« Geronimo », inconscience ou lapsus mais en tous cas erreur
Entre Français, sans trop bien connaître l'histoire de cet Indien, nous semblons être une majorité à considérer qu'il avait de bonnes raisons de se révolter et probablement de tuer les Américains qui lui tiraient dessus.
( Pour en finir avec Geronimo entouré de 18 guerriers et 53 femmes et enfants, l'armée américaine lui a mis sur le dos 5000 hommes, 500 éclaireurs Apaches et des milliers de miliciens. Malgré ça, le rebelle a encore résisté pendant cinq mois)
Mais les Américains, qu'ils connaissent mieux que nous leur Histoire ou pas, ont probablement un avis inverse au nôtre. Sans rien en savoir vraiment, posons qu'il y ait 30% des Américains trouvant la résistance des Indiens légitime et 70% ayant un avis contraire. Là-bas, et sur ce sujet, il y aurait donc deux bien-pensance (qu'une pensée soit largement soutenue ou pas, du moment qu'elle est repérée et repérable c'est une bien-pensance. Il peut donc y en avoir plusieurs sur un sujet donné)
Aux EU, chacun ayant conscience qu'il existe deux courants de pensée concernant la légitimité de la lutte des Indiens, chacun émettra son opinion en tenant compte de l'analyse qu'il fait de son auditoire et de l'effet qu'il cherche à produire sur lui. Par exemple, quelqu'un voudrait faire une tranquille promenade à cheval dans les réserves indiennes, il dira, quand il passera une soirée avec des Indiens, que leur lutte avait été légitime. Il parlera dans le sens de la bien-pensance probable de ce groupe d'Indiens et passera une bonne nuit. Et s'il fait ensuite un passage dans un ranch de Blanc, ce promeneur va s'exprimer en versant dans le sens de la bien-pensance qu'il estime être celle des cow-boys. Il dira donc que la lutte des Indiens était vaine voire stupide et dormira tranquille.
Dans la pratique, vous le savez comme moi, le promeneur qui cherche à éviter les noises ira mollo sur les positionnements trop polémiques. En attendant de savoir quelle est exactement la position de ses hébergeurs, il parlera de la pluie et des nuages. Il cherchera à saisir le sens du vent, de la bien-pensance de l'endroit, avant de se prononcer.
Lorsque les temps sont calmes, un promeneur qui se montre trop prudent, qui ne dévoile pas sa position, est toléré. Mais lorsque les temps sont à la guerre, le promeneur trop neutre sera tout de suite suspecté et attaqué.
Lorsque quelqu'un du staff de la Maison Blanche a proposé d'appeler Ben Laden Geronimo, il ne se sera trouvé personne dans ce saint des saints pour protester puisque ce nom de code a été retenu. Ca indique que dans ce groupe, la bien-pensance affichée est largement cow-boyiste et que personne n'a osé ramer à contre courant en ces moments guerriers. Pour eux, il n'y a pas de lézard, Geronimo et ses guerriers étaient des salauds à tuer.
Le groupe de la Maison Blanche est donc dans la même mouvance ou bien-pensance que celle du grand-père de G W Bush qui avait trouvé normal d'extraire le crâne et quelques accessoires de la tombe de Geronimo et d'exhiber ces trophées dans une vitrine de son université de Yale.
Jusque là, au sein de ce cercle, pas de problème, pas d'état d'âme.
Mais autour de ces dirigeants, il y a 300 millions d'Américains. Même parmi les Américains Blancs, je serais étonné qu'ils soient tous à considérer que Geronimo était une déjection. Il y a probablement 20% des Blancs américains qui estiment que Geronimo avait eu raison de mener son combat. Et puis il y a les Noirs, les Latinos qui sont probablement neutres voire compréhensifs sur cette question de la légitimité de Geronimo.
Et il y a les Indiens eux-mêmes. Ils sont 3 millions.
Que certains Indiens aillent à considérer que les luttes jusqu'au-boutistes contre les Blancs étaient ridicules voire contre productives, c'est possible. Mais ces plus réservés des Indiens ne peuvent tout de même pas accepter que la lutte de Geronimo soit comparée à celle de Ben Laden. Enfin, il a certainement 2 millions d'Indiens considérant que le combat de Geronimo était tout à fait légitime et glorieux. Quelques uns n'ont d'ailleurs pas manqué de protester contre cet appariement non autorisé par eux.
S'il y a aux EU, une bien-pensance portée par 70% qui va à dire que l'appariement Ben Laden-Geronimo ne pose aucun problème, il y a 30% des Américains qui doivent être en train de ruminer dessus et quand ils auront formalisé une pensée protestataire, ils formeront une bien-pensance minoritaire mais remarquée.
