Un peu de lecture vous feras pas de mal ! Car n’est pas historien qui veut. Pardon pour la longueur.
Conférence par le fr. Jean-Michel Potin, o.p. Le 12 mars 2006
De toutes les institutions du passé, l’Inquisition a le bénéfice de provoquer encore des passions déchaînées. Au point que l’Église doit aujourd’hui se pencher sur elle, sur son action et sur ses effets afin de savoir si et comment demander pardon. Une quantité innombrable de livres, d’études, de colloques ont eu lieu ces dernières années pour faire le point sur cette institution judiciaire et néanmoins ecclésiale. Entre fantasme et sources historiques, nous suivrons durant cette conférence une procédure classique de l’institution judiciaire, puis nous tenterons de démêler quelques éléments de fond qu’inspire cette procédure, parmi lesquels nous verrons la relation entre l’Évangile et la justice des hommes, la parole et la torture, ainsi que les questions politiques qui entourent la naissance de l’Inquisition, et enfin l’influence que cette institution a eue sur notre système judiciaire actuel.
L’Inquisition languedocienne
(XIIIe-XIVe siècles)
Un historien de l’Inquisition disait un jour : « Vous pouvez dire ce que vous voulez sur l’Inquisition, les gens ne vous croiront que si vous confirmez leurs fantasmes sur elle ! »
En effet, il est assez étonnant de voir comment l’Inquisition, après près de 800 ans, nourrit encore les indignations, les colères, les passions.
Et tout travail de l’historien semble inopérant quand il démontre que l’institution n’a pas été forcément ce que l’on en dit. Peu importe. Les gens ne veulent entendre qu’un discours sur l’Inquisition, c’est celui qui correspond à leur indignation.
Face à cela l’attitude qui consisterait à considérer les gens comme sourds, butés n’est pas bonne, il faut aller plus loin.
Une autre personne me disait un jour : « Si l’Inquisition est un tribunal de l’Église, c’est qu’elle a quelque chose à voir avec le Christ » et je crois que c’est cette permanence (quelque chose à voir avec le Christ) qui concerne ceux qui se sentent concernés par le Christ.
Mais de plus, si cela a quelque chose à voir avec le Christ, l’Inquisition a aussi quelque chose à voir avec d’autres notions essentielles (au sens où elles font partie de son essence) de l’humanité : la vérité, la justice, la relation entre la vérité et la justice, la question de l’aveu, de la torture de la relation entre la parole et la torture. Je viens en deux phrases de parler de trois questions actuelles : La parole est-elle capable de blasphème ? Le parlement doit-il légiférer en matière de vérités historiques ? et la parole des enfants d’Outreau a-t-elle plus d’importance et pourquoi que la parole des accusés ?
Et de fait l’Inquisition semble être un sujet « total » puisqu’elle ressort à la fois à l’étude de droit (évolution du droit romain, implication droit ecclésiastique, droit civil et droit pénal...), à l’étude de l’histoire intellectuelle (comment se forgent les vérités et quel rapport les époques entretiennent-elles avec elle), à la théologie (rapport à l’Écriture sainte, rapport à l’eschatologie, le mal). Tout cela en plus sur une période considérablement longue puisqu’elle va en ce qui concerne l’institution du début du XIIIe siècle au début du XIXe siècle.
Puisqu’il faut se mettre d’accord sur une définition de l’Inquisition, je vous propose la suivante, basée sur l’étymologie du mot : c’est la recherche au XIIIe siècle des hérétiques, leur jugement et leur condamnation par le bras séculier. C’est l’enquête d’office qui se différencie sur le plan judiciaire du système accusatoire ou il faut la parole d’un accusé pour qu’il y ait procès. Le mot Inquisition insiste donc sur la question de l’enquête, il s’agit d’aller débusquer l’hérésie plutôt que d’attendre une plainte.
