Sur l’importance décisive de la Chine dans l’économie américaine. Un article trés clair de F.Robin !
Chine - Etats-Unis L’ère de l’interdépendance Article paru dans l’édition du 16.06.06 (Le Monde) Entre Pékin et Washington, sur fond d’enjeux pétroliers et commerciaux, les tensions semblent s’exacerber. En réalité, aucune des deux puissances n’a intérêt à aller au conflit. La croissance de l’une dépend de celle de l’autre
Les stratèges américains s’alarment : l’émergence de la Chine est en train de saper le socle de la puissance des Etats-Unis ; elle leur lance un défi qui risque de mal finir. Les stratèges chinois s’inquiètent aussi : l’Amérique conspire à entraver l’essor de l’empire du Milieu. Sa stratégie d’« endiguement » exhale des relents de guerre froide de mauvais augure. A écouter les paranoïaques des deux camps, leurs pays sont lancés sur une trajectoire de « collision ».
On connaît le casus belli qui risquerait, plus que tout autre contentieux, de provoquer une conflagration : Taïwan. Que Formose proclame son indépendance de jure - l’île est déjà souveraine de facto - et ce sera l’escalade, Pékin intervenant pour mater les séparatistes et Washington volant vraisemblablement à leur secours. Ce scénario-catastrophe ne doit pas être éludé par angélisme. Mais il donne des sueurs froides à chacun, car son coût économique serait considérable. Or le risque est là.
Les économies chinoise et américaine - et autour d’elles une bonne part de l’économie mondiale - sont à ce point imbriquées qu’un choc frontal virerait au cauchemar. Aussi est-il absurde de parler de « guerre froide » pour qualifier les frictions récurrentes entre les deux puissances du Pacifique. Du temps de l’URSS, jamais celle-ci et l’Amérique n’avaient marié leurs intérêts comme Pékin et Washington l’ont fait ces dernières années. On comprend que Bill Clinton et George Bush aient épousé vis-à-vis de la Chine la même oscillation : un démarrage de mandat vindicatif, puis un recentrage sur une position plus coopérative. On comprend aussi que Pékin ait tenu à brider le nationalisme de son opinion, notamment chez les nouvelles élites urbaines. Les deux capitales ne peuvent s’offrir, à ce stade, le luxe d’une crise.
Leur relation inaugure un nouveau paradigme dans les relations internationales : la fracture stratégique dans une globalisation partagée. Une géopolitique centrifuge et une économie centripète tirent en sens contraire et finissent par se neutraliser. En dépit de la montée du soupçon mutuel, les deux pays sont ligotés par un « Je te tiens, tu me tiens... », sorte d’équilibre de la terreur économique qui se déploie sur trois fronts principaux.
LES ROUTES DU PÉTROLE.
La Chine a une soif insatiable d’énergie. Elle engloutit des quantités de plus en plus grandes d’hydrocarbures pour alimenter son exceptionnelle croissance. Problème : ses réserves en pétrole s’épuisent et elle doit importer 40 % de sa consommation. L’affaire, sensible, attente au dogme de l’autosuffisance, slogan de l’ère Mao. Le basculement a eu lieu en 1993, tournant historique qui a vu la relance de la réforme économique après la glaciation idéologique qui a suivi la répression de Tiananmen (1989).
Depuis, la dépendance à l’égard des approvisionnements extérieurs n’a cessé de s’alourdir. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la part des importations dans la consommation est vouée à passer à 80 % vers 2030. Cette perspective alarme les dirigeants chinois, car elle accroît la vulnérabilité stratégique du pays.
Près des deux tiers des importations chinoises de pétrole viennent déjà du Moyen-Orient. Outre l’instabilité propre à la zone, ce pétrole est acheminé vers la Chine par des routes maritimes. Mais les 12 000 km séparant son point de départ, le détroit d’Ormuz, de son arrivée à Shanghaï sont étroitement contrôlés par l’US Navy. Pékin s’accommode mal de cette dépendance : en cas de conflit, l’armada américaine aurait les moyens militaires de couper l’alimentation en pétrole de la Chine, et donc de la plonger dans la récession économique et le chaos social. Là est la grande différence avec le Japon qui, bien que plus dépendant encore de fournisseurs extérieurs, bénéficie du parapluie stratégique de Washington.
Desserrer cet étau a été promu par le régime de Pékin au rang de cause nationale. Il s’est donc lancé dans une diversification tous azimuts des pays fournisseurs. Cette « pétrodiplomatie » chinoise est devenue si active qu’elle est en train de redessiner la carte énergétique mondiale. Sa percée est spectaculaire en Afrique (Soudan, Angola, Nigeria...) et en Amérique latine, où les liens se densifient avec le Venezuela d’Hugo Chavez.
Mais l’obsession de la Chine est plutôt d’éviter les routes maritimes pour leur préférer les transferts continentaux d’Asie centrale, plus sûrs. Dans cette stratégie, elle peut compter sur la complicité d’une Russie... dont la fiabilité n’est cependant pas absolue. La Chine a été refroidie par l’attentisme de Moscou sur un projet d’oléoduc reliant la Sibérie à la Mandchourie. Aussi ses dirigeants ont-ils pris langue avec des pays comme le Turkménistan (gaz) et renforcé leur coopération avec le Kazakhstan (pétrole), appelé à monter en régime dans l’approvisionnement chinois (de 1,5 % aujourd’hui à 15 % dans l’avenir).
Dans ce nouveau « Grand Jeu », l’Iran occupe une position-clé : depuis les rives de la mer Caspienne, la République islamique ouvre, elle aussi, sur l’Asie centrale, voie privilégiée des Chinois qui l’habillent des romantiques couleurs d’une Route de la soie revisitée. Gagneront-ils leur pari de s’affranchir de la tenaille américaine ? Pour l’heure, ils soulagent la pression, mais ils sont très loin d’être à l’abri.