Si les apparieurs cow-boyistes persistent et ne s'excusent pas, la rumination des 30% devra nécessairement déboucher sur deux options :
Soit reléguer Geronimo au rang de terroriste lâche.
Soit élever Ben Laden au rang de combattant légitime et courageux. Ce qui est plutôt plus facile à faire après sa mort que de son vivant (Che Guevara, qui a lui aussi exécuté froidement des gens désarmés, a commencé à devenir un mythe après sa mort). Et comme lors des 10 années passées on a pensé à tout sauf à étudier l'idéologie de Ben Laden, ses motivations, ses motifs de protestation, ces 30% vont les examiner de plus près et y verront forcément des choses pertinentes.
Dans le reste du Monde, seuls les plus américanistes ne voient aucune difficulté à cet appariement. Les autres, très nombreux, ruminent le morceau en attendant de trouver une rhétorique à déployer.
Dans cette rumination, il sera tenu compte des attentats du 11 sept. mais comme les complotistes imposent de plus en plus leur bien-pensance (qui représente peut-être déjà 60% du bruit) le sens de la lutte de Ben Laden peut facilement ressortir pertinent surtout si l'attitude US perdure et si de nouveaux arguments viennent conforter la thèse complotiste (Au fond, il ne peut qu'y en avoir de plus en plus)
Ce qui compte c'est le rapport de force entre plusieurs bien-pensance car c'est la plus puissante qui fait la vérité.
Les ruminations des uns et des autres aboutiront forcément à ce qu'on pose à la Maison Blanche les questions suivantes :
Le combat de Geronimo était-il légitime ?
Etait-il digne de respect et d'admiration ?
Est-il normal d'avoir profané sa tombe ?
Qu'elles soient en oui ou en non, ses réponses mettront le feu
Appendice 1
Le point Godwin provient du fait que Hitler est le seul personnage de l'Histoire faisant toutes les unanimités officielles contre lui en même temps qu'il est l'initiateur de l'ère du chiffrisme (victimes par millions, victimes industrielles, victimes de production, victimes en masse pour être victimes anonymes, victimes réduites à une odeur, une fumée, où le chiffre vaut plus que la personne). Comparer quelqu'un à Hitler, c'est chercher à le condamner également à cet isolement absolu.
A contrario, accoler le nom d'un terroriste à n'importe qui d'autre que Hitler, c'est lui donner une chance d'avoir de la compagnie.
Avoir accolé Ben Laden à Geronimo était soit une inconscience totale soit un lapsus révélant que pour White House, Ben Laden était d'une sous-espèce à traiter comme celle des Indiens et vouée à l'extinction.
Les Indiens se sentent rabaissés par leur comparaison avec Ben Laden et les Arabes se sentent rabaissés par leur comparaison avec les Indiens. Ces deux parties se plaignant de la même chose, elles peuvent trouver intéressant de rejoindre leurs efforts.
Appendice 2
Après le démarrage de l'affaire Geronimo, qui remonte à quasiment un an déjà, les stratèges de White House ont eu une autre opération à conduire, concernant la Libye et qu'ils sont codée Aube de l'Odyssée.
Or dans l'Odyssée, en tous cas à la fin de l'Iliade, se situe une des scènes les plus dramatiques et dures : celle ou Achille, fou de rage, traîne le corps d'Hector sous les remparts de Troie à la vue des Troyens épouvantés et de sa famille effondrée. Sa colère apaisée, Achille avait tout de même fini par rendre ce corps.
Lors de la bataille de Mogadiscio en 1993, (Cf. La chute du faucon noir) comme ça s'était mal passé et que des soldats US étaient tombés entre les mains du chef de guerre qu'ils avaient cherché à éliminer, l'Amérique eut à se cogner les images de leur soldat traîné derrière une voiture.
La chute d'un hélicoptère, la possibilité de tomber dans un nid de guêpes et de laisser des hommes entre les mains de l'ennemi sont des mauvaises tournures qui n'ont alors plus jamais cessé de hanter les stratèges US (Que le Viet Nam avait déjà bien échaudés)
Du coup, les Américains ont une vision des choses qui tourne constamment autour de ces horreurs à éviter aux leurs mais à infliger aux autres. Les mauvais traitements qu’ils font constamment subir à leurs prisonniers, cette manie de soustraire les cadavres à leurs familles ou de confisquer des ossements, de contrevenir aux transcendances de leurs prisonniers, de les utiliser même pour les violer jusque dans l'âme, c'est leur névrose guerrière. On ne peut pas voler les cadavres et torturer les gens en utilisant leurs croyances tout en étant honnête homme.
