François Bayrou de Navarre, ex-futur Premier ministre de France
30 novembre-2 décembre 2007 : fusion de l’UDF, adoption de nouveaux statuts longuement discutés, fondation du MoDem, élection de prince à sa présidence avec 96 %, popularité persistante, mais isolement politique, François Bayrou a fignolé son nouvel outil de combat.
Abraracourcix, le chef du fameux village gaulois d’Astérix, le dit et le redit sans cesse à qui veut l’entendre : s’il l’avait voulu, il aurait été sénateur à Rome nommé par Jules César. Mais il a préféré... ‘résister’.
Le week-end dernier (1er et 2 décembre 2007), les observateurs politiques ont pu apprendre une réalité de même type : s’il l’avait voulu, François Bayrou, fort de ses 18 % au premier tour de l’élection présidentielle, aurait pu devenir Premier ministre en mai 2007.
Premier ministre de Ségolène Royal
Entre les deux tours de l’élection présidentielle, Ségolène Royal lui avait en effet proposé, par messager interposé, d’être son futur Premier ministre, pour mieux affronter le candidat Nicolas Sarkozy.
Cette information fut d’abord démentie puis confirmée.
Le candidat centriste, qui ne croyait pas une seconde à l’élection de Ségolène Royal, avait refusé de donner une suite à la proposition, affirmant même qu’il avait refusé in extremis une rencontre secrète avec la candidate socialiste alors que cette dernière se trouvait déjà au pied de son habitation.
Il avait renoncé à la rencontre notamment pour couper court à toutes les supputations et mauvaises interprétations. À mon sens, inutilement, puisque lors de sa conférence de presse du 25 avril 2007, en affirmant clairement qu’il ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy, il s’était déjà engagé dans une voie bien différente du ’ni droite ni gauche’ de sa campagne électorale.
Premier ministre de Nicolas Sarkozy
Ce week-end, donc, on a aussi appris que François Bayrou, très courtisé entre les deux tours, aurait pu être le Premier ministre de Nicolas Sarkozy.
En effet, dès le lendemain du premier tour, Nicolas Sarkozy cherchait désespérément à le joindre pour le convaincre de se rallier au second tour à sa candidature.
Ne connaissant que les rapports de force, Nicolas Sarkozy aurait été en effet friand du ralliement du ’troisième homme’, valant plus de 18 %. Les ’poissons d’ouverture’ qu’il a pêché par la suite n’ont aucune comparaison par rapport à ce poisson en or centré.
Et d’après les proches de Nicolas Sarkozy, ce dernier lui aurait alors réservé Matignon en guise de gratitude.
Sans précédent dans l’histoire de la Ve République
Certes, aucun candidat élu à l’Élysée au second tour d’une élection présidentielle n’a jamais offert la direction du gouvernement au ’troisième homme’ de l’élection.
Ni Charles de Gaulle à Jean Lecanuet en décembre 1965 ; ni Valéry Giscard d’Estaing à Jacques Chaban-Delmas en mai 1974 ; ni François Mitterrand à Raymond Barre (lui aussi pour l’État impartial) en mai 1988 ; ni non plus Jacques Chirac à Édouard Balladur en mai 1995. On aurait aussi du mal à imaginer qu’en cas de réélection, Valéry Giscard d’Estaing eût proposé à Jacques Chirac une nouvelle fois Matignon en mai 1981.
Cela dit, n’ayant « aucun tabou », le président Sarkozy aurait pu en effet nommé sans ciller son concurrent dès mai 2007.
Un poste d’influence en fonction de l’homme
Et pourquoi pas ?
François Bayrou a expliqué a posteriori qu’il avait eu raison de refuser Matignon, en raison du très faible degré d’initiative du Premier ministre François Fillon sur les affaires de l’État, face à l’omniprésence de Nicolas Sarkozy.
Oui, mais François Fillon, à la bourse politique nationale, ne valait personnellement que très peu en comparaison avec les sept millions d’électeurs de François Bayrou, ce qui n’est pas rien (plus d’un million de plus que le nombre d’électeurs portés sur le candidat Jacques Chirac au premier tour de l’élection présidentielle de 2002).
Et il apparaît aujourd’hui évident (c’est ce que soutiennent d’ailleurs les députés du Nouveau Centre, anciens grognards de Bayrou) qu’un accord entre Nicolas Sarkozy et François Bayrou aurait eu une influence sur la marche des réformes, et notamment :
1. sur la loi Hortefeux qui n’aurait sûrement pas eu ses appendices sur les tests ADN et les statistiques ’ethniques’ ;
2. sur le déficit du budget qui aurait bénéficié d’une meilleure vigilance de la part du gouvernement.
D’autant plus que Nicolas Sarkozy s’est engagé résolument dans la voie du programme présidentiel de François Bayrou au moins sur trois points :
1. la construction européenne et la relance des institutions avec le Traité de Lisbonne qui reste, malgré ses défauts et la non-ratification par référendum, la meilleure réponse possible au référendum français de mai 2005, suivi par une étonnante passivité de Jacques Chirac, tétanisé par son échec référendaire (page 18 du programme) ;
2. l’ouverture politique qui a montré que Nicolas Sarkozy est allé très loin puisqu’il a attribué par exemple le quai d’Orsay à Bernard Kouchner, prêt à partir dans l’aventure Bayrou, et d’autres ministères à des personnalités de gauche (dont Jean-Marie Bockel), de la ’société civile’ (terme impropre pour désigner les ’non-professionnels’ de la politique) et de la ’diversité’ (anglicisme) comme Rachida Dati (page 2 du programme) ;
3. la suppression des cautions pour les locataires (page 9 du programme).
Tombé dans l’extrême-centrisme paradoxal
Alors, c’est très troublant que François Bayrou ait refusé cette perspective, grand potentiel d’influence personnelle sur le cours des événements. Il a au contraire préféré se séparer de ses parlementaires, et s’enfoncer dans une opposition systématique qui l’a fait tomber dans une sorte d’extrême-centrisme, qui se résume à : ’pas d’alliance à droite, et pas d’alliance à gauche’.
Un précepte électoralement très irréaliste pour arriver au pouvoir et qui ne peut se comprendre que par une ambition démesurée, celle de devancer l’actuel Parti socialiste, complètement éclaté et inaudible au niveau national, mais encore très solidement structuré localement.
Et une règle qui est paradoxalement le contraire de la stratégie du MoDem pour les élections municipales de mars 2008 : en fonction des situations locales, alliance avec la droite (Pau, Bordeaux...) ou alliance avec la gauche (Lyon, Dijon...).
Aut Caear, aut nihil
Alors, certes, François Bayrou a le droit de cultiver son ambition présidentielle pour 2012 (le site internet bayrou2012.fr a même été créé dès le 5 mars 2007 !), sur d’hypothétiques ruines du sarkozysme triomphant et une probable décomposition du Parti socialiste.
Mais je lui reproche avant tout d’avoir renoncé à toute contribution personnelle pouvant améliorer la situation française des quatre prochaines années, contribution qui aurait eu influence et efficacité décisives grâce à son poids électoral largement reconnu par Nicolas Sarkozy.
En agissant aujourd’hui ainsi, François Bayrou a fait éclater sa famille centriste, et a ’oublié’ l’intérêt immédiat de son pays. C’est dommage.
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