Précipitations intenses en Asie, canicule en Russie, vagues de froid ou de chaleur... La paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte répond aux questions de Maxisciences et évoque les événements climatiques de ces dernières semaines.
Pensez-vous que la
canicule ayant touché la Russie, ou que les épisodes de fortes
précipitations survenus ces dernières semaines en Inde ou au Pakistan
soient dus au réchauffement de notre planète ?
Valérie Masson-Delmotte : "On
ne peut jamais faire le lien entre un événement isolé et une évolution
sur le long terme : seule compte la fréquence de ces événements. La
question que l’on doit se poser, c’est ’que peut-on attendre d’une
augmentation de la concentration en gaz à effet de serre dans notre
atmosphère ?’. La réponse, c’est un réchauffement. C’est de la physique
de base et c’est ce que tous les travaux de modélisation montrent. On
réduit souvent le climat à la seule température, mais l’effet de serre
qui entraîne un réchauffement des basses couches de l’atmosphère
modifie également la quantité de vapeur d’eau qui y est stockée. Tous
les modèles de climat montrent que le réchauffement climatique
s’accompagnera d’épisodes ponctuels de très fortes précipitations. Des
vagues de chaleur plus fréquentes, des grands froids plus rares en sont
d’autres conséquences. Ce n’est donc pas une surprise d’observer des
canicules qui sortent complètement des écarts types généralement
observés, ou des inondations provoquées par des pluies de mousson très
intenses« .
Ces événements hors-normes sont donc des conséquences directes du réchauffement terrestre ?
VMD : »Je
ne peux pas l’affirmer. Ce n’est en revanche pas une surprise
d’observer ce type d’événements ponctuels. En Russie, la canicule
observée sortait de trois écarts-types de la gamme moyenne observée. On
peut comparer ce phénomène à la canicule de 2003 qui avait frappé
l’Europe de l’ouest. Toujours en Europe, l’hiver dernier a été
également surprenant. La situation météorologique a été exceptionnelle,
avec des vents apportant de l’air froid depuis le nord de l’Europe. On
aurait pu s’attendre à des températures qui battent tous les records de
froid, alors qu’on a observé une anomalie froide, mais pas
exceptionnelle : cet exemple montre la juxtaposition entre la
circulation atmosphérique ponctuelle, régionale et la tendance au
réchauffement« .
Que pensez-vous du traitement politique réservé au problème du réchauffement climatique ?
VMD : »On
observe une vraie prise de conscience à grande échelle, mais aussi de
réelles difficultés économiques et politiques en termes de partage des
coûts liés aux politiques climatiques, tant pour la maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre que pour l’adaptation. D’un côté, il
y a des pays qui veulent se développer et de l’autre, des nations qui
ne veulent pas payer pour leurs activités passées, même s’il y a une
vraie responsabilité historique des pays occidentaux. Personnellement,
je reste convaincue que sans engagements précis, on se dirige vers un
changement climatique fort« .
Comment dans ce cas répondre à cette problématique complexe ?
VMD : »Il
faut une mobilisation forte du pouvoir politique. Le problème, c’est le
décalage qui existe entre les intérêts politiques et industriels qui
induisent une projection sur 5 ans tout au plus, et les conséquences à
long terme, dans une trentaine d’années par exemple. Si l’on devait
poser une question un peu « philosophique », ce serait : ’Qu’est-ce que le progrès dans un monde qui n’est pas infini en matière de ressources et de déchets ?’. Répondre à cette question, c’est répondre au problème du réchauffement« .
Avez-vous personnellement réussi à y répondre ?
VMD : »Je
suis moi-même élue locale, donc je connais les difficultés à concilier
le dynamisme économique, la justice sociale et les enjeux
environnementaux. Il n’y a pas de réponse toute faite, mais vraiment
une solution à imaginer. Sans alarmisme et sans naïveté, il faut
d’abord construire une culture de ces problèmes environnementaux et
mettre les connaissances scientifiques à disposition de tous« .
Y a t il d’après vous une volonté délibérée de semer le doute dans l’opinion publique ?
VMD : »Dans son livre Merchants of doubt,
Naomi Oreskes démontre précisément comment des groupes d’intérêts
américains et certains scientifiques se sont arrangés pour semer le
doute dans l’opinion publique, sur des sujets aussi variés que le
tabac, les pluies acides ou le réchauffement climatique. Il y a chez de
nombreux climato-sceptiques une volonté orchestrée de semer un doute
qui n’a rien de scientifique. Je suis tentée de dire qu’aujourd’hui, il
y a des faits scientifiques qui dérangent, et des mensonges qui
arrangent".
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