Les parents sont-ils responsables des mauvaises orientations prises dans l’éducation nationale ? Ou serait-ce les enseignants ou la hiérarchie du « mammouth » ? La réponse semble mitigée.
On m’a récemment reproché de mettre les parents en accusation, et d’opposer systématiquement le « bon prof » au « mauvais parent ». Ce n’est pas du tout mon but, ne serait-ce que parce que beaucoup de professeurs sont des parents, et beaucoup de parents sont des enseignants.
Il existe des parents et des professeurs « responsables », et il en existe d’autres. Mon expérience de parent m’a appris que ce n’était pas toujours rose, qu’il fallait parfois avancer sur du velours pour ne pas arriver au crash pur et définitif, et que l’irruption des jeux vidéo à l’intérieur des foyers n’était pas sans poser de graves problèmes lorsqu’on a un enfant qui « ne désire faire que ça ». C’est un problème parmi tant d’autres, c’est vrai.
Lorsque j’étais enseignant en collège, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de parents qui s’intéressaient vraiment à leurs enfants et tentaient par tous les moyens de leur faire réussir leur socialisation et leurs apprentissages. Du moins dans les « bonnes » classes, et les classes « moyennes ». Dans d’autres sections, celles qui posaient le plus de problème, on voyait très peu de parents venir assister aux réunions, ce qui n’était certainement pas dû au hasard.
Il n’y a donc pas de modèle de parent unique ni de « prof » unique. Il existe des cas de parents laxistes, peu intéressés par leurs enfants, et des cas de professeurs peu motivés par leur métier. C’est vrai.
Au niveau de la discipline, les heures de retenue existent encore en théorie dans les établissements, mais lorsqu’elles sont utilisées, elles doivent l’être avec une telle parcimonie qu’elles en deviennent inefficaces. Il faut être parcimonieux dans leur utilisation parce que c’est la double peine pour le professeur qui devra corriger un devoir de 3h donné un samedi, parce qu’il n’y a pas assez de surveillants pour prendre en charge les collés éventuels, parce que l’administration aura tôt fait de classer comme « raté » et « incapable » le professeur qui enverrait trop d’élèves en retenue : un par semaine semble déjà excessif, pourtant avec 5 classes de 25 élèves chacune, cela correspond à un élève sur 125 par semaine, ce qui n’est pas rocambolesque...
Je me rappelle du collège de Briey où j’ai débuté comme enseignant. La première chose que le principal m’a dite en arrivant était de ne pas utiliser les heures de retenue qui étaient inscrites dans le règlement intérieur, et qu’en fait elles étaient plutôt réservées à l’administration qui n’avait pas beaucoup de moyens de pression sur les bambins. Je comprenais vite que, personnellement, je ne devais éventuellement retenir qu’un ou deux élèves pendant l’année scolaire, et qu’il était vital de trouver d’autres solutions pour survivre et arriver à créer une atmosphère studieuse dans mes classes.
Et les recherches en éducation vont dans le même sens : il faut dialoguer avec l’élève même s’il a tendance à passer l’heure de cours à jouer avec son compas avec l’envie visible de le planter sur la main de son voisin… Oui, j’en ai eu un comme ça en collège quelques années plus tard, qui s’ennuyait à mourir dans cette classe où ce que l’on faisait ne l’intéressait pas, et attendait d’avoir 16 ans pour quitter cette galère. Cela se voyait bien.
Par ailleurs, cet élève avait déjà une vie « bien remplie » hors du collège : il venait avec des tas de chaînettes en or et de boucles d’oreilles trouvées (arrachées) on ne sait où, qu’il montrait à des filles dans les couloirs pour leur proposer je vous laisse deviner quelles tractations… Il venait une fois sur deux dans mon cours, disparaissait parfois pendant plusieurs semaines, et quand il était dans ma classe, il ne faisait strictement rien. Par chance il acceptait le statut quo que je lui proposais pour qu’il ne « pourrisse » pas l’atmosphère et me permette de travailler avec les autres élèves. J’avais bien essayé de le motiver en lui donnant quelques strokes positifs (à l’époque, j’étais très branché « analyse transactionnelle » dans ma classe, après avoir lu le livre d’Eric Berne intitulé Que dites-vous après avoir dit bonjour ?), mais sans succès, et j’avais fini par lui faire comprendre que je ne l’embêterai pas s’il ne nous embêtait pas et nous laisser « nous amuser à faire des maths ». J’ai toujours envisagé les maths comme un jeu ou un art, ce qui plaisait à un certain nombre d’élèves, mais ne fonctionnait pas pour tous et surtout pas avec ceux qui étaient en situation d’échec depuis des années et ne restaient plus dans les classes indifférenciées du collège que pour attendre que cela finisse à leurs seize ans : ils ne voulaient plus jouer.
J’avais eu de la chance que cet élève accepte ce deal. C’était juste son compas que j’essayais de lui faire « gentiment » ranger quand il jouait trop avec, car je devais protéger les autres élèves (et les tables !). Je le surveillais donc toujours d’un œil, et, heureusement, il passait la majeure partie de son temps à dessiner sur son jean avec des feutres. De temps à autre, je tentais de le faire participer, en vain. D’autres collègues eurent des problèmes graves avec, mais moi, je ne l’ai jamais collé même s’il ne faisait rien en classe : il faut des raisons plus graves.
Bref un mauvais professeur utilise des colles et sera catalogué comme tel très rapidement. Les sanctions tomberont : il aura un emploi du temps à trous et uniquement des classes à problèmes l’année suivante. Quand on débute dans le métier, il faut bien se rentrer dans la tête que les colles n’existent plus !
Plus de colles ! Qui est responsable ?