LES PIÈGES DU « MADE IN CHINA »
. Devenue troisième exportateur mondial, la Chine ébahit la planète avec ses performances commerciales. Mais est-ce une force ou une faiblesse ? Jamais aucun « dragon » asiatique n’avait atteint, à un stade de développement équivalent, un tel seuil de 40 % des exportations rapportées au PIB. Un taux aussi élevé vire à l’anomalie. Il expose dangereusement la croissance chinoise aux aléas de la conjoncture mondiale. Pis,
il la place dans un état de dépendance spécifique vis-à-vis du marché américain, son premier client, qui absorbe le cinquième du « made in China » exporté. A lui seul, le grand distributeur Wal-Mart a acheté en 2005 pour 18 milliards de dollars de produits manufacturés en Chine ! L’explosion d’un conflit avec les Etats-Unis serait donc très douloureusement ressentie par l’empire du Milieu. Et son impact irait bien au-delà. Car si la croissance chinoise prend - pour une part - sa source dans le marché américain, elle est aussi de plus en plus enchaînée au « circuit asiatique intégré ».
L’Asie abrite en effet une nouvelle répartition des tâches, en vertu de laquelle la Chine importe du Japon, de Corée du Sud ou de Taïwan des composants à haute valeur ajoutée pour les assembler chez elle, avant d’exporter le produit fini sur les marchés occidentaux. Là réside la fragilité du « made in China ». Il est, à l’heure actuelle, moins chinois (à 40 %) que « made by foreigners in China » (fabriqué en Chine par des étrangers, à 60 %). Parmi eux, les Asiatiques (Japonais, Taïwanais, mais aussi Malaisiens et autres) ont une présence particulièrement dynamique dans le high-tech. Il en sera ainsi tant que la Chine échouera à injecter davantage de valeur ajoutée dans son atelier. Elle déploie d’ailleurs des ressources considérables pour combler son retard : ses dépenses totales de recherche et développement ont triplé en cinq ans.
Mais les progrès ne sont pas à la hauteur de cette mobilisation bureaucratique et financière. En 2002, la Chine ne représentait que 0,3 % du stock de brevets internationaux, très loin derrière les Etats-Unis (35,6 %) et le Japon (25,6 %), rappelle une note de la Mission économique de l’ambassade de France à Pékin, intitulée « Comment l’Asie tire profit de l’émergence de la Chine » (mai 2006). En outre, sa recherche est très internationalisée : 66 % des brevets déposés en Chine sont étrangers et 48 % des brevets déposés à l’étranger pour des inventions réalisées en Chine sont contrôlés par des étrangers (à 40 % américains). L’innovation ne se décrète pas.
Le lien sino-américain, couplé avec la densification du commerce intra-asiatique sur fond de retard technologique chinois, donne la mesure de ce que représenterait la facture pour Pékin de l’éclatement d’un conflit avec les Etats-Unis et, par extension, avec l’environnement régional. Si l’on agrège les exportations chinoises vers les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, deux alliés de Washington, une crise coûterait à Pékin la fermeture de 37 % de ses débouchés... et davantage si l’on intègre le transit via Hongkong. Privé de ses marchés, l’ « atelier chinois » serait amputé de ses approvisionnements en composants, ces précieux ingrédients incorporés dans le « made in China ». Si l’on agrège les importations du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan et des Etats-Unis, une crise coûterait à la Chine 45,5 % de ses approvisionnements. Attaqué en aval (marchés) comme en amont (composants), l’atelier chinois serait plus qu’ébranlé.
LA DISSUASION FINANCIÈRE.
Bien sûr, la Chine ne serait pas la seule à souffrir de l’effondrement de l’échafaudage. Les Asiatiques aussi seraient lourdement pénalisés, car leur croissance s’est réoxygénée grâce à l’atelier chinois. Mais surtout, les Américains seraient frappés de plein fouet. Là est l’arme de Pékin : sa capacité de nuisance effraie le lobby antichinois de Washington. Car la Chine est devenue le créancier de l’économie américaine. Assise sur un trésor de réserves de changes de 900 milliards de dollars, elle s’est lancée ces dernières années dans des achats massifs (pour 320 milliards de dollars) de bons du Trésor américains.
Deux raisons principales motivent cette politique. D’abord, la demande chinoise permet de défendre la valeur du billet vert et donc de protéger la compétitivité monétaire du « made in China ». Eviter que le yuan ne s’apprécie substantiellement par rapport au dollar est une priorité à Pékin. Ensuite, cet appétit de bons du Trésor maintient les taux d’intérêt américains à bas niveau, encourage la consommation - surtout de « made in China », très bon marché - et, finalement, décourage les pressions inflationnistes.
Vertueuse influence ! Du coup, de nombreux commentateurs, aux Etats-Unis, tirent la sonnette d’alarme. N’est-il pas dangereux de dépendre à ce point des décisions de la Banque centrale de Pékin ? Et si la Chine boudait un jour le dollar ? Décidait de se délester de ses bons du Trésor ? Séquence catastrophe : chute du dollar, flambée des taux, réveil de l’inflation... La croissance américaine n’y résisterait pas. Pékin intimide aujourd’hui plus par sa force de frappe financière et son arsenal de missiles. Mais les paranoïaques, aux Etats-Unis, devraient se rassurer : la Chine ne souhaite pas casser la croissance américaine... qui nourrit la sienne. Pour autant, que l’on s’inquiète du rôle stratégique qu’elle joue désormais dans l’économie américaine ne lui déplaît pas. Manière d’avertir : « Si tu me tiens, je te tiens aussi ».
Frédéric Bobin
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