En effet, l’île de Pâques est souvent citée en exemple pour illustrer les graves conséquences d’une surexploitation des ressources naturelles par l’homme.
Cette explication largement répandue nous parait nécessiter que l’on revienne un peu sur la question.
Selon cette thèse souvent évoquée, la déforestation de l’île constatée par ses premiers explorateurs, serait due à l’incurie des Pascuans eux-mêmes qui, inconsidérément, auraient complètement déforesté l’île à des fins domestiques, ou encore plus insensément, pour fabriquer, transporter et ériger leurs fameux Moai, conduisant ainsi au déclin de leur civilisation et à la presque disparition des habitants de l’île.
Or, cette affirmation a besoin d’être nuancée. En effet, affirmer que les Pascuans ont déboisé leur île jusqu’au dernier arbre pour des fins domestiques et pour ériger les Moai est une hypothèse parmi d’autres hypothèses possibles et certains indices, à l’heure actuelle, laisseraient croire qu’il existe un scénario plus probable.
Par ailleurs, affirmer que la disparition du couvert forestier a entraîné la disparition totale de la civilisation pascuane et de ses habitants est une erreur historique.
En effet, les recherches dans ce domaine nous apprennent que la civilisation pascuane après une période d’expansion aurait connu un certain déclin. Ce déclin serait contemporain à la disparition du couvert forestier de l’île. Ce déclin se traduirait aussi par une baisse de la population et par l’arrêt de la production des grandes statues. Des guerres fratricides sont aussi rapportées dans les légendes locales et un grand nombre de pointes d’obsidiennes meurtrières semblent avoir été fabriquées à une certaine période.
Par la suite la situation semble se stabiliser et c’est lors du contact avec les occidentaux que la population passe à deux doigts de disparaître complètement et que disparaît la majeure partie de la culture et des traditions de cette civilisation.
En effet, lors de l’arrivée de ces premiers occidentaux, les habitants de l’île de Pâques semblent vivre honorablement de leurs ressources limitées.
Pour tenter de déterminer les conditions de vie à cette époque, retournons aux commentaires des premiers explorateurs de l’île :
En 1786, Jean François De la Pérouse fait, avec son équipage, une reconnaissance approfondie de l’île et de ses monuments. Par la même occasion, il laisse aux habitants de l’île de nouveaux animaux pour qu’ils en fassent l’élevage et de nouvelles variétés de graines à semer.
De La Pérouse nous rapporte qu’à son arrivée il est accueilli par plusieurs centaines d’indigènes. De La Pérouse mentionne qu’ils sont sans armes et que leurs cris et leurs physionomies expriment la joie. Il évalue la population à environ 2,000 habitants.
Lors de son passage, De La Pérouse soupçonne qu’un désastre écologique s’est déjà produit sur l’île. En effet, constatant que celle-ci était complètement dépourvue d’arbres, il suppose que ses habitants ont eu l’imprudence de tous les couper dans des temps sans doute très reculés. Il considère que cette imprudence « a exposé leur sol à être calciné par l’ardeur du soleil, et les a réduits à n’avoir ni ravin, ni ruisseaux, ni sources : ils ignoraient que dans les petites îles, au milieu d’un océan immense, la fraîcheur de la terre couverte d’arbres, peut seule arrêter, condenser les nuages, et entretenir ainsi sur les montagnes une pluie presque continuelle qui se répand en sources ou en ruisseaux. » (1). De La Pérouse est le premier à émettre l’hypothèse que la population qu’il a sous les yeux est privée de cette ressource à cause des gestes malencontreux de ses ancêtres.
Malgré tout, les habitants que découvrent les premiers explorateurs semblent en santé et bien nourris. Ainsi, Roggeveen les trouve musclés, bien proportionnés et de large stature. Il considère même qu’ils ont largement de quoi se nourrir, leur terre n’étant pas aride : “... outstandingly fruitful, producing bananas, sweet potatoes, sugar-cane of special thickness, and many other sorts of produce, although devoid of large trees and livestock, apart from fowls, so this land, because of its rich earth and good climate, could be made into an earthly Paradise if it was properly cultivated and worked, which at presents is done to the extent that the inabitants are required to for maintenance of life,”(3)
De La Pérouse constate aussi que seulement le dixième de la terre arable de l’île est effectivement cultivé, que cette terre est très riche, à tel point qu’il est persuadé que grâce à leur organisation sociale « trois jours de travail suffisent à chaque indien pour se procurer la subsistance d’une année. »(4).
Il faut cependant attendre le résultat d’une étude récente de John R. Flenley pour confirmer que l’île de Pâques avait effectivement été autrefois couverte de forêts. Cette étude basée sur la présence de pollen à différentes profondeurs dans le sol suggère aussi que l’île aurait commencé à perdre son couvert forestier à partir de l’an mille de notre ère et que cette déforestation aurait pu être complété au alentour de l’an 1500. (2)
La pénurie d’arbres sur l’île a possiblement contribué à l’arrêt de la production des grandes statues de pierre, puisque des troncs d’arbres semblaient s’avérer nécessaires à l’extraction et au transport de celles-ci, bien que différents explorateurs ont cependant réussi à déplacer des statues avec très peu de moyens. La déforestation de l’île a aussi probablement réduit la quantité d’eau douce disponible sur l’île, mais surtout, elle a certainement fait disparaître un environnement beaucoup plus viable pour ses habitants.