Appendice 3
A l'époque, Geronimo avait certes failli être exécuté mais les Chefs Blancs avaient hésité et finalement renoncé pour se contenter d'humilier le chef Indien en vie, en le transformant même en paria parmi les siens.
Même si un siècle plus tard les stratèges de la Maison Blanche ne sont pas forcément très au fait de l'histoire de cet Indien, ils devaient savoir vaguement qu'il n'avait pas été exécuté. Je me dis donc que la Maison Blanche avait dû concevoir de prendre Geronimo-bis vivant. Il a dû se passer quelque chose d'imprévu dans les derniers moments (peut-être la perte d'un hélico ou le dépassement du timing) qui auront conduit à la décision de le flinguer.
D'autre part, l'idée d'entrer dans cette maison (qui aurait pu être piégée et envoyer tout le monde au tapis en un éclair) qui aurait également pu comporter un tunnel de fuite, plutôt que d'y envoyer un missile après quelques petits coups de feu histoire d'être certain que la maison était bien un fort Chabrol abritant une teigne, est très valable puisqu'elle seule pouvait permettre de mettre la main sur des documents.
La saisie de ces documents est très importante en ce qu'elle permet de connaître des vérités sur l'ennemi et aussi d'en inventer. Une fois la bête tuée, la Maison Blanche peut faire dire tout ce qu'elle veut aux ordis saisis et affirmer que Ben Laden préparait des dizaines d'attentats un peu partout pour le faire apparaître vraiment mauvais. Nos histoires étant désormais numérisées, n'importe qui peut, après notre mort, saisir nos DD et USB pour modifier nos documents, nos journaux intimes et tout réécrire.
Appendice 4
A poser que Geronimo ait par exemple fait sauter des trains, il aurait alors donné l'impression d'avoir combattu contre les colonisateurs Blancs sur son propre territoire. Disons qu'il aura terrorisé sur son propre territoire. Spartacus pareil.
En comparaison, Ben Laden aura nettement donné l'impression de terroriser hors place.
Il existe, dans nos esprits, une tendance allant à reconnaître une légitimité d'antériorité territoriale. Selon cet esprit (qui forme une bien-pensance soutenue peut-être par 80% des Français) nous trouverions légitime la révolte des colonisés contre les colonisateurs. Mais parce que nous restons tout de même dans le camp colonisateur, nous n'apprécions pas du tout que la révolte d'un colonisé se traduise par des attentats commis chez le colonisateur, hors place pour les révoltés donc.
Pourtant, à l'aune de la mondialisation des moyens et effets internationaux des impérialismes en tous genres, nous devrons progressivement trouver logique qu'un opprimé sévisse hors place. Nous avons certes été choqués par le WTC perpétré hors place comme nous avons été choqués par les attentats commis à Paris ou dans des avions volant hors place. Mais nous trouvons déjà logique que des attaques cyber se produisent hors place et frappent en plein cœur des sites producteurs d'impérialisme.
Plus les impérialismes militaires, politiques, énergétiques, économiques, financiers, informatiques, biologiques, nucléaires, agissent de manière tentaculaire et hors place, plus les réactions de révolte deviennent tentaculaires et hors place.
Si, 100 ans plus tard, nous trouvons logique qu'un Geronimo ait fait sauter des choses en Amérique, nous finirons par trouver logique qu'un oppressé de l'Américanisme habitant à l'autre bout du Monde, fasse sauter des tours dans New York.
Appendice 5
Concernant les Pakistanais, le fait que Ben Laden ait été surnommé Geronimo leur donnera probablement l'impression, après rumination, que les Américains considèrent ce territoire sur lequel le rebelle résidait depuis des années comme une sorte de réserve indienne destinée à passer sous leur contrôle total.
Appendice 6
Appendice 7
Pendant la Guerre du Pacifique, les stratèges US avaient eu l'idée d'appeler 400 Navajos à l'aide pour coder et transmettre les messages militaires parce que leur sémantique est extraordinaire et confondait les Japonais. Ces 400 codeurs devaient forcément se trouver sur les lignes les plus avancées pour transmettre des indications intéressantes. Ils ont donc été très braves. Or les Navajos sont aussi des Apaches
Appendice 8
The last but not least. Ceux qui ont le plus participé à la construction de ces tours en poutrelles d'acier qui ont fait l'orgueil de l'Amérique, ce sont les Indiens.
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