D’autres questions se posent : qui a décidé des programmes enseignés ? Qui les applique ? Qui a décidé de l’architecture des filières au lycée ? Qui a décidé de l’éclatement du savoir enseigné en une myriade de compétences diverses et variées ? Qui a décidé des compétences à posséder et de la nature de leur évaluation ? Qui abandonne les professeurs à l’agitation de classes surchargées sans leur donner les moyens d’agir radicalement contre ceux qui empêchent les autres de travailler ?
On m’a récemment dit que les responsables n’étaient pas les parents, comme on l’entend souvent, mais la hiérarchie et le « mammouth ». Personnellement, je pense que la responsabilité des choix pédagogiques, des programmes, de l’orientation, des cursus et des méthodes éducatives ne revient pas à tel ou tel groupe comme les parents, les enfants, les professeurs, les politiques (qui ne font qu’appliquer ce qu’ils peuvent appliquer compte tenu du mandat limité dans le temps qui leur est donné et de l’opinion publique qui les surveille), les didacticiens, la hiérarchie… En fait les choses évoluent ainsi de façon très naturelle, et tout le monde est responsable. Il s’agit d’une responsabilité collective menant à des choix qui doivent manifestement satisfaire beaucoup de monde. Sinon ces choix ne seraient pas faits.
Un exemple : il n’y a pas si longtemps, tous les parents imaginaient que la section C était une section d’élite où il fallait absolument placer ses enfants même s’ils n’avaient aucune accointance pour les sciences ni pour la carrière scientifique. Pourtant la voie professionnelle était souvent un bon choix à faire, une voie littéraire de qualité permettait d’accueillir des élèves qui réussiraient largement dans leur vie professionnelle, travailler les sciences économiques intéressaient certains jeunes gens, et toutes ces orientations auraient dû pouvoir assurer l’épanouissement de chacun dans une direction privilégiée, dans un domaine où il se serait senti appelé et motivé.
Et bien non : à une époque il existait une sélection à l’entrée de la seconde C pour que les cours scientifiques puissent profiter réellement à ceux qui s’engageaient dans cette voie, et, par voie de conséquence, on faisait réellement dès la seconde un bon travail dans les matières scientifiques, un travail rigoureux et porteur de sens. Mais on a supprimé cette section C et la classe de seconde est devenue indifférenciée. Tout le monde devait être heureux de cela : finit la sélection à l’entrée en seconde, tous les enfants pourront suivre le même enseignement dans cette classe ! Il y eut un seul perdant, l’élève qui avait envie de se spécialiser dans les sciences : il attendra.
Actuellement, c’est la première qui devient indifférenciée : seulement 4 heures de maths en première S au lieu de 6 heures, et 36% d’enseignements scientifiques dans cette classe, toutes sciences confondues. La section S n’est plus une section scientifique. Mais encore une fois tout le monde est content car tout le monde veut et peut aller en section S. Les parents sont fiers, le ministère fait plaisir aux parents et baisse le niveau d’exigence au BAC (j’en parle longuement dans mon livre Délires et tendances dans l’éducation nationale), brouillant ainsi les pistes et assurant la réussite de sa politique. Il y a beaucoup de gagnants dans cette histoire, mais encore un perdant : l’élève qui avait les moyens de travailler les sciences pendant au moins la moitié de son temps hebdomadaire au lycée pendant trois ans, et qui attendra les autres pendant ces trois ans, pour ensuite arriver à la fac et attendre un semestre de plus pour choisir enfin ce qu’il veut faire ! Il y a aussi un autre perdant de taille : la formation scientifique des ingénieurs et des chercheurs français.
Quand je parle « d’élève scientifique », je n’oublie pas les autres et je sous-entends qu’on pourrait faire de même dans les autres domaines. Le mieux ne serait-il pas d’orienter les élèves dès l’entrée en seconde dans des voies d’excellence en langue, en lettre, en sciences, en sciences économiques et sociales, en sciences de l’ingénieur, en enseignement professionnel, avec une « petite sélection » à l’entrée pour ne retenir que ceux qui ont la capacité de tirer profit de ces enseignements, et que l’on accueille les élèves qui n’ont pas les capacités requises ou qui ne désirent pas faire de choix précoce, dans des sections généralistes de qualité organisées autour de certains thèmes, comme l’est actuellement la filière S ?
Mais les parents frémissent quand ils entendent parler de sélection, et les politiques emboîtent le pas car, ma foi, trois années d’études en plus après le BAC pour pallier au manque de travail abattu au lycée, cela fait autant de chômeurs en moins et une entrée dans le métier à un âge avancé, donc moins de retraites à payer. Quant aux pédagogues amateurs de pédagogies douces où l’élève doit construire tout seul son savoir, même s’il lui faut gaspiller trois ans pour comprendre le sens d’une division, n’est-il pas heureux d’avoir du blé à moudre, à moudre, et à moudre encore ? Je vous l’ai dit, beaucoup de monde a intérêt à ce que les choses soient ainsi, et personne n’est responsable. Tout va bien !
Lu sur Wikipédia : la méthode globale de lecture a été inventée en 1787 par Nicolas Adam pour des enfants de familles riches, et demandait de ne travailler qu’avec un enfant à la fois, puis la méthode a été développée au début du XXe siècle par Ovide Decroly pour aider l’apprentissage d'enfants en difficulté qui n’arrivaient pas à lire par les méthodes habituelles. Cette méthode a été généralisée puis adaptée dans nos écoles pour des classes de 24 élèves. Bilan : on apprend à lire avec une méthode destinée à des enfants en difficultés ! A priori, on estime donc que tout élève « normal » est en difficulté grave avant même de commencer à suivre un enseignement. Ne voilà-t-il pas un prérequis étonnant ? Mais tout le monde est content puisque cela perdure…