Je différencie ainsi l’Inquisition de la dénonciation de l’hérésie qui est aussi ancienne dans l’Église que l’Église ellemême et qui perdure encore aujourd’hui. En effet, on peut trouver l’origine de la lutte contre l’hérésie dans le Nouveau Testament (« Il y a là [Éphèse] des gens qui enseignent de fausses doctrines et il faut que tu leur ordonnes de cesser » (1 Tm 1, 3) ; De même le combat contre l’hérésie continue dans l’Église par le biais de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (présidée actuellement par Mgr Levada). C’est une congrégation qui a changé souvent de nom, montrant peut-être par-là la difficulté à assumer l’aspect disciplinaire en matière de foi de l’Église. Elle s’est en effet appelée en 1542 : « Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle » puis « Sacrée Congrégation du Saint-Office » en 1908 jusqu’en 1967 où elle a pris son nom actuel.
Ainsi je situe chronologiquement l’Inquisition du début du XIIIe siècle.
Je ne traiterai que l’Inquisition languedocienne. Je ne parlerai pas de l’Inquisition espagnole (fin XVe et qui dure jusqu’au début du XIXe siècle) ni de l’Inquisition que l’on qualifie de romaine (du Concile de Trente jusqu’à aujourd’hui) même si l’Inquisition languedocienne est également romaine. Non pas qu’il n’y ait pas de lien entre toutes ces inquisitions mais parce qu’elles demanderaient des traitements particuliers. Rien ne m’empêche de répondre à vos questions après la conférence.
On peut relever seulement que ces autres Inquisitions ne se sont pas tant intéressées à l’hérésie (peut-être pour la simple raison que la première l’avait fait disparaître) qu’à d’autres catégories de « déviants » : on connaît bien sûr la chasse aux sorcières au XVe siècle, la chasse aux juifs et musulmans convertis en Espagne au XVIè siècle ainsi qu’aux sodomites,aux prostitués etc...
Pourquoi se contenter du Languedoc pour le XIIIe siècle ? Parce que même si elle existe ailleurs, c’est en Languedoc qu’elle est le plus symptomatique et exemplaire. Elle apparaît en Allemagne en même temps qu’en Languedoc mais elle disparaît vite après les abus de l’inquisiteur Conrad de Marburg en 1233 et ne réapparaît qu’en 1369. Elle n’apparaît en Angleterre et en Suisse romande qu’au début du XVe siècle. Dans ces trois derniers cas l’Inquisition ne s’occupe que des sorcières et non des hérétiques. Quant à l’Italie, les villes étant divisées entre l’influence de l’Empire et celle de la Papauté, toutes les villes sous influence impériale refusent que le Pape se mêle de la justice de leur juridiction. Et je ne parle pas de ville comme Venise, tellement jalouse de son indépendance que l’Inquisition n’y aura jamais aucun tribunal, les doges se chargeant de faire régner la justice. Enfin, l’Espagne est encore en guerre contre les musulmans et si l’Inquisition existe en Castille, elle est inconnue en Aragon. Elle se rattrapera amplement au XVIè siècle.
Nous n’avons que peu d’informations sur les autres parties de l’Europe : le Nord et l’Est, même si nous savons que des Inquisiteurs se baladent dans ces zones-là.
Attention à ne pas confondre l’Inquisition et la Croisade contre les Albigeois. Même si l’ennemi est le même (cathare),la procédure et l’objectif sont distincts. La Croisade est une guerre, elle débute le 10 mars 1208 après l’assassinat d’un légat pontifical et s’achève le 16 mars 1244 avec la chute de Montségur, dernier château cathare. L’objectif de la Croisade est l’éradication de toutes structures politiques soutenant les Cathares. À la différence de l’inquisition, qui fait des enquêtes personnelles, la croisade tente de détruire les fondements politiques, sociaux et culturels de l’hérésie. La phrase d’Arnaud Amalric, « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », même si elle est apocryphe, dit bien que le principe est l’éradication de toutes bases hérétiques.
De toute façon, ce qu’une époque dit de l’Inquisition renseigne plus sur cette époque que sur l’Inquisition.
Pour continuer lire la suite en pdf : http://saintebaume.dominicains.com/IMG/pdf/Inquisition.pdf
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