelligent design, puisque ce mouvement ne fait
pas appel à la foi en la révélation des origines de l’amour.
Et elle
ne le sera pas non plus de mes observations puisque, comme je vous
l’expliquais et -à la différence de l’Intelligent design- le mystère
des origines demeure déjà avec le changement de mémoire génétique de
deux embryogenèses. Plus nous descendrons dans les profondeurs de la
mémoire génétique, plus nous retrouverons le "Réel voilé", tel que l’explique si bien le Professeur Bernard d’Espagnat.
(1) "Le sphénoïde n’évolue pas en lui-même bien sûr. Ses
changements sont une conséquence de l’évolution de l’information qui
code son développement dès la fécondation. C’est donc l’information
génétique qui évolue et on constate dans le cas de notre lignée qu’elle
évolue sur plusieurs millions d’années entre deux transformations
anatomiques. Je ne suis pas en mesure de dire comment cela est
possible, puisque c’est en dehors du champ des compétences des
paléontologues. Quant aux biologistes, ils étudient des périodes de
temps trop courtes pour constater ce type de processus. Il faut donc
poser la question à des spécialistes en chimie quantique et commencer à
traduire les changements de forme par des équations, pour écrire une
théorie au sens mathématique. Les faits en eux-mêmes montrent qu’il
existe dès la formation du patrimoine héréditaire des processus de mise
en mémoire de l’information, de sorte que tout changement anatomique ne
vient pas exclusivement de l’environnement. Cela peut provenir aussi
d’une mémoire contenue dans le patrimoine héréditaire. Ce sont les
bases d’un consensus objectif qui se dessinent, sans référence
religieuse précisément.". Source : "Les arguments d’Anne Dambricourt-Malassé" (propos d’ADM recueillis dans Le Monde.fr du 29.10.05)
(2) Loi, en biologie, dite loi de Dollo, qui pose l’irréversibilité de l’adaptation à base générale de Dollo. plus d’infos sur :
http://archquo.nouvelobs.com/...
(3) C’est-à-dire : stockage de l’information
(4) Voir : http://www.sciences.univ-nantes.fr/physique/perso/blanquet/synophys/42tropi/42tropi.htm
(5)
L’émission "Homo sapiens, une nouvelle histoire de l’Homme" diffusée le
30 octobre 2005 sur Arte a suscité la polémique chez les scientifiques
(avec les interventions de Philippe Tobias, Didier Marchand, Jean
Chaline... Pour ceux qui s’intéressent aux lois de fractalisation de la
complexité, lire l’excellent livre de Jean Chaline (en collaboration avec Christian Nottale et Pierre Grou) Les arbres de l’évolution)
(6)
"intelligent design" ou "dessein intelligent". Le dessein intelligent
tente de réconcilier science et religion. Voir aussi : http://www.designinference.com/
(7) "Un film soupçonné de néo-créationnisme fait débat" (Le Monde.fr du 29/10/05)
(8) Jésuite, chercheur, théologien et philosophe, Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) est connu pour ne pas voir d’opposition entre la foi catholique et la science
(9) Qu’on nomme aussi "Jésuites"
(10)
Les "grands établissements" sont des établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel régis par les dispositions du
livre VII du code de l’éducation site en ligne : http://www.wikipedia.org/wiki/Grand_établissement
Pour en savoir plus sur la théorie scientifique d’Anne Dambricourt Malassé :
Sur le site de l’Académie des Sciences - Rubrique Conférences
Voir p : 24. Partie "Les premiers hominidés" : "Evolution du chondrocrâne et de la face des grands anthropoïdes miocènes jusqu’à l’Homo sapiens. Continuités et discontinuités"
Voir aussi p : 14. Partie "La question de la diversité des hominidés" : "Développement embryonnaire et évolution"
"Un texte fondamental de la pensée d’Anne Dambricourt Malassé. Paysages mentaux des racines évolutives humaines"
Muséum d’Histoire naturelle
Le site Hominidés.com les évolutions de l’Homme
Et pour ceux qui s’intéressent à Teilhard de Chardin, nous vous invitons à lire sa Messe sur le monde rédigée en 1923 alors que le père jésuite se trouve au milieu du désert.
*Anne Dambricourt Malassé est paléoanthropologue, chargée de recherche au CNRS et docteur en paléontologie humaine du Muséum national d’histoire naturelle. Par ailleurs, elle est secrétaire générale de la Fondation Pierre Teilhard de Chardin. Elle a également publié La légende maudite du vingtième siècle (Editions La Nuée Bleue. Octobre 2000). Biographie
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