Si la déforestation totale de l’île de Pâques a probablement contribué à diminuer la grandeur de la civilisation de l’île, elle n’a pas fait disparaître pour autant sa population qui, à l’arrivée des premiers explorateurs, vit honorablement des autres ressources dont elle dispose.
Une société humaine est bien sûr dépendante de son environnement. Elle l’est d’autant plus qu’elle se trouve sur une île perdue au milieu du Pacifique, que cette île est sujette aux perturbations climatiques, aux famines dues à la sécheresse et aux tsunamis. Le dernier tsunami en date de 1960 renversa toutes les statues de l’Ahu Tongariki et rasa complètement cet Ahu. Aussi, des rats comestibles apportés par les polynésiens sont soupçonnés d’avoir débalancé le cycle de régénération des grands palmiers qui recouvraient l’île à une certaine époque, lesquels ont possiblement fait des noix de palmier le met principal de leur alimentation. Beaucoup plus tard, des blancs ont utilisé l’île comme un immense parc pour y élever des moutons ce qui a eu pour effet d’empêcher encore d’avantage la régénération des quelques arbustes qui restaient sur l’île.
La thèse voulant que les habitants de l’île aient coupé les arbres jusqu’au dernier pour leurs usages domestiques et pour ériger des immenses statues, semble aussi quelque peu exagérée compte tenu de la mentalité des polynésiens. En effet, n’oublions pas que les polynésiens avaient une longue tradition de colonisateurs des îles du Pacifique. Ils emportaient avec eux des animaux ainsi que des pousses de plusieurs variétés d’arbres et de plantes qui servaient à leur survie lors de la colonisation d’une nouvelle île. Ils connaissaient très bien l’importance des arbres. Les arbres leur étaient nécessaires pour se nourrir de leurs fruits, pour la fabrication des embarcations, des tissus et des cordages, pour la sculpture d’objets usuels et rituels, ainsi que pour leurs usages domestiques. Aussi, les ressources disponibles sur l’île étaient gérées par un système de tabous très strict dont l’infraction à certains d’entre eux pouvait entraîner la peine de mort.
Il semble plus probable de supposer que si les pascuans ont contribués d’une façon ou d’une autre à la déforestation de leur île, cela ne l’aurait été que par nécessité suite à des dérèglements climatiques incontrôlables.
Par ailleurs, les données historiques nous apprennent que ce n’est pas la déforestation qui a porté le coup de grâce à la civilisation de l’île de Pâques et qui a entraîné la disparition de sa population. En effet, ce coup de grâce a été donné par des blancs (péruviens) venus s’emparer d’une grande partie de la population locale pour en faire des esclaves. La faible population restée sur l’île se trouva complètement dépourvue de son organisation sociale, de sa culture et de ses connaissances, les dirigeants, les grands prêtres et les personnes chargées de transmettre la tradition ayant eux aussi été expatriés et réduits à l’esclavage. Par la suite, les maladies apportées par les blancs ont disséminé le reste de la population qui s’est trouvée réduite à une centaine d’habitants.
Il serait donc plus juste de dire que c’est encore une fois le contact avec le monde occidental qui a entraîné la disparition de cette civilisation pascuane et de la quasi-disparition de sa population, et non pas comme certains l’affirment la propre incurie de cette population.
Jean Hervé Daude
(1) Voyage De La Pérouse autour du monde, publié d’après les manuscrits de l’auteur, Ed. du Carrefour, Paris, 1930, p.35
(2) Nouveau regard sur l’île de Pâques, Rapa Nui, Chapitre IX Histoire de la végétation de l’île de Pâques au quaternaire récent : quelques indications palynologiques préliminaires, Collectif, Ed. Moana, Corbeil, 1982, p. 109
(3) The Journal of Jacob Roggeveen, edited by Andew Sharp, Clarendon Press, Oxford, 1970, p. 103
(4) Voyage De La Pérouse autour du monde, publié d’après les manuscrits de l’auteur, Ed. du Carrefour, Paris, 1930, p. 39
22/11 00:28 - vinvin
Bonjour. C’ est magnifique, et j’ aimerais bien visiter cette ile de PAQUES (...)
09/12 20:53 - hetset
merci à cet artiste peintre photographe et même poète( en clair un artiste accompli) Jean (...)
05/12 12:39 - Gilbert Spagnolo dit P@py
La légende de l’île de Pâques, dans les années 70, une des plus grande arnaque de la télé (...)
04/12 18:48 - Jean Hervé Daude
En effet, l’île de Pâques est souvent citée en exemple pour illustrer les graves (...)
04/12 18:08 - Forest Ent
Cf. un extrait de « effondrement » http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=11957
04/12 14:54 - Fred
Petit questionnement : Il y a une pub qui passe en ce moment à la télé expliquant que la (...)
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