Mardi 22 avril 2014 :
La deuxième guerre civile.
Par Bernard Maris
En 1992, François Mitterrand a ouvert une deuxième guerre de 30 ans en
croyant par la monnaie unique arrimer l’Allemagne à l’Europe.
L’Allemagne réalise sans le vouloir par l’économie ce qu’un chancelier
fou avait déjà réalisé par la guerre : elle détruit à petit feu l’économie
française. Certes, elle n’est pas responsable de cette situation, au contraire
; elle n’est jamais intervenue dans la politique intérieure de la France, elle
a tendu la main aux Français du temps de Balladur pour réaliser un début
d’unité fiscale et budgétaire (qui lui fut refusée).
C’est François Mitterrand qui à deux reprises a voulu arrimer la
politique monétaire de la France à celle de l’Allemagne, détruisant une
industrie française qui n’allait pas bien fort : en 1983 d’abord, avec le
tournant de la rigueur et la politique du « franc fort », en 1989 ensuite, en
paniquant après la réunification Allemande, et en avalisant celle-ci au prix
d’une monnaie unique et d’un fonctionnement de la BCE calqué sur celui de la
Bundesbank.
Plus de vingt ans de guerre économique ont passé, et l’industrie
Allemande a laminé les industries italienne et surtout française. Aujourd’hui
la guerre est terminée et gagnée. La part des exportations de l’Allemagne en
zone euro représente 10% du total. Le reste est hors zone euro, aux Etats-Unis
et en Asie. L’Allemagne n’a plus besoin de la zone euro. Au contraire : la zone
euro commence à lui coûter cher, à travers les plans de soutien à la Grèce, au
Portugal, et à l’Espagne, à tel point qu’elle songe elle aussi à quitter
l’euro.
Il est bien évident que ni la Grèce, ni le Portugal, ni l’Espagne, ni
même la France et l’Italie ne pourront jamais rembourser leur dette avec une
croissance atone et une industrie dévastée. La zone euro éclatera donc à la
prochaine grave crise de spéculation contre l’un des cinq pays précités.
La Chine et les Etats-Unis contemplent avec ravissement cette deuxième
guerre civile interminable, et se préparent (pour les Etats-Unis une deuxième
fois) à tirer les marrons du feu. La Chine et les Etats-Unis pratiquent une
politique monétaire astucieuse et laxiste. On pourrait ajouter à la liste des
pays pratiquant une politique monétaire intelligente la Corée du Sud, et
aujourd’hui le Japon. La Grande-Bretagne, elle, prépare tout simplement un
référendum pour sortir de l’Europe.
On a le choix : sortir de l’euro ou mourir à petit feu. Sinon, le
dilemme pour les pays de la zone euro est assez simple : sortir de façon
coordonnée et en douceur, ou attendre le tsunami financier.
Une sortie coopérative et en douceur aurait le mérite de préserver un
peu de construction européenne, un tsunami sera l’équivalent du Traité de
Versailles, les perdants étant cette fois les pays du Sud. Et au-delà des pays
du Sud, toute l’Europe.
La sortie douce et coordonnée est assez simple, et a été déjà envisagée
par nombre d’économistes. Il s’agit tout simplement de revenir à une monnaie
commune, servant de référentiel aux différentes monnaies nationales. Cette
monnaie commune, définie par un « panier de monnaies » nationales, atténue les
spéculations contre les monnaies nationales.
C’est un retour au SME (Système monétaire européen) ? Oui. Des marges de
fluctuations autour de la monnaie commune. Une stabilisation de la spéculation
par des limitations des mouvements de capitaux, stabilisation qui pourrait être
accrue par une taxe type Tobin sur ces mêmes mouvements de capitaux.
Mais le SME a échoué direz vous… Oui, parce que le SME ne s’était pas
donné les moyens de lutter contre la spéculation, et n’avait pas adopté une «
Chambre de compensation » comme la souhaitait Keynes dans son projet pour
Bretton Woods (abandonné au profit du projet américain).
Le meilleur moyen de rendre l’Europe odieuse, détestable pour longtemps,
de faire le lit des nationalismes les plus étroits, est de poursuivre cette
politique imbécile de monnaie unique associée à une « concurrence libre et non
faussée » qui fait se pâmer de joie ceux qui en profitent, Chinois, Américains
et autres BRICs.
Bien évidemment la mainmise du politique sur la monnaie ne suffit pas à
faire une économie puissante : la recherche, l’éducation, la solidarité sont
certainement aussi importantes. Mais laisser les « marchés » gouverner les pays
est tout simplement une honteuse lâcheté.
(A suivre)
Bernard Maris.
http://alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud/2014/04/20/sortie-de-leuro-bernard-maris-vire-sa-cuti-3/