Des courriers administratifs confidentiels affichés dans la salle des professeurs d’un collège
L’administration de l’Éducation nationale n’en finit pas d’étonner. Son mépris de la loi ne semble pas avoir de bornes. Pourquoi se gênerait-elle, il est vrai ? Ses membres sont quasiment assurés de l’impunité. Non seulement dans la bonne logique du couvreur d’ardoises ou de tuiles, l’échelon supérieur couvre systématiquement l’échelon inférieur, mais l’appareil judiciaire court à leur secours s’il arrive par mésaventure qu’un inconscient leur cherche noise. Nombre de ces méthodes ont déjà fait l’objet d’articles sur Agoravox auxquels on peut se reporter.
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En voici une nouvelle qui semble bien être une première et qui montre à quel point le droit n’est même plus un souvenir dans cette institution où règne le caprice des hiérarques.
Un blâme en guise de réponse à un appel au secours
Dans un collège du Sud de la France - Peu importent les noms ! Ce sont les méthodes qui intéressent - deux professeurs ont eu l’incongruité, en octobre 2006, de se plaindre d’être l’objet d’un harcèlement moral de la part de leur cheftaine d’établissement dans une lettre adressée au recteur : elles ne supportent plus d’être, par exemple, injuriées publiquement. Quelle idée ! Un témoin extérieur à l’établissement rapporte ainsi que devant lui la principal les a traitées de « fouteuses de merde ». Elles informent le recteur qu’elles ont déposé plainte au commissariat de police. Elles ont pour défaut, c’est vrai, de demander le respect des règles.
La réponse du recteur ne se fait pas attendre : il envoie trois inspecteurs qui, après leur visite, concluent bien évidemment que tout le mal vient de ces deux professeurs à qui il convient « de rappeler les devoirs de leur mission » ! Et ils conseillent de « sanctionner leur déloyauté » par « un blâme au minimum ». Le recteur suit le conseil : les blâmes tombent en mars 2007 !
La violation par la principal du secret de la correspondance administrative
Les deux professeurs en restent abasourdies, mais ne désarment pas. Elles croient encore à l’honnêteté de leur hiérarchie. Elles saisissent le recteur par voie hiérarchique d’un recours gracieux en avril 2007 pour demander l’annulation du blâme injustifié. Or, que découvrent-elles quelques jours après l’envoi de leur courrier ? La copie de leur lettre s’étale sur un tableau d’information administrative de la salle des professeurs, portant le tampon d’enregistrement du collège. Elles ont le bon réflexe de prendre des photos et de saisir à nouveau par voie hiérarchique le recteur d’une demande de protection statutaire, puisque ce nouvel agissement qui s’ajoute aux autres, est une attaque manifeste à l’occasion de leurs fonctions.
Or, quelques jours après, au cours du mois de mai 2007, rebelote ! Une copie de leur deuxième courrier portant le tampon d’arrivée au collège est affichée pareillement sur le même tableau de l’administration.
Le refus du recteur d’accorder la protection statutaire
Deux mois après, l’absence de réponse du recteur valant refus implicite de protection statutaire, les deux professeurs se sont donc tournées en octobre 2007 vers le tribunal administratif pour lui demander d’annuler comme illégal le refus de protection statutaire qui leur était due puisque la publication de leur courrier administratif confidentiel était bien une attaque à l’occasion de leurs fonctions. Or, au reçu de la requête de l’une d’elles transmise par le tribunal administratif, le recteur fait le mort. Il faut une mise en demeure du tribunal pour qu’il daigne présenter ses observations. Et encore ! Le tribunal lui donnant en janvier 2008 un délai de trente jours pour y répondre, il se permet de ne répondre qu’à la mi-avril !
L’argumentation des victimes
Il faut croire que le recteur s’est retrouvé dans le plus grand embarras pour justifier l’injustifiable. Car la malveillance de la principal, si promptement exonérée par les inspecteurs, peut-elle être niée cette fois, rendant crédible le harcèlement dénoncé originellement ? N’a-t-elle pas montré son animosité à l’égard des deux professeurs en allant jusqu’à commettre une faute personnelle grave qui est pour un agent public un manquement inexcusable à ses obligations d’ordre professionnel et déontologique. Elle a rendu public, en l’affichant par deux fois, le courrier confidentiel que les deux professeurs adressaient au recteur dans le cadre d’un recours gracieux très réglementairement acheminé par la voie hiérarchique. Un fonctionnaire d’autorité, même médiocre, peut-il soutenir qu’il ignorait que le courrier administratif qui transite par voie hiérarchique, fût confidentiel.
