@monde indien
Je suis d’accord avec toi : il est urgent de penser différemment la société. Le libéralisme nous a apporté de grand bienfaits sur le plan des libertés individuelles. Il n’est pas question de renier ces acquis. Mais il a oublié les autres valeurs. Liberté, égalité, fraternité, très belle devise. En trois mots, seulement trois mots, l’essentiel est dit. De ces trois mots le libéralisme ne retient que le mot « liberté ». Ce qui est frappant, quand on revient en France après une longue absence, c’est le caractère atomisé de la société. Je suis moi-même un de ses atomes. Je n’ai fait qu’appuyer sur la touche « pause » pour observer, quelques instants, l’étendue des dégâts : une société réduite à une somme d’individus. Mais, me direz-vous, et la famille ? Et les amis ? Je vous répondrai : pas besoin de fraternité avec des gens qu’on aime (amis) ou avec lesquels on a des liens de parenté (famille). Il y a si peu de fraternité qu’il a fallu l’institutionnaliser. On l’a mise dans notre devise comme on range un objet dans un tiroir, et ainsi apaiser notre conscience. Le libéralisme, et le capitalisme, qui n’est que l’expression économique du libéralisme, se fonde sur ce qu’il considère comme une vérité anthropologique indiscutable alors qu’elle n’est qu’une vérité partielle, tronquée de la nature humaine : l’homme serait, fondamentalement, un être qui recherche avant tout l’accumulation indéfinie des biens matériels. L’homme réduit à une nature de consommateur, tel est le parti pris idéologique (pour le dire gentiment), ou le mensonge (pour le dire brutalement) sur lequel se fonde le capitalisme : les humains sont foncièrement égoïstes et matérialistes, et par conséquent le progrès consiste à améliorer sa situation matérielle dans le seul but d’améliorer sa situation matérielle, avec pour horizon la perpétuation de cette condition de génération en génération. En gros, l’idéal bourgeois.
À cette prémisse très discutable, mais jamais discutée, s’ajoute l’illusion que le capitalisme est indépassable, qu’aucun autre modèle n’est possible, et que sans lui c’est soit le chaos, soit l’appauvrissement, soit la dictature. C’est le fameux TINA, « there is no alternative », de Margaret Thatcher. Aucun besoin de rechercher une alternative, il n’en existe pas.
Cette illusion – car il s’agit bien d’une illusion – est fondée sur un mensonge, ou plutôt sur un aveuglement que la mauvaise foi a commodément promu en vérité historique ; c’est l’idée, fausse, qu’on a tout essayé et que seul le capitalisme est viable et souhaitable, malgré ses imperfections.
Le capitalisme veut nous réduire à l’état de consommateurs, il veut nous réduire à l’état d’individus désirants. La rentabilité a remplacé la fraternité : on nous dit que la compétition entre les individus est nécessaire, qu’il faut de la rentabilité, qu’il faut pousser la logique du profit à son maximum, et l’appliquer à tous les domaines de la vie.
Longtemps j’ai confondu le néolibéralisme et l’ultra-libéralisme. Ils sont différents. Les deux partagent le même fondement anthropologique : l’individualisme (seul compte l’individu), le primat de l’égoïsme sur les autres tendances de l’être humain, et la liberté entendue comme valeur occultant ou minimisant toutes les autres (la justice, la solidarité, la fraternité, l’égalité). La société est considérée comme un jeu de monopoly amoral. Amoral car la notion de liberté est vide de sens si elle n’est pas reliée à d’autres notions . Les notions de justice et d’égalité ne sont présentes que dans les règles du jeu. Ensuite, au cours du jeu, c’est l’efficacité qui prime sur tout le reste, réduisant ainsi la morale au seul respect des règles. Et même l’égalité n’est pas conservée : elle est périmée, il faut la jeter à la poubelle.
Le néolibéralisme c’est une conception de la liberté paradoxale, mais pas si paradoxale que ça si on garde en tête la métaphore du jeu de monopoly. En effet, l’État doit être fort pour imposer les règles du jeu. Après quoi, si le gros poisson mange le petit c’est très bien comme ça. C’est la loi du plus fort, mais encadrée par des règles strictes qui favorisent les très gros poissons. Et pour maintenir un élevage de petits poissons dociles, il faut les contrôler et les empêcher de remettre en question les règles du jeu.
Et la morale dans tout ça ? On laisse à la « Main Invisible » de la conscience et de la dignité humaine le soin d’injecter un peu de morale, ne serait-ce que pour que les individus ne se transforment pas totalement en monstres asociaux qui enfreignent les règles du jeu. Dans ce grand jeu, toutes les activités humaines doivent être jugées à l’aune de l’efficacité et de la rentabilité. C’est ça le néolibéralisme. C’est une nouvelle version du « marche ou crève » : la version contemporaine c’est « adapte-toi ou crève ». Un eugénisme soft pour notre temps, un eugénisme qu’il faut mettre en œuvre tout en sauvant les apparences, en le parant d’un mot magique et fédérateur : le progressisme...
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