LA VERSION DES SEPTANTE (IIIème SIÈCLE)
Un événement qui eut dans l’histoire des religions des conséquences formidables, se passa dans ce siècle (de 286 à 280). On traduisit en grec l’antique Sépher, remanié par Esdras.
Tant que cette version dénaturée demeura confinée dans le petit monde juif, elle eut peu d’influence sur les idées du temps.
En se présentant traduite dans la langue grecque, qui était alors répandue presque partout, ce livre entra dans le monde intellectuel où, par une fortune extraordinaire, il devait s’imposer et, finalement, servir de base aux trois grandes religions modernes.
L’histoire de cette version est obscure. On l’a, à dessein, remplie de légendes merveilleuses ou absurdes.
Les principaux documents qui racontent l’origine de la Version des Septante sont en désaccord sur les points essentiels.
D’abord il n’est question que de la traduction de la Loi (les livres du Pentateuque), puis de celle de tous les livres sacrés ; enfin on y ajoute encore celle de 72 livres apocryphes.
Constatons aussi que la légende, sous aucune de ses formes, n’existe encore du temps de Jésus, fils de Sirach (vers 130). Cet écrivain déclare que la version grecque des Saintes Ecritures était imparfaite. Or les légendes ne font que chanter sa perfection.
Le fils de Sirach, dans la préface de sa traduction de l’Ecclésiastique, parle des difficultés que présente une traduction de l’hébreu en grec : « Les mots hébreux, dit-il, n’ont point la même forme lorsqu’ils sont traduits dans une langue étrangère, ce qui n’arrive pas seulement, en ce livre-ci, mais la Loi même, les Prophètes et les autres Livres sont fort différents (dans leur version) de ce qu’ils sont dans leur propre langue ».
Si nous consultons les renseignements donnés par les Juifs eux-mêmes sur la Version des Septante, nous y trouvons une histoire des 70 traducteurs par Aristée, conservée jusqu’à ce jour.
Cet Aristée avait été officier de la garde de Ptolémée II qui vécut de 285 à 247. Il aurait écrit à son frère Philocrate l’histoire suivante :
Démétrius de Phalère, bibliothécaire de Ptolémée Philadelphe, interrogé par le Roi, lui apprit qu’il y avait chez les Juifs des livres dignes de trouver place dans la Bibliothèque du Roi, mais qu’il fallait les traduire, d’abord, en grec. Le roi envoya auprès du Grand-Prêtre Eléazar, à Jérusalem, et lui demanda de lui envoyer des hommes capables de traduire les Lois des Juifs. Eléazar choisit six hommes de chaque tribu, en tout 72 (1). Mais on préféra admettre un nombre rond, d’où, chez les Grecs, le titre : les Septante (Hoï hebdomekonta), chez les Latins Septuaginta.
Ces 72 docteurs, dont les noms sont cités, vinrent apporter au Roi un bel exemplaire du manuscrit, sur parchemin, où la « Loi de Moïse » était écrite en lettres d’or. Démétrius leur assigna une maison éloignée de tous bruits où ils se mirent à travailler ; ils employèrent 72 jours.
Leur travail achevé, on en fit la lecture devant une nombreuse assemblée de Juifs et d’Egyptiens, qui écoutèrent avec admiration, après quoi les prêtres, les vieillards, les conseillers du royaume et les chefs du peuple « dévouèrent à l’anathème » quiconque ajouterait quelque chose, ou même intervertirait l’ordre des caractères.
Dans tout ceci éclate la mauvaise foi de ces traducteurs qui défendaient aux autres ce qu’ils venaient de faire eux-mêmes
Ptolémée fut transporté (toujours d’après le même récit) lorsqu’il entendit lire ces saintes lois (celles d’Esdras).
Un jour qu’il s’en entretenait avec Démétrius, il lui demanda comment il se pouvait faire qu’étant aussi excellentes, nul historien et nul poète n’en eût parlé (ceci nous apprend que les historiens et les poètes tenaient en mépris le livre d’Esdras).
Démétrius répondit que, comme elles étaient toutes Divines, on n’avait osé l’entreprendre, et que ceux qui avaient été assez hardis pour le faire en avaient été châtiés par Dieu (voilà les divagations qui commencent).
Que Théopompe, ayant eu le dessein d’en insérer quelque chose dans son histoire, perdit l’esprit pendant trente jours. Mais qu’après avoir reconnu, dans des moments de santé, et dans un songe, que cela ne lui était arrivé que pour avoir voulu pénétrer les choses divines et en donner la connaissance aux hommes profanes, il apaisa la colère de Dieu par ses prières et rentra dans son bon sens.
Tout ceci a pour but d’expliquer le silence des auteurs du temps sur une œuvre qu’ils devaient tenir en profond mépris, s’ils la connaissaient ; mais on la cachait aux gens instruits, dont on craignait le jugement…
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