Ce manquement ne peut être que volontaire et réfléchi puisqu’il s’est produit deux fois de suite, ce qui le rend particulièrement inexcusable. La principal ne pouvait donner meilleure preuve de son animosité envers les deux professeurs, au point de se croire autorisée à s’affranchir des obligations de la loi et des devoirs de sa charge pour leur nuire auprès de la communauté scolaire : les droits de la défense par recours gracieux ou hiérarchique sont ainsi stigmatisés aux yeux de tous comme une marque de rébellion !
Un recteur au secours de sa principal
Surprise ! Le recteur ne nie pas les faits : « Il n’est pas contesté, reconnaît-il, que les recours, adressés par la voie hiérarchique, ont fait l’objet d’un affichage sur un tableau d’information administrative du collège. » Tout est dit ? Pas du tout ! Nouvelle surprise ! Le recteur n’avoue les faits que pour mieux les justifier.
1- Une responsabilité prétendument partagée !
Il ose d’abord sans rire imputer à la victime une part de responsabilité dans ce comportement à la fois délictueux et délictuel de la principal ! « Si l’affichage incriminé n’est pas contesté, accuse-t-il, il s’inscrit dans un climat de tension dont la requérante a été une des protagonistes qui était de nature à favoriser la "faute" dont elle fait grief à son chef d’établissement. »
On appréciera les guillemets qui minimisent le mot « faute » ou qui indiquent que, pour le recteur, rendre public un courrier administratif confidentiel qui lui est adressé par voie hiérarchique, ne peut être qualifié de faute ! C’est vrai, c’est un délit ! Il ne reprend pas, en tout cas, le mot « faute » à son compte !
En quoi, pourtant, la victime peut-elle avoir une part quelconque de responsabilité dans cette violation de la loi en ayant, selon la règle d’acheminement du courrier hiérarchique, veillé à adresser l’original de ses recours gracieux par la voie hiérarchique ? On peut être sûr que, si elle l’avait court-circuitée, on ne se serait pas privé de le lui reprocher ?
Pouvait-elle seulement imaginer que son animosité à son égard conduirait la principal à perdre le sens et tout contrôle d’elle-même au point d’en venir à afficher en salle des professeurs deux courriers confidentiels adressés au recteur sous son couvert ? La voie hiérarchique est-elle donc faite, selon ce recteur, pour que chaque échelon puisse décider à sa convenance de rendre public la teneur des courriers qui transitent par lui ?
2- Une voie de fait niée contre toute évidence
En se référant ensuite aux cas cités par la loi qui lui fait obligation d’accorder la protection statutaire - menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages - le recteur ose ensuite chipoter sur la qualification de cette violation du secret de la correspondance administrative : il nie qu’elle soit une voie de fait. Qu’est-ce donc alors ? Un acte de bienveillance ? Ignore-t-il donc l’article du Code pénal qui la réprime ? « Art. 432-9. - Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l’ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »
3- Un leurre de diversion
Il tente même de faire croire au tribunal que la demande de protection statutaire de la professeur, portait sur « les observations sur (sa) manière de servir » et était donc sans objet. Il faut être atteint d’illettrisme pour ne pas voir qu’elle était uniquement motivée par la voie de fait d’une principal qui avait osé rendre public par animosité un courrier administratif confidentiel. Sans vergogne, le recteur cherche à faire diversion et à abuser le tribunal.
Il nie enfin que la victime ait pu souffrir d’un quelconque dommage : à tout le moins, il demande au tribunal de le relativiser ! Et, pourtant, ce préjudice ne saute-t-il pas aux yeux quand un chef d’établissement ose violer la loi sur la confidentialité de la correspondance administrative pour faire croire aux professeurs de l’établissement qu’un recours gracieux est illégitime et que l’usage légal de ce droit reconnu à la défense est la preuve d’une malignité de celui qui y recourt ?
Mesure-t-on bien le fond où on est tombé aujourd’hui ? Être obligé de saisir un tribunal pour dire le droit dans un cas d’espèce aussi évident ? Le préjudice subi ne s’en trouve-t-il pas aggravé ? Le droit est-il aujourd’hui à ce point méprisé ? Oui, l’administration de l’Éducation nationale paraît avoir oublié que c’est le droit qui régit les relations sociales et non le caprice de l’autorité.
Mais existera-t-il des juges assez courageux pour le lui rappeler... dans deux ans ou plus ? Le climat d’aujourd’hui n’incite pas à l’optimisme. Quand bien même ils existeraient, ça n’empêchera pas demain d’autres hiérarques de se lancer dans de nouvelles violations de la loi, puisque, quelles que soient les décisions de justice, ils savent qu’ils n’auront jamais à en supporter les conséquences : l’irresponsabilité de fait est devenu un privilège implicite de leur statut. Paul Villach
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