Un article sur le Tamiflu
Tamiflu, un remède pour les « pigeons »
par Serena TINARI 12 mars 2006 (
il manifesto, 8 mars 2006 )
Extraits
Un médicament de peu
Curieux destin, pour un médicament jusqu’à présent considéré par les hommes de l’art comme de la « camelote ». [...]
Jusqu’à l’arrivée de la grippe aviaire,
le Tamiflu vendait peu - tellement peu que dans les salons de
l’industrie pharmaceutique mondiale on murmurait que Roche pensait à le
retirer du marché. Les tests effectués avant la commercialisation
indiquent, en fait, qu’Oseltamivir, en jargon technique « inhibiteur de
la neuraminidase » agit sur les souches « A » et « B » de la grippe -
souches que seul un examen approprié peut repérer avec certitude.
Absorbé dans les 48 heures suivant l’apparition des premiers symptômes,
Tamiflu peut réduire la durée de la grippe d’un jour et demi. Gain
modeste, pour rivaliser avec lait au miel, cataplasmes et aspirine. De
fait, en guise de pilule miracle, Tamiflu avait fait un « flop ».
[...]
Est-ce un médicament efficace ?
[...] A la question clé, à savoir « est-ce un médicament
efficace ? », il n’y aurait pas eu de résultats scientifiques
suffisants. La critique de la newsletter suisse Infomed/Pharmakritik est douloureuse : « Sur
la base des connaissances actuelles, il n’existe aucun groupe bien
défini de malades de la grippe auxquels on puisse conseiller un
traitement à base d’Oseltamivir ».
La revue française Prescrire (seule revue médicale indépendante en France, non financée par des laboratoires, ndt) est catégorique : « A part les effets collatéraux, on ne comprend pas ce qu’il ajoute à la thérapie symptomatique traditionnelle ».
En février 2006, The Lancet enfonce le clou. Les chercheurs du groupe Cochrane ont examiné 50 études sur l’efficacité du Tamiflu et concluent : « Elle est trop modeste pour en conseiller l’utilisation ».
Mais si l’effet sur la grippe serait faible, aucun spécialiste ne peut
garantir l’efficience du Tamiflu sur la grippe aviaire humaine. Avant
tout, parce que c’est un virus qui n’existe pas. La souche actuelle ne
se transmet pas entre êtres humains - une poignée de cas suspects ont
été signalés en Asie, mais si le virus avait déjà muté, face à 180
millions de volatiles morts, les victimes humaines seraient bien plus
nombreuses que la rare centaine enregistrée jusqu’à présent. Et
surtout, explique de Genève le porte parole de l’OMS pour la grippe
aviaire, parce que « nous n’avons pas de données cliniques pour l’affirmer ».
Un médicament sûr ?
[...]
Dans le doute, et en attendant des
recherches cliniques ponctuelles, les autorités et l’industrie
pharmaceutique affichent leur optimisme. Sauf au Japon : dans ce pays
où la pilule précieuse a été la plus vendue, le Tamiflu a été corrélé à
la mort soudaine de plusieurs enfants. Le président de l’institut de
pharmaco vigilance japonais, Rokuro Hama, le répète dans tous les
congrès et revues scientifiques depuis deux ans. Sur le British Medical Journal, Hama souligne que les enfants sont morts d’insuffisance respiratoire (collasso respiratorio) et cite trois études de laboratoire où « l’administration d’Oseltamivir à des bébés rats en a provoqué la mort par insuffisance respiratoire ».
C’est justement sur la base de ces études qu’il n’est pas autorisé
d’administrer du Tamiflu à des enfants de moins d’un an. De nombreux
chercheurs, cependant, étant donnée la rareté de données cliniques, ont
des doutes aussi sur la tranche des 1-12 ans. Du point de vue des
autorités sanitaires, l’argument concernant les enfants est faible à
cause, justement, du motif opposé. En cas de pandémie, ils
constitueraient la catégorie la plus à risque. Et si le Tamiflu est le
seul remède disponible, il faut pouvoir le leur donner à eux aussi.
C’est la raison pour laquelle les autorités européennes et américaines
en ont récemment autorisé l’usage dans un but prophylactique même sur
des patients de 1 à 12 ans.