La fronde du tribunal de Saint-Brieuc contre la DADVSI
Le délit de recel de fichiers musicaux illicites est puni par la loi. Mais par sa décision du 6 septembre 2007, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc (22) a purement et simplement annulé toutes poursuites contre l’accusé mis en cause par la Sacem.
Le tribunal de Bobigny l’avait fait aussi dans une affaire similaire (jugement du 14 décembre 2006), le tribunal de Saint-Brieuc a annulé la procédure judiciaire engagée contre un internaute qui abusait du peer-to-peer en mettant à la disposition du public des milliers de fichiers audio. Pourquoi ? Nous présentons ici l’argumentation juridique du tribunal.
Le tribunal de Saint-Brieuc reconnaît que l’adresse IP est, au sens strict, un identifiant d’une machine connectée à internet et non pas l’identifiant d’une personne. Jusqu’ici rien de contraire à la jurisprudence dominante, notamment celle de la Cour d’appel de Paris (27 avril 2007, 15 mai 2007) pour laquelle les adresses IP, collectées à l’occasion d’une recherche en vue de la constatation d’une contrefaçon, ne permettent pas d’identifier, même indirectement des personnes physiques. En conséquence ces données ne sont pas des "données personnelles" au sens de la loi "Informatique et libertés" du 6 janvier 1978. Ce qui dispense de l’autorisation préalable de la CNIL pour la création de traitement de données personnelles.
Mais, le tribunal de Saint-Brieuc déclare que l’adresse IP est une donnée personnelle puisque l’association de deux moyens - l’adresse IP et le nom du fournisseur - permet d’identifier la personne. Il ajoute que l’agent assermenté de la Sacem ne pouvait pas constituer de façon légale un fichier de données personnelles. Car, si la loi de 1978, modifiée par la loi du 6 août 2004, autorise la Sacem ou la SCPP à réaliser des traitements de données personnelles, ces personnes morales ne peuvent le faire qu’après avis de la CNIL puisqu’elles ne sont pas des auxiliaires de justice (article 25 de la loi de 1978).
Il est trop tôt pour savoir si ce jugement fera jurisprudence et surtout s’il ne sera pas infirmé en appel. Il conviendra donc de suivre l’évolution de cette matière. Mais, au-delà de l’affaire et du délit invoqué, se pose la question du pouvoir de la CNIL. Cette commission s’est vu déposséder progressivement de son pouvoir de contrôle (Rappel de mon article : La CNIL n’a plus les moyens nécessaires pour assurer sa mission). Alex Türk, président de la commission a publié le rapport annuel de la CNIL dont le titre pour 2006 est "Alerte à la société de surveillance !" A la suite des deux décisions de la Cour d’appel de Paris (voir ci-dessus), la CNIL s’était fâchée et en avait appelé au Garde des Sceaux pour intenter un pourvoi en cassation. Elle rappela à cette occasion que le groupe 29 (composé des autorités de protection des données des Etats membres de l’Union européenne) a récemment rappelé, dans un avis du 20 juin 2007 relatif au concept de données à caractère personnel, que l’adresse IP attribuée à un internaute lors des ses communications constituait une donnée à caractère personnel. Elle a aussi souhaité alors que la juridiction européenne examine cette question. Mais que pèse la CNIL aujourd’hui ?
Pour aller plus loin :
Ce site (globenet.org) retrace l’historique juridique de la question.
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